La tête de liste La France insoumise aux européennes Manon Aubry sait jouer des coudes pour s'imposer. © S. THOMAS/AFP

Jean-Luc Mélenchon… et ses ombres

Le Vif

A moins d’un mois des européennes, La France insoumise (LFI) peine à retrouver sa dynamique de la présidentielle de 2017.

Même le bruit et la fureur s’enrhument. Ce mercredi 10 avril, Jean-Luc Mélenchon arrive à Amiens pour un meeting avec la tête de liste aux élections européennes, Manon Aubry, et le décoiffant député du secteur, François Ruffin. Le leader de La France insoumise (LFI) est patraque. Un coup de froid attrapé à Nîmes quelques jours plus tôt. Dans la Somme, malgré des traits fatigués, il fait bonne figure face aux médias venus nombreux couvrir cette affiche de campagne inédite. Dans l’après-midi, le trio rencontre une délégation d’ex-salariés de Whirlpool et de son sous-traitant Prima.  » Ça me rappelle la présidentielle « , glisse Frédéric Chantrelle, délégué syndical CFDT, désignant la quinzaine de micros et de caméras qui les cernent. Le 26 avril 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen avaient visité à quelques heures d’intervalle le site industriel, promis à une délocalisation en Pologne. Les témoignages des ouvriers, dont beaucoup restent encore sur le carreau, réveillent Mélenchon. Il compare l’Union européenne à  » une cage « , où politiques et patrons organisent la concurrence entre les peuples.  » Rendez les coups, ils ne comprennent que ça !  » lâche-t-il d’une voix blanche.

D’une fièvre à l’autre. Mélenchon préfère de loin celle de la présidentielle de 2017, cette dernière ligne droite où tout lui semblait possible. Au premier tour, le candidat Insoumis rassemble 7 millions de suffrages sur son nom. Soit 19,58 % des voix. C’était il y a deux ans tout juste. Une éternité. Aujourd’hui, les sondages placent la liste LFI au mieux à 9 % des intentions de vote pour les européennes. Loin des 14 % promis en septembre dernier. Plus impliqué dans la campagne depuis quelques semaines, Mélenchon connaît sa feuille de route : remobiliser son électorat. Selon l’institut de sondage Ifop, seuls 37 % de ses électeurs de 2017 se prépareraient à voter Insoumis aux européennes. No 16 sur la liste, l’écologiste Sergio Coronado met en garde contre  » le malentendu de la présidentielle « .  » En 2017, Mélenchon a bénéficié du vote utile à gauche, estime l’ex-député Europe Ecologie-Les Verts (EELV) des Français de l’étranger. Or cet électorat, de plus en plus mobile, n’est jamais acquis.  » Cette fois, Yannick Jadot (EELV), Raphaël Glucksmann, soutenu par le Parti socialiste, Benoît Hamon, le fondateur de Génération.s, ou encore le communiste Ian Brossat espèrent bien tirer leur épingle du jeu.

Nul besoin de la concurrence pour se tirer une balle dans le pied. Les images du Mélenchon  » La République-c’est-moi  » vociférant lors des perquisitions judiciaires au siège de LFI, en octobre, ont dérouté plus d’un sympathisant. Même Manon Aubry répète que la séquence l’a mise  » mal à l’aise « .  » Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux en vitrine dans le musée du mélenchonisme « , admet un proche de l’ancien socialiste. Devant un public amiénois chauffé à blanc, Mélenchon en convient – du bout des lèvres.  » La prochaine fois, je ne dis pas un mot. Surtout, je ne laisse plus aucune caméra approcher « , déclare-t-il.

Abandon de la ligne populiste

Tempérament erratique, volte-face stratégiques ? En 2017, La France insoumise entendait  » fédérer le peuple  » pour dépasser le cadre traditionnel de la gauche, trop abîmée après le quinquennat Hollande.  » Au cours de 2018, Jean-Luc Mélenchon a renoncé à la ligne populiste pour revenir à un gauchisme culturel « , estime Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut PollingVox. Au risque de dilapider son capital électoral, juge le politologue. Qui cite le thème de l’immigration. En juin 2018, un sondage Ifop montre que 47 % des électeurs LFI à la présidentielle sont réticents à l’accueil de l’Aquarius dans un port français. Pourtant, à l’Assemblée, les députés du mouvement défendent des positions très promigrants, plus classiques à gauche. Objectif du changement de cap : séduire les bobos, les urbains plus diplômés, souvent de sensibilité écolo, les seuls à gauche à se mobiliser vraiment aux européennes. Virer largement en tête le 26 mai devant les listes Jadot, Hamon ou Glucksmann assurerait à Jean-Luc Mélenchon une autorité morale sur ce paysage en recomposition. De quoi discuter en position de force avant les prochaines municipales et régionales.

Parmi les Insoumis, des partisans de la ligne populiste s’inquiètent. Récemment déchu de son rôle d’orateur national, François Cocq voit dans le choix comme tête de liste de Manon Aubry, venue de l’ONG Oxfam, une autre concession à l’électorat de la gauche modérée, rétif à toute idée de sortie de l’Union européenne. Avec un Mélenchon martelant qu’au sein des traités actuels rien n’est possible, la jeune femme formerait, selon Cocq,  » une hydre à deux têtes  » vouée à ratisser large.  » On joue au yo-yo stratégique. Au moment où la légitimité des appareils politiques est remise en question, il faudrait plus de cohérence « , pointe-t-il. Des doutes, quels doutes ? Le député de Seine-Saint-Denis, Eric Coquerel, l’assure :  » Sur la sortie des traités européens, il n’y a aucune différence entre leurs discours. « 

François Ruffin multiplie les projections-débats de son dernier film J'veux du soleil ! dans lequel il rend hommage au combat des gilets jaunes.
François Ruffin multiplie les projections-débats de son dernier film J’veux du soleil ! dans lequel il rend hommage au combat des gilets jaunes.© J.-P. CLATOT/AFP

Ruffin, un « atome libre »

Convaincu d’assister aux prémices de la révolution citoyenne qu’il a théorisée dès 2014, Jean-Luc Mélenchon n’a pas mégoté son soutien aux gilets jaunes. Fallait-il proclamer sa fascination pour l’une des figures de la contestation, Eric Drouet, et le comparer à son homonyme de la Révolution française ?  » Depuis le début, Mélenchon court derrière Ruffin, qui est no limit « , observe un ministre. Jamais avare de provocations à l’égard d’Emmanuel Macron, le réalisateur de Merci patron ! vibrionne au milieu de manifestants auxquels son nouveau film, J’veux du soleil !, tout juste sorti en salles, rend hommage.  » Les gilets jaunes s’identifient davantage à François Ruffin qu’à Jean-Luc Mélenchon, qu’ils assimilent au vieux monde politique. C’est une erreur d’interprétation que je regrette « , constate la députée LFI Sabine Rubin.

De quoi nourrir l’idée d’une concurrence sourde entre les deux Insoumis pour la présidentielle de 2022. La propension du Picard à se mettre en scène et à jouer  » perso  » agace souvent en interne. Pendant que ses camarades enchaînent les réunions publiques, lui assure la promotion de son film, grincent certains. A Amiens, le trio Mélenchon-Aubry-Ruffin s’est employé à faire taire les rumeurs, à montrer sa complémentarité.  » François Ruffin est un atome libre « ,  » un artiste, un créateur « , a dit Mélenchon de son cadet.

La veille, à Romainville, en Seine-Saint-Denis, le franc-tireur Ruffin la jouait tout aussi modeste lors d’une projection-débat de J’veux du soleil ! au cinéma Le Trianon. Là où, jadis, Eddy Mitchell tournait son émission La Dernière Séance. Dans la salle, une dame l’interroge : serait-il prêt à endosser le rôle de locomotive à la prochaine présidentielle ?  » Moi, je me pose la question de ce mois de mai « , élude-t-il. Avant d’appeler chacun à retrousser ses manches :  » Si l’on veut que quelque chose se passe en 2022, la vague qui s’est levée ne doit pas retomber.  » Au cinéma des Insoumis, le rideau sur l’écran n’est pas encore tombé.

Par Thierry Dupont.

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