Le président américain Donald Trump. © belga

Jacques Sapir: « Pour restaurer le poids des Etats-Unis, Trump devait rompre avec le cadre ancien »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ehess Paris, juge que les méthodes non conventionnelles du président américain ne sont pas irrationnelles. Mais sont-elles efficaces ? « Avec la Chine, l’enjeu est aussi politique. »

Au début de son mandat, Donald Trump a heurté certains en rompant avec le multilatéralisme et en développant une diplomatie peu diplomatique. Estimez-vous que cette méthode a des vertus ?

L’arrivée de Donald Trump à la présidence a correspondu à une période d’affaiblissement du poids international des Etats-Unis. Ces derniers, s’ils restent la première puissance militaire du monde (au prix d’énormes gaspillages, il faut bien le dire), ne sont déjà plus la première puissance économique. Ils ont été dépassés (en PIB calculé sur la base de la parité de pouvoir d’achat) par la Chine depuis 2014-2015. C’est un point important. Donald Trump a voulu enrayer ce recul ou du moins le rendre moins catastrophique. Il a aussi voulu donner un coup d’arrêt au phénomène de désindustrialisation que les Etats-Unis connaissent. Cela explique ses positions opposées au multilatéralisme. Mais, ne nous y trompons pas, Donald Trump n’a jamais voulu que les Etats-Unis se ferment au commerce international. Il a simplement voulu améliorer leurs positions dans ce commerce.

Le seul échec notoire de la diplomatie de Donald Trump est le cas de l’Iran.

De ce point de vue, les méthodes non conventionnelles qu’il a employées (retrait unilatéral des Etats-Unis de certains accords, la  » politique du tweet  » dont il a beaucoup usé) ne sont pas forcément irrationnelles. Il devait rompre avec le cadre ancien dont il avait hérité quand il est devenu Président. C’était absolument indispensable s’il voulait mettre en oeuvre une autre politique de renforcement des positions américaines. Les méthodes non conventionnelles ont, de ce point de vue, réussi. Mais, on se rappelle le mot de Catherine de Médicis à son fils Charles IX après la Saint-Barthélemy (NDLR : massacre de protestants à Paris et en province à partir du 24 août 1572) :  » C’est bien taillé mon fils ; maintenant, il faut coudre.  » Autrement dit, il est bien beau de déchirer des anciens accords, mais qu’a-t-on à proposer à la place ? Et, là, il n’est pas sûr que les méthodes que l’on appelle  » non conventionnelles  » soient réellement efficaces, ou le soient plus que les méthodes traditionnelles de la diplomatie.

Jacques Sapir, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS), membre de l'Académie des sciences de Russie.
Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS), membre de l’Académie des sciences de Russie.© ULF ANDERSEN

La stratégie des sanctions économiques n’est-elle pas une arme à double tranchant qui risque de se retourner contre celui qui l’a déclenchée ?

Les sanctions économiques sont utilisées depuis très longtemps. Que l’on se rappelle les tentatives des Etats-Unis à l’égard de l’URSS dans les années 1980. Elles ne sont efficaces que si le pays visé est dépendant d’une source d’approvisionnement, ce qui n’est aujourd’hui plus le cas. Dans le cas de Trump, ce sont plutôt des mesures protectionnistes, et jusqu’à présent ces mesures n’ont pas eu d’effets négatifs sur son électorat. Par ailleurs, si un effet négatif se manifeste, il prend la forme d’une légère augmentation des coûts. Si, face à cette augmentation, Donald Trump peut opposer un accroissement de l’emploi industriel, il sera gagnant.

Cette  » diplomatie de la pression maximale  » n’est-elle pas plus efficace dans un registre où l’argument économique a une grande importance (Mexique, Chine…) que sur des dossiers plus stratégiques et politiques (Iran, Corée du Nord…) ?

Cette diplomatie n’existe pas. C’est une invention de journalistes qui confond les registres habituels de l’action politique. Il y a eu des politiques différenciées, associant des pressions économiques à des actes géostratégiques. Suivant la taille du pays, son importance, ses moyens de rétorsions, la politique de Trump donne des résultats. Un compromis a été trouvé avec le Mexique. Avec la Chine, nous sommes dans le cadre d’une  » grande négociation  » car l’enjeu n’est pas seulement économique mais aussi politique. Les négociations sont en cours, tout comme elles continuent avec la Corée du Nord. Le seul échec notoire, pour l’instant, est le cas de l’Iran. Du point de vue de l’histoire des relations internationales, c’est plutôt un bon résultat.

Ce type de diplomatie peut-il devenir durablement le modèle de gouvernance de grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou la Russie et accroître encore leur hégémonie ?

Mais c’est déjà le mode de gouvernance de toutes les puissances, mondiales ou régionales ! Il n’y a que l’Union européenne, parce qu’elle n’est pas et ne sera jamais ni un pays ni une puissance, qui ne le pratique pas. Après, suivant leurs moyens, le mélange entre pression économique, mesures stratégiques et mesures militaires peut varier d’un pays à l’autre. Mais tous les grands pays ont compris depuis au moins deux décennies, et parfois beaucoup plus, que la diplomatie était le résultat d’une influence économique, d’une influence politique, d’une influence militaire et d’une influence médiatique.

Renoncer au multilatéralisme n’est-il pas particulièrement préjudiciable pour l’équilibre du monde sur le long terme ?

Le  » multilatéralisme « , défini comme l’instauration de normes et de règles supranationales est mort-né depuis longtemps. Le retour de la politique des Etats, avec la question centrale de la souveraineté, est acté depuis la fin des années 1990. Ce qui importe désormais est la construction d’alliances interétatiques sur des question précises, que ces questions soient générales ou qu’elles aient une pertinence purement régionale. Le respect des grandes règles issues de près de quatre siècles de relations internationales (non-ingérence, traitement à égalité de chaque Etat, respect du droit international) est la condition de la stabilité du monde à long terme. Cela fut dit par le président russe Vladimir Poutine à Munich en 2007, mais à l’évidence il ne fut ni lu ni écouté, ni encore moins compris.

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