Kevin Kühnert © Rolf Zöllner

Kevin Kühnert, l’étudiant allemand qui fait trembler l’Europe

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Avec sa campagne très médiatisée contre l’entrée au gouvernement des sociodémocrates allemands (SPD), le leader des jeunes du SPD, âgé de 28 ans, Kevin Kühnert fait trembler l’establishment allemand et européen. Entretien.

Alors que vous essayez de convaincre 460 000 membres du SPD de dire « non » à l’entrée au gouvernement, le parti est en chute libre. D’après les derniers sondages, il n’atteint plus que 16%. Qu’est-ce qui se passe?

Kevin Kühnert: Je pense qu’il ne faut pas chercher l’explication de ce drame dans les dernières semaines, mais dans les dernières années. Il y a vingt ans, le SPD atteignait encore les 40%. Depuis, il a presque toujours été au pouvoir. C’est à cette période que le SPD a perdu à peu près de la moitié de ses électeurs, pas au cours de ces derniers mois.

Quand l’année dernière, Martin Schulz a été proposé comme candidat-chancelier pour le SPD, il avait semblé un moment que le public électoral reviendrait en masse. Soudain, le parti atteignait à nouveau plus de 30% dans les sondages. Comment expliquez-vous cela ?

Je pense que Martin Schulz a pu éveiller temporairement l’impression de corriger le cap du centre suivi par le parti ces dernières années. Ainsi, il a admis ouvertement que le SPD avait commis des erreurs lors de l’instauration de l’Agenda 2010 (un programme lourd de réformes économiques sous le chancelier SPD Gerhard Schröder, NLDR.). Cet aveu était important. Il m’a donné, ainsi qu’à beaucoup d’autres électeurs, l’espoir que Schulz apporterait vraiment le changement.

Comment cet espoir a-t-il pu disparaître aussi rapidement ?

La plus grande erreur de Schulz est de n’avoir jamais concrétisé son slogan « justice sociale ». Il a explicitement rejeté les demandes d’interprétation concrète. C’est pourquoi de nombreux électeurs ont perdu l’espoir de changement.

Vous pourriez aussi en tirer de l’espoir. Manifestement, votre parti possède encore de potentiel de séduire plus de 30% des électeurs.

C’est le cas. Jusqu’à l’année dernière, 32% des Allemands pouvaient encore s’imaginer voter pour notre parti. Ces gens n’ont pas disparu tout à coup.

Ce qui arrive à votre parti, est déjà arrivé au PS en France, au sp.a en Flandre et au PvdA aux Pays-Bas.

Raison de plus pour ne pas chercher l’explication à la débâcle du SPD dans les événements de ces derniers mois ou semaines. L’erreur principale a été commise dans les années nonante, quand la plupart des partis socio-démocrates se sont engagés dans ce qu’on appelle la « Troisième Voie ». Mais rien ne nous dit qu’on doit continuer à suivre cette Troisième Voie. Il est clair que le PS au Portugal et le Labour au Royaume-Uni ont choisi un autre cap. Et ils ont été récompensés par les électeurs.

Retour au socialisme classique travailliste, donc?

Oui et non. Toutes les recettes d’il y a trente ans ne se recyclent pas comme ça. Traditionnellement, le SPD était le parti de l’ouvrier d’usine. Cependant, il y a de moins en moins d’ouvriers classiques, et en plus ils s’en sortent relativement bien par rapport à des personnes qui ont un statut plus précaire. Je ne dis pas que nous devons négliger le public classique, certainement pas, mais nous devons accorder au moins autant d’attention au groupe grandissant de personnes au travail mal payé et mal protégé. Il s’agit souvent de gens qui travaillent dans de plus petites entreprises et qui s’organisent difficilement. C’est un groupe qui ne se sent pas représenté, pas même par le SPD. L’accord gouvernemental n’a pas grand-chose à offrir à ces personnes.

Ce n’est probablement pas un hasard si la rébellion au sein du SPD vient de la section jeune. Pour la vieille garde, l’entrée au gouvernement est aussi une question de « prendre ses responsabilités ». Je n’ai pas encore entendu la jeune garde utiliser cet argument.

La résistance ne vient pas uniquement de nous. Mais il est vrai qu’elle règne surtout parmi les jeunes. Évidemment, je le comprends bien. Aujourd’hui, un Allemand de 25 ans n’a jamais rien connu d’autre que la chancelière Angela Merkel, qui a pratiquement toujours été à la tête d’une grande coalition où le SPD était partenaire junior. De mon point de vue, le choix de l’opposition est une question de responsabilité. Si le SPD reprend son rôle de partenaire junior, il court le danger que toute une génération d’électeurs connaisse le parti uniquement dans un rôle de suiveur, sans personnalité à elle.

Vous avez été qualifié de « libérateur » par les médias. L’espoir qui reposait les épaules de Schulz se retrouve sur vos épaules.

J’espère que tant le sommet que la base de notre parti a compris que chez nous ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Je ne me suis pas encore vu – comme Schulz l’année passée – sur un poster (rires) Et rassurez-vous : si cela dégénère, je freinerai. Un tel culte de la personnalité est préjudiciable. Non seulement pour moi, mais pour le parti.

Le président français Emmanuel Macron a prouvé que cela pouvait également bien fonctionner.

Je ne crois pas qu’un mouvement politique semblable autour d’une personne fonctionnerait en Allemagne. Ici, les partis classiques sont encore profondément ancrés dans la société civile. On peut difficilement s’en détacher comme ça.

Au congrès du SPD, Martin Schulz a tenté d’impressionner l’assistance en parlant de « son ami Macron ». Lui aussi est-il votre ami politique ?

L’Europe ambitionnée par Macron n’est pas tout à fait la mienne. Mais j’admire la façon dont il a montré qu’on peut gagner des élections en jouant franchement la carte européenne. On essaie parfois de nous faire croire qu’aujourd’hui seul un discours nationaliste et eurosceptique peut faire gagner des élections. Macron a montré le contraire.

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