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Kadhafi et la terre brûlée

Submergé par les manifestations d’opposition, le Guide libyen est prêt à la fuite en avant. Le risque d’un bain de sang est réel. La vente d’armes de la FN en 2009 en devient d’autant plus problématique.

Deux cent dix-neuf morts en Tunisie en un mois, 365 morts en Egypte en trois semaines, 640 morts en Libye en huit jours (1) : alors que les heures du régime de Tripoli semblaient comptées, l’inquiétude était grande que l’imprévisible colonel Mouammar Kadhafi ne se lance dans une politique de la terre brûlée avant de lâcher le pouvoir. Sa longue allocution télévisée le mardi 22 février a tranché avec les vaines tentatives de ses compères tunisien Ben Ali et égyptien Moubarak de répondre vaille que vaille aux revendications des opposants. Ni ouverture ni concession dans le chef du bouillant leader de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. « Je me battrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang », a-t-il proclamé, avant de menacer : « Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries. » Deux jours auparavant, Saïf al-Islam, son dauphin de fils pourtant présenté comme un réformiste, n’avait pas adressé un message différent en exposant l’alternative qui, dans l’entendement du régime, se présente aux Libyens : une « nouvelle Libye » façonnée par les mêmes dirigeants ou la « guerre civile ». « La Libye est à un carrefour, avait-il insisté. Soit nous nous entendons aujourd’hui sur des réformes, soit nous pleurerons […] des milliers de morts et il y aura des rivières de sang dans toute la Libye. » Un discours surréaliste de la part de dirigeants qui, depuis 42 ans, ont fourvoyé le peuple dans une parodie de « démocratie directe », « l’Etat des masses ». Le clan Kadhafi, de toute évidence, présente un front soudé avec un leitmotiv : se maintenir au pouvoir et faire taire l’opposition.

Des armes détournées de leur usage contractuel

Les craintes d’une fuite en avant sanglante sont accréditées par les faits : par-delà le bilan humain, le recours à des mercenaires et l’utilisation des blindés et de l’aviation dans la répression témoignent de la détermi-nation du pouvoir, même si celui-ci est de plus en plus isolé. Dans un contexte où la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, dit redouter des « crimes contre l’humanité », le débat sur la vente d’armes de la FN Herstal à la Libye en 2009, déjà controversée à l’époque, ne pouvait que rebondir. Le retour en grâce du colonel Kadhafi après son renoncement aux armes de destruction massive et son ralliement aux Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme autorisait-il de telles largesses ? Le ministre-président de la Région wallonne, Rudy Demotte, après avoir rappelé le cadre strict dans lequel le contrat avait été conclu (la protection de convois humanitaires vers le Darfour soudanais), a dû se rendre à l’évidence. Diffusée notamment sur levif.be, une vidéo de manifestants exhibant, à Benghazi, une arme antiémeutes FN303 récupérée sur un mercenaire lui a crûment rappelé que les lois et les pratiques d’une dictature, même finissante, ne sont pas celles d’une démocratie…

Finissante, l’ère Kadhafi en Libye ? Tout porte à le croire. La tribu Warfala, la plus grande du pays avec 1,2 million de membres (sur une population de 6,2 millions d’habitants), a scellé en partie le sort du régime en se ralliant au mouvement de contestation. Que Benghazi, la deuxième ville du pays, en soit le foyer n’est donc pas étonnant puisque c’est là, dans l’est de la Jamahirya, que la tribu est principalement implantée. Pour elle, la révolution populaire libyenne a d’ailleurs la saveur de la revanche. En octobre 1993, la répression s’était abattue sur ses responsables lorsque Mouammar Kadhafi avait dit avoir empêché un coup d’Etat. S’en était suivie une purge dans les institutions et dans l’armée, à ce point poussée au sein de la force aérienne que celle-ci ne compterait plus que des éléments de la tribu du Guide, les Kadhafa, issue du centre du pays.

Alliance

Le dimanche 20 février, Kadhafi a tenté de sauvegarder le fragile équilibre qui soutenait jusqu’alors son pouvoir en relançant le dialogue avec les chefs tribaux. Un officiel libyen a prétendu, à cette occasion, rapporte le quotidien panarabe Asharq Alawsat, que l’ancien n° 2 du régime devenu rival du colonel Kadhafi, Abdelassam Jalloud, lui aurait apporté son soutien. Une version contestée. Jalloud, dignitaire de la tribu Makarha, deuxième en importance du pays et implantée dans l’ouest, a été écarté du pouvoir à partir de 1993. Il a, lui aussi, de bonnes raisons de souhaiter le départ du fantasque chef de la Jamahirya. Une alliance objective pourrait ainsi se former entre les Warfala et les Makarha pour balayer le clan Kadhafi. Mais à quel prix ? Et pour quels lendemains ?

(1) Bilan provisoire arrêté en milieu de semaine.

GÉRALD PAPY

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