Jared Kushner et Ivanka Trump descendent d'Air Force One, le 23 mai dernier à Rome, à l'occasion du premier voyage officiel à l'étranger de Donald Trump. © M. NDANG/AFP

Jared Kushner et Ivanka Trump, un couple princier made in USA

Le Vif

Jeunes, riches et beaux, mais sans aucune expérience, Ivanka Trump et Jared Kushner sont les personnages les plus influents de la Maison-Blanche. Qui sont vraiment la First Daughter et Mr Gendre ?

Quel tact ! Avec Ivanka Trump, les Saoudiens, c’est sûr, savent s’y prendre. La semaine dernière, à Riyad, alors que la conseillère spéciale du président accompagne son père pour son premier déplacement à l’étranger, les princes arabes n’hésitent pas à débourser 100 millions de dollars : ils signent un chèque-cadeau destiné au World Bank Women Entrepreneurs Fund, une fondation d’aide aux businesswomen du tiers-monde créée à l’initiative… d’Ivanka Trump ! En comparaison du faramineux  » deal  » de ventes d’armes à 380 milliards, conclu le même jour entre Donald Trump et le roi Salman, la somme paraît certes modeste. Mais c’est le geste qui compte… En Arabie saoudite, et ailleurs – par exemple en Chine -, leurs interlocuteurs ont compris quel langage adopter avec les Trump : celui du business.  » A la Maison-Blanche, la notion de conflit d’intérêts a explosé, note le politologue Andrew J. Polsky, du Hunter College, à New York. C’est à se demander si la famille connaît et comprend ce que signifie ce concept.  »

Des exemples ? Trois semaines après son installation à la Maison-Blanche, le nouveau chef de l’Etat viole déjà les moeurs politiques américaines. Lorsque la chaîne Nordstrom annonce qu’elle va cesser la distribution des vêtements et bijoux de la marque Ivanka Trump –  » pas assez rentable « , explique le grand magasin – le président, vexé, laisse libre cours à son mécontentement sur Twitter :  » Ma fille est traitée injustement par @Nordstom. Epouvantable décision !  »

Rencontre entre la patronne du FMI, Christine Lagarde, et la chancelière Angela Merkel à Berlin, le 25 mai dernier, lors d'un forum sur les femmes dans l'économie.
Rencontre entre la patronne du FMI, Christine Lagarde, et la chancelière Angela Merkel à Berlin, le 25 mai dernier, lors d’un forum sur les femmes dans l’économie.© J. ERNST/REUTERS

Deux mois plus tard, la leçon a été comprise : en avril, le président chinois Xi Jinping dîne dans la villégiature présidentielle bling-bling de Mar-a-Lago, en Floride. Comme toujours, Ivanka et son mari, Jared Kushner, sont présents. Au moment où les convives dégustent le dessert, un gâteau au chocolat, l’invité chinois annonce que son pays vient d’approuver l’importation de sacs à main, de bijoux et l’implantation de spas Ivanka Trump. Wonderful ! Great ! Amazing ! La société Ivanka Trump Marks LLC accède ainsi à un marché de 1,4 milliard de consommateurs. Le mois précédent, déjà, 38 projets de la société immobilière de Donald Trump avaient (enfin) reçu l’agrément indispensable à une implantation dans l’empire du Milieu – après une décennie de démarches infructueuses. Tout lien avec l’accession du milliardaire à la tête des Etats-Unis ne serait que pure coïncidence… Du reste, ce dernier a quitté ses fonctions de PDG de The Trump Organization. La holding est désormais dirigée par ses propres fils, Donald Jr. et Eric. De son côté, Ivanka a cédé le contrôle de sa société personnelle à sa belle-soeur, Nicole Kushner.

En public, Ivanka est une parfaite First Lady de remplacement

L’influent Jared Kushner a lui aussi abandonné au profit de sa fratrie la gestion au jour le jour de la Kushner Companies, holding immobilière encore plus considérable que The Trump Organization. En tant que  » produit d’appel « , son nom demeure toutefois bien présent. La preuve : début mai, sa soeur Nicole propose à une centaine d’investisseurs chinois réunis au Ritz Carlton Hotel de Pékin d’investir 150 millions de dollars dans un programme immobilier, à Jersey City, une municipalité voisine de New York City.  » Ce projet me tient à coeur, ainsi qu’à ma famille « , souligne-t-elle avant de glisser une fine allusion à son frérot,  » qui a quitté ses fonctions de PDG pour, comme vous le savez, servir la Maison-Blanche « . Aux investisseurs qui débourseront 500 000 dollars, la bateleuse promet même des  » golden visas » (permettant à leurs détenteurs de s’établir librement aux Etats-Unis). Et déclenche une polémique supplémentaire dans la presse américaine !

Mais l’influence des tycoons Jared et Ivanka ne se mesure pas seulement à leurs réseaux d’affaires. Couple le plus glamour depuis les Kennedy, ces trentenaires sont les personnages centraux du nouveau pouvoir politique. Jeunes, riches et beaux, ils sont dotés, qui plus est, d’une aura princière.  » Trump, méfiant comme pas deux, a toujours mêlé sa famille à son business car il ne croit qu’aux liens du sang « , raille Todd Gitlin, sociologue, écrivain et commentateur politique new-yorkais.  » Peu lui importe l’inexpérience d’Ivanka et de Jared : l’essentiel, pour lui, c’est leur loyauté absolue et leur absence d’arrière-pensées politiques et d’ambition personnelle. « 

A Riyad, le 21 mai dernier, les princes signent un chèque de 100 millions de dollars à une fondation créée à l'initiative de la fille du président.
A Riyad, le 21 mai dernier, les princes signent un chèque de 100 millions de dollars à une fondation créée à l’initiative de la fille du président.© J. ERNST/REUTERS

Au service de Sa Majesté, mais sans attributions précises, le couple s’est réparti les rôles. La princesse fait office de super-assistante de direction : bras droit, confidente, personne de confiance. En public, elle est aussi une parfaite First Lady de remplacement, à l’heure où le couple Donald-Melania traverse, dit-on, une passe difficile. Angela Merkel, qui a vite saisi l’ascendant d’Ivanka sur son père, s’est d’ailleurs empressée de la recevoir à Berlin, fin avril, dans le cadre d’une discussion sur la place des femmes dans l’économie, occasion durant laquelle la  » première fille  » et businesswoman s’est montrée plutôt convaincante.

Décidément pleine de qualités, la fille préférée de Trump (qui a une autre fille, Tiffany, issue de son deuxième mariage) passe pour exercer une force modératrice sur son père. Une réputation flatteuse, peut-être surfaite.  » Ivanka était apparemment défavorable à la première version de la réforme de l’Obamacare, qu’elle jugeait trop dure à l’égard des pauvres, pointe Andrew J. Polsky. Si elle l’a dit à son père, cela n’a guère pesé : la seconde mouture du texte est encore plus drastique.  »

Pour sa part, le prince Jared Kushner est le  » gatekeeper « , c’est-à-dire le  » portier  » du Bureau ovale. Garde-barrière et garde-fou, il contrôle l’accès au président. Tout passe par lui. Au soir de l’élection, c’était déjà lui qui filtrait les appels de ceux qui, soudain, insistaient pour féliciter le vainqueur.  » Présent dans toutes les réunions, informé de tout, il apporte un minimum de cohésion à l’administration, assure un observateur bien introduit dans les cercles du pouvoir. Porté sur les détails, il supervise même la communication présidentielle, y compris – quand c’est possible – le compte Twitter de son beau-père. Il est le pilote qui évite au paquebot de foncer sur un iceberg à toute vapeur. Il faut s’imaginer ce que serait la Maison-Blanche sans lui : un infernal foutoir.  » Pièce centrale de la campagne électorale, puis de l’administration, Mr Gendre est à son tour mis en cause dans l’enquête du FBI sur les liens suspects entretenus par l’entourage de Trump avec les officiels ou les services russes. Selon des fuites, Jared aurait évoqué en décembre dernier avec l’ambassadeur de Russie la faisabilité d’un canal de discussion secret entre la Maison-Blanche et le Kremlin.

Aux yeux de Donald, Jared est comme un fils. Leurs vies se ressemblent étrangement.

Aux yeux de Donald, Jared est comme un fils. Leurs vies se ressemblent étrangement. Tous deux ont grandi à la périphérie de New York, l’un dans le Queens, l’autre dans l’Etat du New Jersey. Et tous deux sont fils de magnats de l’immobilier qui ont repris et développé le business paternel en partant à la conquête immobilière de Manhattan. Enfin, comme Trump, Jared a pris des gros risques immobiliers, évitant de justesse la faillite (lors de la crise de 2008), avant de rebondir.  » Agressif en affaires et sûr de lui, il est systématiquement sous-estimé, ce qui lui rend grandement service « , témoigne un de ses amis dans la presse. Enigmatique, avare de paroles et affublé d’un sourire de Joconde, le conseiller spécial du président est pourtant moins lisse qu’on ne l’imagine. A 24 ans, ce petit-fils de rescapés de la Shoah se retrouve propulsé à la tête de l’empire familial lorsque son père est emprisonné pour une affaire d’évasion fiscale. Pendant un an, il rend visite à ce dernier au parloir, chaque week-end. A l’époque, il peut compter sur le soutien moral de Benjamin Netanyahu. L’actuel Premier ministre israélien est en effet un ami intime de la famille : enfant, Jared lui a même cédé sa chambre à coucher lorsque celui-ci rendait visite à ses parents.

Le 23 mai à Jérusalem, au mémorial de Yad Vishem dédié aux victimes de la Shoah, en compagnie de Donald et Melania Trump et de Benyamin et Sara Netanyahu. Le Premier ministre israélien est un ami intime du père de Jared Kushner.
Le 23 mai à Jérusalem, au mémorial de Yad Vishem dédié aux victimes de la Shoah, en compagnie de Donald et Melania Trump et de Benyamin et Sara Netanyahu. Le Premier ministre israélien est un ami intime du père de Jared Kushner.© M. NDANG/AFP

En octobre 2009, nouveau tournant dans la vie de Jared : en dépit de la réticence initiale de ses parents, il se marie avec Ivanka, laquelle se convertit au judaïsme et lui donne trois enfants. Sept ans plus tard, le voilà à la Maison-Blanche, où Donald Trump lui attribue un nombre déraisonnable de dossiers. Outre sa mission de conseiller spécial, Jared Kushner, 36 ans, est prié de réfléchir à la réorganisation de l’administration fédérale, à la lutte contre la consommation de drogue, à la réforme de la justice, à l’amélioration de l’assurance santé des anciens combattants ainsi qu’à la résolution… de la paix au Proche-Orient ! Rien de moins. A Washington, des mauvaises langues s’amusent à donner une explication freudienne à cet ordre de mission impossible :  » Trump a collé à Jared une tâche infaisable pour se venger du fait qu’il s’est marié à sa fille !  » L’ancien secrétaire d’Etat Henry Kissinger, 93 ans, qui fréquente Trump depuis des décennies et lui prodigue à l’occasion des conseils, voit les choses autrement :  » Tous les présidents que j’ai connus faisaient confiance, intuitivement et structurellement, à une ou deux personnes. Pour Trump, cette personne est Jared.  » Pour les quatre ans à venir, rien ne se fera sans lui. Ni sans son épouse.

Par Axel Gyldén.

La tour de Jared

En 2007, Kushner Companies acquiert, pour 1,6 milliard d’euros, l’immeuble sis au n° 666 de la Ve avenue. Un investissement désastreux en raison de la crise de 2008. L’entreprise familiale, qui y possède ses bureaux, est aujourd’hui redressée. Et nourrit un grand projet : la construction d’un gratte-ciel signé Zaha Hadid. Mais l’architecte star est morte en 2016. Et l’assureur chinois Anbang (lié au gouvernement de Pékin) n’est, lui, plus certain de vouloir y investir des centaines de millions comme prévu. Car l’ex-PDG et actuel conseiller du président, Jared Kushner, s’exposerait à une accusation de conflit d’intérêts. Adresse maudite ? En tout cas, les Kushner envisagent de changer le n° 666, « le chiffre du diable », en n° 660.

Le fabuleux destin d’Ivanka Trump

Publié en mai dernier, Women Who Work prodigue des conseils de réussite à toutes les femmes. « Tout le monde peut choisir sa vie, car tout le monde dispose du même capital de temps : 168 heures par semaine », écrit Ivanka Trump. Qui néglige un petit détail : certaines lectrices n’ont ni baby-sitter ni domestique et passent des heures dans les transports publics… Certes, l’auteure admet être née « du bon côté ». Et, oui, Calvin Klein et Ralph Lauren lui ont « donné des conseils ». Mais « aussi déterminantes » ont été « sa curiosité, sa passion, sa persévérance ». Un jour, son téléphone sonne. Anna Wintour, la papesse de Vogue, lui propose un shooting photo. « Travailler avec Anna aurait aidé ma carrière, mais j’avais déjà un engagement. » Surtout, à l’époque, le mannequin se lance dans l’immobilier chez… son père. « Il faut rester fidèle à ses passions, quitte à faire des choix difficiles », explique la pauvre petite fille riche. Exaspérant.

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