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« Je suis Paris » plus populaire en banlieue que « Je suis Charlie »

Le Vif

Dans la foulée des attentats de janvier, des jeunes de quartiers sensibles s’étaient désolidarisés du mot d’ordre « Je suis Charlie », suscitant moult débats sur un « apartheid » à la Française. Après le nouveau carnage jihadiste, l’effroi règne en banlieue comme à Paris.

« Les terroristes? Ils défendent pas l’islam, ils défendent rien du tout, sauf leurs magouilles et leur pétrole! », peste Malik, 22 ans, au pied d’un immeuble de Grigny, une ville pauvre au sud de Paris. « Même moi je ne me sens plus en sécurité », ajoute ce grand jeune homme à dreadlocks.

Se sent-il proche de cette jeunesse parisienne visée par les terroristes dans un quartier branché de la capitale? « Mais on est tous Parisiens ici! », proteste-t-il, un peu vexé. « On est un peu loin mais on va souvent à Paris, pour chercher du travail, sortir le week-end. Ou on va au Stade de France », lui aussi visé par les attaques du 13 novembre.

A Grigny, l’inquiétude a pris le pas sur la stupéfaction, deux semaines après le massacre (130 morts) commis dans la capitale, à 50 minutes en train express.

« Beaucoup rêvent d’être footballeur. Alors les explosions devant le Stade de France, ça a marqué », déclare Souleymane Hissourou, 28 ans, qui a fondé l’association Elan citoyens après les attentats de janvier (17 morts) contre le journal satirique Charlie Hebdo et un magasin Hyper Cacher. « Et avec les attentats à Bamako une semaine plus tard (20 morts), on s’est senti doublement concerné », explique le jeune homme d’origine malienne.

« On a été soulagé qu’il n’y ait personne de Grigny », ajoute-t-il. Parmi les victimes? Non, parmi les jihadistes. Car en janvier, la ville avait vu sa réputation, déjà peu enviable, ternie par les actes d’un de ses habitants: Amédy Coulibaly, auteur de l’attaque de janvier contre l’Hyper Cacher.

« On était devenu un bouc émissaire », soupire Souleymane Hissourou, qui défend sa ville. « Il y a de la solidarité ici (…) Et il est faux de dire qu’aucun jeune des banlieues n’a défilé le 11 janvier à Paris » lors des grandes manifestations pour la liberté d’expression.

‘Trahison à la Nation’

En janvier, des enseignants avaient fait état d’incidents lors des minutes de silence en mémoire des victimes des attentats, et plusieurs actes d’apologie du terrorisme avaient même été recensés.

Tout en condamnant les attentats, certains jeunes de culture musulmane, surreprésentés dans les quartiers populaires, avaient continué d’exprimer leurs réserves envers Charlie Hebdo, qui avait à plusieurs reprises publié des caricatures du prophète Mahomet.

S’en était suivi un débat sur cette « Autre France » – titre d’un article de Une du New York Times. Le Premier ministre Manuel Valls, avait même mis en avant la nécessité de lutter contre un « apartheid social, territorial et ethnique » dans le pays.

Alors forcément, le 13 novembre, les jeunes des quartiers « ont craint qu’on leur renvoie une nouvelle fois dans la figure l’image du jeune de banlieue, comme s’ils étaient impliqués dans ces attentats alors qu’ils n’y sont pour rien et qu’ils les désapprouvent », rapporte Luc, éducateur depuis 30 ans dans ces quartiers.

De nombreux professeurs d’établissements difficiles ont souligné l’attention des adolescents lors des discussions et de la minute de silence organisée le lundi 16 novembre, premier jour d’école après les attentats.

« Pour beaucoup de jeunes de culture musulmane, pouvoir dire +je condamne ces actes mais je ne suis pas Charlie+, en janvier, était difficilement audible. C’était perçu comme un acte de défiance, une trahison à la nation et à l’unité nationale », déclare Fabien Truong, sociologue et ancien enseignant en banlieue parisienne.

Avec les attentats de novembre, ils se sentent bien plus concernés et il leur est plus facile de dire « Je suis Paris », ajoute M. Truong, auteur de « Jeunesses françaises, bac+5 en banlieue ».

Dans la salle de concerts du Bataclan et aux terrasses parisiennes, « c’est une certaine jeunesse qui a été touchée. Mais les bars et les concerts représentent la culture hédoniste, et les jeunes de banlieue, comme d’ailleurs, sont en plein dans cette culture-là », souligne le sociologue. « Le vendredi soir, tous les jeunes Français se demandent: +Où sort-on ce soir?+ ».

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