Le président chinois Xi Jinping © REUTERS

Jusqu’où ira la puissance douce de la Chine ?

Sus Van Elzen
Sus Van Elzen Journaliste et auteur

Pékin ne veut pas conquérir le monde, mais le séduire et sortir de son isolement. Le journaliste et auteur Sus van Elzen tente de mesurer le soft power chinois.

Il y a une tendance, parmi les femmes chinoises d’un certain âge, de ne pas continuer à teindre leurs cheveux en noir jais comme les membres du Bureau politique, mais de les laisser grisonner doucement. On parle évidemment de métropoles comme Pékin et Shanghai, partout ailleurs les femmes grisonnent d’un coup. Beaucoup de choses indiquent que la Chine est en train de changer. Attendez le moment où les membres du gouvernement afficheront leurs premiers cheveux gris, ce sera un point de rupture.

Contrefaçon

En rue dans la grande ville, et dans les boutiques, on tombe sur de la contrefaçon, des fausses perles et du clinquant. De la contrefaçon chère et bon marché. Il y a quelques années, la rumeur courait à Pékin que beaucoup d’oeufs étaient « faux » : de la contrefaçon. Si toute la contrefaçon disparaissait d’un coup, la plupart des Chinois se promèneraient à demi-nu. Cependant, la direction du parti a décidé que c’était fâcheux pour la réputation chinoise. Elle est en train d’établir une loi et même de mener une campagne pour interdire la contrefaçon et en rendre la vente et la possession passible d’une peine.

Soft et Hard Power

En 2007, après le 17e Congrès du Parti, le président de l’époque Hu Jintao a évoqué pour la première fois « la montée pacifique » de la République populaire chinoise et l’essor de la culture chinoise. Il a exprimé le souhait que la Chine laisse la phase de la contrefaçon et de l’imitation de produits occidentaux derrière elle, et qu’elle fasse preuve de créativité et d’inventivité. Pour réaliser ce voeu, associé au développement de la Chine en pays « assez prospère », il mise sur le soft power chinois

Inventée par le professeur américain Joseph Nye, la notion de soft power signifiait convaincre son opposant à l’aide de charme, de diplomatie aimable, de culture et d’exemples attirants et non par les menaces et la violence. La Chine souhaite donc utiliser la carotte qui fait avancer l’âne, et non le bâton. Initialement, l’utilisation du soft power des dirigeants chinois paraissait un peu étrange : on avait l’habitude que Pékin tape sur la table et prenne le bâton. C’est ce qui doit changer.

Dix ans plus tard, la Chine a beaucoup avancé. Son hard power, et notamment sa grande armée, fait peur à beaucoup d’Occidentaux. Et peut-être à tort : l’armée chinoise a peut-être beaucoup d’hommes, mais seulement deux porte-avions, dont un d’occasion racheté à la Russie. Mais quoi qu’il en soit, qu’en est-il de ce soft power ?

D’après le Financial Times, la « force douce » bénéficie de bâtiments de 200 mètres de largeur de façade près de la place Tian’anmen à Pékin. C’est grand, mais les bureaucrates y ont beaucoup de travail, car si le soft power concerne la culture chinoise, répartie dans le monde par le biais de 500 instituts Confucius qui dispensent des cours de langue et de culture et par les échanges de scientifiques et d’étudiants, il s’agit aussi des séductions et de la douce persuasion de l’économie chinoise. Car qu’est-ce que c’est qu’énormément d’argent (dont dispose la Chine), que de la « force douce » ?

One Belt One Road

Et donc le Parti communiste chinois dispose d’un département OBOR, le programme intitulé One Road One Belt, qui figure parmi les priorités de la Chine. OBOR est la nouvelle interprétation contemporaine de l’ancienne Route de la soie, mais passe aussi par la mer.

D’une part, il y a l’ouverture de la Chine de l’Asie centrale, avec sa construction de routes, de lignes ferroviaires, d’oléoducs, d’accords économiques et commerce, etc. avec les républiques de l’ancienne Union soviétique (et le soutien tacite de la Russie avec qui les relations sont très bonnes ces derniers temps). C’est le Road. Il y a déjà des voies ferrées qui relient la Chine au Moyen-Orient et aux villes européennes d’Istanbul, de Moscou et de Rotterdam.

D’autre part, il y a la route maritime, le Belt, qui doit relier les ports chinois à l’Océan indien, l’Afrique et la Méditerranée : Nairobi, Athènes et Venise. Si OBOR se réalise (et pourquoi pas ?) il signifiera l’ouverture définitive de l’Empire du Milieu enfermé depuis tant de siècles dans son rectangle naturel de mers et de déserts.

L’état chinois souhaite également resserrer ses liens avec ses compatriotes d’outre-mer, notamment à Taiwan et à Singapour, mais aussi avec les Chinois en Europe et aux États-Unis. Il y a le contrôle sur les religions, qui comme Xi Jinping l’a souligné récemment, sont tolérées. Le leader du parti les trouve assez bien pour le peuple, mais à condition de les « chinoiser ». Cela signifie que c’est le Parti communiste qui décide et personne d’autre, que ce soit le pape ou le Dalaï-Lama. Il y a les programmes d’aide en Afrique et en Amérique latine. Et surtout, il y a l’avance chinoise sur l’Occident dans des domaines tels que l’intelligence artificielle…

Arrogance chinoise?

Avec tant de moyens d’intervention et de pouvoir, le front unitaire chinois devrait avoir suffisamment de soft power pour développer, contre les pouvoirs américain et européen en déclin, un certain orgueil et même de l’arrogance. C’est ce que disent de plus en plus de diplomates et d’autres personnes qui négocient avec Pékin. Pékin, parti pour devenir la plus grande puissance mondiale, souhaite parfois imposer sa volonté, parfois par le biais d’une méthode moins douce.

C’est ce que font les superpouvoirs – la question c’est: la République populaire est-elle déjà un superpouvoir? C’est sujet à discussion. Un signe, c’est la façon dont la visite du président américain Trump en Chine est évaluée : d’après les journaux chinois, c’était un succès extraordinaire, avec 250 milliards de dollars de contrats conclus. D’après des sources américaines plus discrètes, on va droit vers un conflit ouvert entre la Chine et les États-Unis.

Sur son blog, le professeur américain Immanuel Wallerstein énumère une série de raisons pour lesquelles la Chine ne se substituera pas aux États-Unis comme superpouvoir. Premièrement, Wallerstein estime que de tels pouvoirs structurels ne se remplacent pas aussi facilement. Deuxièmement, écrit-il, l’avance économique de la Chine faiblit, alors que l’opposition politique contre les tentatives chinoises de contrôler les pays voisins grandit. Troisièmement, la Chine ne peut compter sur un plus grand marché interne qui remplacerait le marché d’export déclinant, parce que la direction ne veut pas d’extension radicale de la classe moyenne, parce qu’elle pourrait devenir une force politique. Finalement déclare Wallerstein, le rôle économique de la Chine dans le monde est très grand, mais pas aussi grand que ce voudrait Pékin et qui légitimerait cette arrogance.

Au Front unitaire aussi, on commet des erreurs d’estimation. En août, il y a eu une polémique autour de l’honorable Cambridge University Press (CUP), qui édite le magazine China Quarterly : sous pression de la Chine, la CUP avait retiré certains articles critiques à l’égard de la Chine de la version en ligne de China Quarterly. Le scandale dans le monde académique et la presse internationale a fait changer l’honorable CUP d’avis et les articles ont été remis en ligne. Il n’y a pas de monopole sur la force douce.

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