Jean-Claude Arnault et son épouse, l'académicienne Katarina Frostenson. © C. Hammarsten/Albaca

Jean-Claude Arnault, le prix Nobel du harcèlement

Le Vif

L’Académie suédoise, qui décerne le prestigieux prix littéraire, est fragilisée par un énorme scandale d’agression sexuelle…

Au siège du grand quotidien Dagens Nyheter (DN), Matilda Gustavsson raconte comment, à l’automne dernier, elle a décroché son scoop. Et plongé l’Académie suédoise (qui décerne le prix Nobel de littérature) dans la plus grande crise qu’elle ait jamais connue.  » C’est Ronan Farrow, le journaliste à l’origine de l’affaire Weinstein (et fils de Mia Farrow et de Woody Allen), qui m’a inspirée, raconte la trentenaire. Son travail a remis au goût du jour l’enquête journalistique au long cours. Je me suis souvenue qu’en Suède, un cas similaire à celui du producteur américain faisait l’objet de rumeurs terrifiantes – et d’une omerta – depuis trois décennies.  »

Des scènes de harcèlement, de tentatives de viol et de viols

Aussitôt, la journaliste se met au travail. Durant cinq semaines, elle recueille les témoignages accablants de dix-huit anciennes victimes, qui décrivent des scènes épouvantables de harcèlement, de tentatives de viol et de viols. Le 21 novembre dernier, le  » Weinstein suédois  » tombe. La presse lâche le nom de celui qu’elle a longtemps désigné comme une  » personnalité importante du monde culturel  » : Jean-Claude Arnault. Un patronyme très peu suédois…

Français installé en Suède depuis plus de quarante ans,  » Jean-Kladd  » – soit  » Jean-Crade  » en suédois, selon le surnom dont l’affuble désormais le Tout-Stockholm – n’est pas n’importe qui. Personnage extrêmement influent du monde des lettres, ce Marseillais de 71 ans est l’époux de la poétesse et académicienne Katarina Frostenson.  » Pour mesurer son influence, il suffit de savoir qu’il était considéré par certains comme le 19e membre de l’Académie Nobel, qui en compte 18 « , raconte la journaliste. Pendant plusieurs années, l’Académie lui confie d’ailleurs la gestion de l’appartement qu’elle possède à Paris, rue du Cherche-Midi. Plusieurs victimes présumées ont décrit l’appartement, où elles auraient été brutalisées. Certaines assurent aussi qu’afin de les impressionner, le Français laissait fuiter les noms de futurs nobélisés : Elfriede Jelinek (2004), Harold Pinter (2005), J.M.G. Le Clézio (2008), Patrick Modiano (2014).

Sara Danius, secrétaire perpétuelle de l'Académie suédoise.
Sara Danius, secrétaire perpétuelle de l’Académie suédoise.© JONAS EKSTROMER/belgaimage

 » A Stockholm, Arnault occupait une « place très particulière » « , poursuit Matilda Gustavsson. Et cela, grâce à Forum, le petit club discret et hyperintello qu’il a ouvert en 1989 dans un sous-sol du centre-ville. C’est là qu’accourt depuis lors le gotha des arts et des lettres suédois (et parfois international) pour assister à des lectures, des conférences, des concerts de jazz ou de musique classique, des représentations de danse contemporaine ou de théâtre.  » C’était un peu le living-room du Comité Nobel, a témoigné un écrivain dans DN. L’endroit où il fallait être si vous vouliez être « découvert ».  » Au club Forum – dont les portes sont aujourd’hui closes -, le service est alors assuré par de jolies jeunes femmes, la vingtaine, intellos, fragiles, qui y travaillaient gratuitement dans l’espoir d’être admises dans l’hyperélite.  » C’étaient des sortes de bunny girls à la Playboy, mais vêtues décemment et sans oreilles de lapin « , ironise une rédactrice en chef d’un quotidien. Faut-il préciser que Jean-Claude Arnault les considérait comme partie du cheptel ?

Près de vingt plaintes ont été déposées. Mais la majorité des faits, qui se sont déroulés de 1996 à l’automne 2017, sont couverts par la prescription. Pour une fois, en décembre dernier, le  » power couple  » Arnault-Frostenson a  » séché  » le dîner de gala du Nobel 2017.  » Ils sont en France « , dit-on à Stockholm.  » Jamais en tout cas l’Académie suédoise, une institution aussi intouchable que la famille royale, n’a paru aussi fragilisée « , reprend Matilda Gustavsson, de DN. Contactée par Le Vif/L’Express, la secrétaire perpétuelle, Sara Danius, répond par courriel qu' » une enquête interne, confiée à un cabinet d’avocats, et qui durera au moins trois mois, est en cours « . Lors d’une conférence de presse, à la fin de novembre, Sara Danius a révélé que le Français avait  » harcelé et agressé des académiciennes, des femmes d’académiciens, ainsi que certaines de leurs filles et des salariées de l’Académie suédoise « . Bref, tout le monde savait. Personne n’a rien dit. Le prix Nobel du silence revient donc au petit monde des belles-lettres suédoises.

Par Axel Gyldén.

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