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Jean-Claude Juncker, le dernier dinosaure de la construction européenne

Le Vif

Inamovible Premier ministre du Luxembourg depuis plus de 18 ans, Jean-Claude Juncker, qui a annoncé mercredi soir sa démission, était le doyen des dirigeants de l’UE et le dernier dinosaure de la construction européenne.

A seulement 58 ans, M. Juncker détient le record de longévité à la tête d’un gouvernement européen. Il est devenu Premier ministre en janvier 1995, alors que François Mitterrand et Helmut Kohl étaient encore au pouvoir. Il a donc vécu la profonde transformation de l’Union européenne, l’échec du traité constitutionnel en 2005, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne quatre ans plus tard, puis la crise de la dette et le sauvetage de l’euro, une tâche à laquelle il s’est consacré avec ardeur pendant huit ans.

Certains lui reprochent d’avoir délaissé le Grand-Duché au profit de l’Europe, et d’avoir ainsi fait preuve d’une négligence coupable vis-à-vis des dérives de son service de renseignement, qui ont provoqué sa chute. Jean-Claude Juncker, membre du gouvernement depuis 30 ans, est pourtant la figure écrasante de la politique du Luxembourg, où il demeure populaire malgré le scandale.

« En passant en revue les 30 dernières années, je dirais que pendant les 10 premières j’aurais dû être plus indulgent à l’égard des autres. Et les trois dernières années, j’aurais dû être moins indulgent », avait-il admis récemment.

Européen convaincu, il s’est toujours considéré comme à la croisée des chemins franco-allemands. « Quand je veux parler en français, je pense en allemand, quand je veux parler allemand, je pense en français, et au final je suis incompréhensible dans toutes les langues », a-t-il un jour lancé avec son légendaire sens de l’humour.

Cette proximité avec ses grands voisins ne l’empêche pas de les égratigner, comme quand il jugeait que l' »orchestre franco-allemand n’est jamais d’une qualité qui impressionnerait les mélomanes politiques ».

M. Juncker, dirigeant d’un des plus petits pays (537.000 habitants) de l’UE, n’a jamais hésité à hausser le ton contre les capitales, notamment pour refuser un éventuel diktat franco-allemand. Il « a deux défauts catastrophiques: il a une opinion, et il l’exprime aussi », a dit de lui un jour un responsable européen.

Son franc-parler lui a peut-être coûté le poste de président du Conseil européen dont il rêvait en 2009. Il a mis cette défaite sur le compte d’une opposition à la fois du président français d’alors, Nicolas Sarkozy, qui ne l’aimait pas, et de la chancelière Angela Merkel.

Son viatique a toujours été la promotion de la construction européenne, avec une vision fédéraliste qui lui a valu en 2006 de recevoir le prestigieux prix Charlemagne pour l’unification européenne.

Mais il a toujours fait cohabiter son idéalisme avec un solide sens des réalités, notamment au service des intérêts de son pays dont il a longtemps défendu bec et ongles le secret bancaire. « Pour moi, l’Europe est un mélange d’actions concrètes à mener et de convictions fortes, voire presque ferventes », confiait-il récemment à la télévision allemande. « Mais les convictions fortes n’apportent rien quand on ne fait pas preuve de pragmatisme ».

Enfant de l’après-Guerre dont le père fut enrôlé de force dans la Wehrmacht, Jean-Claude Juncker, né le 9 décembre 1954, a toujours considéré les intérêts de son pays comme étant intimement liés à la cause de l’Europe.

Mais si son père a « joué un rôle important » dans sa vie, c’est aussi en tant que syndicaliste et ouvrier métallurgiste. Un héritage qui fait de ce fumeur invétéré, amateur de cognac, un homme au profil politique atypique: pilier du Parti chrétien-social luxembourgeois, classé à droite, il ne cache pas la défiance que lui inspire le libéralisme à tout crin.

Il soulignait récemment la nécessité d’accorder plus de place à la dimension sociale, « enfant pauvre de l’Union économique et monétaire ». « Juncker, c’est le chrétien-démocrate le plus socialiste qui existe », résume le chef de file des écologistes au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit. A part une brève interruption au début des années 2000, il a d’ailleurs toujours gouverné le Luxembourg avec les socialistes.

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