Chikumeido fabrique des "chasen", petits fouets en bambou, indispensables à la préparation du macha, ce thé de poudre vert émeraude. © Belga

Japon: l’effet papillon du Brexit sur l’art de la cérémonie du thé

Le Vif

Plus de 10.000 kilomètres séparent la Grande-Bretagne de Nara, dans l’ouest du Japon, mais la décision des Britanniques de quitter l’Union européenne met en péril l’avenir d’une entreprise familiale japonaise vieille de 500 ans qui perpétue l’art de la cérémonie du thé.

Chikumeido fabrique des « chasen », petits fouets en bambou, indispensables à la préparation du macha, ce thé de poudre vert émeraude. Chaque chasen est confectionné à la main à partir d’un seul morceau de bambou.

« Pour préparer ce thé, il faut disposer d’un outil qui puisse battre la poudre en écume dans l’eau chaude », explique l’héritier d’une lignée de 23 générations de patrons de la même famille, Sabun Kubo, 71 ans.

La fabrication artisanale du chasen se transmet de père en fils et la gestuelle qui l’entoure enferme déjà l’essence du « chanoyu », « chado » ou « sado »: cérémonie du thé.

Chikumeido a commencé à vendre ces produits de niche au Royaume-Uni l’année dernière, son premier grand pas hors de l’archipel par l’intermédiaire d’un grossiste étranger.

M. Kubo y voyait une stratégie pour conjurer la baisse des ventes au Japon, et une porte d’entrée sur le marché européen, potentiellement lucratif. « J’ai pensé que nos produits seraient bien accueillis en Europe, et surtout en Grande-Bretagne où il y a une culture du thé. Nous avons juste commencé à exporter à Londres, notre plateforme de vente » sur le Vieux continent, explique l’artisan à l’AFP.

Les chasen de Chikumeido sont proposés dans les grands magasins en Angleterre au prix unitaire d’environ 45 euros.

L’affaire se présentait bien et M. Kubo était optimiste, jusqu’à un certain 24 juin 2016, lorsqu’au lendemain du référendum au Royaume Uni, résonna jusqu’au Japon le mot Brexit.

« Ce fut un choc », résume-t-il.

Depuis l’annonce du désir du Royaume Uni de sortir de l’UE, les entreprises japonaises se demandent quels en seront les effets sur leurs activités en Europe, dont Londres est en outre un centre financier majeur.

« Je m’inquiète vraiment des conséquences pour nous à l’étranger, à commencer par l’Angleterre », confie M. Kubo. « Je n’ai hélas pas beaucoup de raisons d’être optimiste ».

Car à l’effet Brexit direct s’ajoute l’impact sur les monnaies: considéré comme une valeur refuge, le yen flambe depuis, au détriment des groupes exportateurs nippons dont les recettes encaissées hors du pays sont amoindries une fois converties en yens, sauf à relever les tarifs de vente, ce qui est généralement mal perçu par le consommateur.

Quid de la plaque tournante londonienne ?

Pour M. Kubo, le Brexit rallume les inquiétudes sur l’avenir des 100 employés, à temps plein ou partiel, oeuvrant en kimono de travail, assis en tailleur devant un décor typiquement japonais de jardin verdoyant à Nara, un haut-lieu du tourisme au Japon à l’instar de Kyoto.

Chikumeido est une des seules entreprises capables de produire jusqu’à 120 différents types de chasen.

Vers les années 1970, la période la plus faste pour les ventes, une cinquantaine de fabricants écoulaient jusqu’à un million de fouets par an. Aujourd’hui, ils sont deux fois moins et les ventes annuelles ont chuté aux environs 300.000, selon M. Kubo dont l’entreprise revendique environ un tiers du marché intérieur.

La menace qui plane sur Chikumeido illustre le fait que le vote séparatiste britannique n’affecte pas seulement les géants industriels comme Toyota et Hitachi, qui ont d’importantes opérations en Angleterre, mais aussi de plus petites et plus fragiles sociétés.

Plus de 1.000 entreprises japonaises sont implantées en Grande-Bretagne dont elles emploient 140.000 habitants, tandis que les investissements cumulés directs du Japon dans le pays ont dépassé 10.000 milliards de yens (90 milliards d’euros).

« Le principal problème pour les entreprises japonaises est que le marché européen est divisé en petites entités de différentes langues et cultures d’entreprise », note Martin Schulz de l’Institut de recherche Fujitsu à Tokyo.

« Ils ont vraiment besoin d’une position où ils peuvent servir l’ensemble du marché. Cette plaque-tournante, c’était Londres », ajoute-t-il.

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