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Jérusalem, la ville sainte de toutes les querelles

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La Jérusalem visitée par les chrétiens qui veulent marcher « dans les pas » de Jésus n’est plus du tout celle du ier siècle de notre ère. En revanche, elle reste le lieu de toutes les querelles.

En Judée, et surtout dans Jérusalem, où Jésus et ses compagnons ont séjourné à plusieurs reprises, il subsiste peu de traces de l’époque de l’homme de Nazareth. Plus encore qu’en Galilée, les monuments édifiés au cours des siècles dans un esprit de dévotion brouillent les repères. Du toit-terrasse d’un couvent situé au coeur du quartier arménien de Jérusalem, le point de vue sur la vieille ville met en évidence l’enchevêtrement religieux et humain de la ville  » trois fois sainte « . On distingue la coupole redorée de l’église Saint-Jean-Baptiste, la plus ancienne église de la ville, les deux dômes gris et le clocher de la basilique du Saint-Sépulcre, le clocher de l’église luthérienne du Rédempteur, qui domine la cité, le quartier juif et ses synagogues sépharades, la mosquée Al-Aqsa et le dôme du Rocher (viie siècle), doré à l’or fin, qui, au petit matin, semble irradier la ville entière de ses reflets ambrés.

Entre la Jérusalem de Jésus et celle qu’arpentent les chrétiens qui veulent marcher dans ses pas, la césure majeure remonte au iie siècle de notre ère : en 135, au terme d’une guerre atroce de quatre ans, la ville est rasée par l’empereur Hadrien pour éviter tout risque de nouvelle révolte juive. Une colonie romaine, Aelia Capitolina, est bâtie sur le site et interdite aux juifs. Son plan est celui d’une ville romaine typique, dont la voie principale, le Cardo Maximus flanqué de colonnes et d’échoppes, est encore visible de nos jours dans le quartier juif de la vieille ville. Hadrien fait laminer jusqu’au roc l’emplacement du saint des saints du Temple, incendié par les Romains soixante-cinq ans plus tôt lors de la conquête de la ville par Titus. Le Temple ne sera jamais reconstruit. Seul subsiste, de nos jours, le Mur occidental (dit  » des Lamentations « ), mur de soutènement de l’esplanade du Temple, lieu considéré par les juifs comme le plus saint pour la prière et symbole national israélien.

Jérusalem, la ville sainte de toutes les querelles

Le Golgotha et le tombeau

De même, Hadrien fait ériger un vaste forum et un temple dédié aux grands dieux romains Jupiter, Junon et Vénus à l’endroit même où, selon une tradition locale, Jésus a été crucifié et mis au tombeau. Au préalable, toute la zone accidentée où se trouvait le Golgotha, le lieu des exécutions, a été nivelée et remblayée. En 326, un autre empereur, Constantin, converti au christianisme trois ans plus tôt, ordonne la démolition de ces monuments païens et confie à l’architecte Zénobie la construction d’un complexe destiné à glorifier la mort et la résurrection du Christ. La ville et le bâtiment sont mis à sac en 614 par les Perses sassanides et la basilique est détruite en 1009 sur ordre du calife fatimide el-Hakem. Elle est reconstruite grâce aux collectes organisées à travers la chrétienté et aux donations des empereurs byzantins. Les croisés et les pères franciscains remodèlent le Saint-Sépulcre et lui donnent son aspect actuel.

Il faut se rendre dans la vallée du Cédron, qui court à l’extérieur des murs orientaux de la vieille ville et la sépare du mont des Oliviers, pour retrouver des lieux que Jésus a connus. Le maître s’y retirait souvent avec ses disciples. C’est de là qu’il a contemplé les constructions du Temple et annoncé leur destruction prochaine. C’est vers cet endroit qu’il s’est dirigé après avoir partagé un dernier repas au Cénacle (Mc 14,26). C’est dans un jardin,  » de l’autre côté du torrent du Cédron « , qu’il a passé ses dernières heures avant son arrestation (Jn 18,1). Dans ce lieu ont été érigés, à partir de la fin du iie siècle avant notre ère, les imposants mausolées d’Absalom, de Zacharie et de la famille des Beni-Hézir. Ces cénotaphes sont les seuls monuments de la région que le Nazaréen a pu voir de ses yeux et qui existent encore de nos jours.

Une haute salle gothique (1335) a été construite au second étage d'un bâtiment présenté comme celui du Cénacle.
Une haute salle gothique (1335) a été construite au second étage d’un bâtiment présenté comme celui du Cénacle.© OLIVIER ROGEAU

Femmes voilées et juifs orthodoxes

Aujourd’hui, dans le souk de la vieille ville, labyrinthe de ruelles de boutiques, des femmes voilées côtoient des juifs orthodoxes couverts du schtreimel, ce chapeau noir aux larges bords ornés de fourrure, et des bandes d’ados palestiniens croisent les patrouilles de policiers israéliens. Les commerçants arabes vendent des épices, du jus de grenade, mais aussi des objets de toutes croyances : des menorah (le chandelier juif à 7 branches) et des kippas (la calotte des pratiquants), des croix, des chapelets et des couronnes d’épines du Christ, taille S à XXL.

Ce grand bazar et cette fragile coexistence feraient presque oublier les tensions politico-économico-religieuses de l’heure : la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, qui a déclenché la colère des Palestiniens et la réprobation de la communauté internationale ; et les mesures fiscales et législatives israéliennes visant les biens des Eglises chrétiennes, décisions perçues comme une violation du statu quo qui régit l’administration des lieux saints. Le Saint-Sépulcre a rouvert ses portes le 28 février dernier, quand le gouvernement de Benjamin Netanyahou a suspendu la collecte des taxes et l’examen de la proposition de loi qui avaient suscité l’ire des Eglises.

Depuis lors, les pèlerins du monde entier affluent à nouveau sur l’étroit parvis et s’engouffrent dans la basilique. Dès leur entrée, beaucoup embrassent et frottent la  » pierre de l’onction  » sur laquelle Jésus aurait été lavé et enveloppé par Joseph d’Arimathie et Nicodème. Une pierre de marbre rose a remplacé, en 1810, la dalle noire endommagée par un incendie deux ans plus tôt, et dont les morceaux ont été emportés par les Grecs. Plus loin, les visiteurs tentent d’accéder au rocher du Calvaire et forment une plus longue queue encore pour pouvoir entrer dans le tombeau du Christ et entrevoir une partie du rocher dans lequel il aurait été creusé.

Où Jésus a-t-il pris son dernier repas avec les apôtres ?

Sur le mont Sion, au sud-ouest de la vieille ville de Jérusalem, un bâtiment est présenté aux visiteurs comme celui où Jésus aurait pris son dernier repas avec les apôtres. Restaurée par les franciscains en 1335, la haute salle gothique que l’on peut voir au second étage, convertie en mosquée au xvie siècle, n’existait évidemment pas au temps de l’immeuble d’origine.  » Mais on peut penser qu’il s’agit bien de l’emplacement de la « chambre haute » où Jésus a vécu ses dernières heures de liberté, comme l’atteste la tradition « , note l’historien Jean-Christian Petitfils. La maison où il leur a lavé les pieds et où il a institué l’eucharistie aurait appartenu, selon certains exégètes, à Jean l’évangéliste (à distinguer de l’apôtre), membre de la haute aristocratie du Temple, assis lors de la Cène à la droite de Jésus, la place de l’hôte. On peut accéder au toit-terrasse du bâtiment, d’où on voit, par-delà les remparts de la ville, le mont des Oliviers, où Jésus et les siens se sont rendus après le repas d’adieu. De 1990 à 1996, des fouilles entreprises par le bénédictin Bargil Pixner et une équipe d’archéologues israéliens ont mis au jour des vestiges qui seraient ceux d’une synagogue judéo-chrétienne du ier siècle. Peut-être a-t-elle été le tout premier sanctuaire des apôtres.

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