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Israël :  » Netanyahou est un faible « 

Le Vif

Le conflit israélo-palestinien serait-il sans fin ? Historien et intellectuel, Zeev Sternhell fustige l’absence de vision des dirigeants de l’Etat juif. Qui devront signer la paix, un jour, avec leurs ennemis.

Israël et le Hamas sont engagés à Gaza depuis le 7 juillet dans un affrontement d’une rare intensité. Cette escalade, ni le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, ni le mouvement islamiste n’en voulaient. Mais les deux parties se sont laissé entraîner dans un engrenage infernal après le kidnapping et l’assassinat de trois jeunes Israéliens, suivi du meurtre d’un adolescent palestinien, en juin. Historien et intellectuel influent, Zeev Sternhell, l’une des consciences de la gauche israélienne, voit dans cet enchaînement de violences la preuve que son pays est d’abord menacé de l’intérieur. Par un conflit redevenu explosif avec les Palestiniens, bien sûr, mais aussi par la montée d’un fanatisme nationaliste et religieux au sein de la société israélienne, auquel le Premier ministre ne semble guère résister.

Le Vif/L’Express : Une offensive à Gaza était-elle inévitable ?

Zeev Sternhell : Personne ne souhaitait vraiment cette situation ; la vraie question est de comprendre comment on en est arrivé là. En fait, Netanyahou en voulait à Mahmoud Abbas (président de l’Autorité palestinienne et leader du Fatah) d’avoir créé, le 2 juin, un nouveau gouvernement d’unité soutenu par le Hamas. Plutôt que d’y voir une chance à saisir, il l’a immédiatement considéré comme une menace. Dix jours plus tard, l’enlèvement des trois jeunes Israéliens a donné lieu à un ratissage de la Cisjordanie qui n’avait pas pour objectif de retrouver ces garçons – on savait dès le lendemain qu’ils avaient été tués. Le but était de faire payer aux Palestiniens le prix à la fois de ces assassinats et de cet accord. De Gaza, le Hamas a choisi de répliquer à l’attaque de ses structures en Cisjordanie. D’où l’engrenage… Quoi qu’il en soit, les affrontements avec Gaza sont récurrents, d’autant que le Hamas se veut le porte-drapeau de la guerre contre Israël. Et puis, les conditions de vie que nous avons créées là-bas sont désastreuses. Comment pourraient-ils rester sans rien faire dans cette prison à ciel ouvert ? Gaza paie aujourd’hui un prix élevé en termes de morts, mais le Hamas considère que c’est la seule façon d’affirmer sa présence et sa spécificité. Le Fatah, lui, est censé avoir hissé le drapeau de la paix.

Que peut-il se passer ?

Une reconquête de Gaza, comme l’exige la droite dure, n’est pas envisageable. C’est de la démagogie pure. Qu’y ferait-on, le jour d’après ? Personne n’envisage sérieusement la possibilité de se débarrasser du Hamas. Comme d’habitude, on va sans doute vers un cessez-le-feu. L’Egypte d’Al-Sissi n’est pas fâchée que le Hamas, allié des Frères musulmans, prenne quelques coups, mais finira par intervenir afin d’aider à trouver un accord (NDLR : une offre de trêve a été proposée aux belligérants en milieu de semaine par Le Caire). Les tirs de roquette d’un côté, les bombardements de l’autre, tout cela cessera. Mais ce n’est pas une fin en soi, s’il s’agit seulement d’attendre la prochaine confrontation. En l’absence d’un compromis raisonnable qui donnerait à Gaza de l’air et des perspectives d’avenir, rien ne changera. La situation restera impossible pour eux comme pour les Israéliens qui vivent, surtout dans le sud, à la merci des tirs de roquette.

Netanyahou agit-il sous pression de sa droite ?

La droite dure, majoritaire au gouvernement, veut poursuivre l’affrontement avec les Palestiniens : la terre d’Israël est pour elle plus importante que la paix. A l’en croire, nous serions les seuls propriétaires légitimes de la Palestine historique et il faut obliger les Palestiniens à accepter ce principe. La question est de savoir si Netanyahou agit sous la pression de cette droite-là ou s’il en fait lui-même partie. C’est un faible, en réalité. Il admire Churchill mais, pour incarner un homme politique de cette stature, il faut savoir reconnaître une situation historique et entraîner un peuple derrière soi. Pas se traîner derrière. Il y a en ce moment une occasion historique à saisir. Personne ne serait plus heureux que moi s’il y avait en Netanyahou une étincelle de gaullisme, mais je n’y crois pas.

La principale menace pour Israël est-elle le conflit non résolu avec les Palestiniens ?

Bien sûr. Dans le contexte régional, nous sommes aujourd’hui dans la situation stratégique la plus avantageuse qui soit. Nos voisins arabes ne sont plus capables de lancer une guerre comme en 1967 ou en 1973, et la dictature militaire en Egypte nous est favorable. A Vienne, les négociations sont en passe de trouver un début de réponse à la menace nucléaire iranienne – même si, par principe, nous ne manquerons pas de dire que nous sommes mécontents de ce qui sera décidé. Le vrai problème pour nous, c’est ce conflit avec les Palestiniens. Car il s’agit de l’avenir de l’Etat d’Israël. Nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter le partage de la terre entre deux Etats.

Sinon ?

Sinon, ce ne peut être qu’une situation coloniale, d’apartheid. L’autre solution, un Etat binational, marquerait la fin d’Israël, la fin du sionisme, et provoquerait une guerre civile permanente. Un montage institutionnel semblable n’a pas tenu à Chypre, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ont éclaté, il y a des problèmes au Québec, la Belgique est incapable de mettre sur pied un gouvernement… Et nous, nous serions les pionniers d’un Etat binational où tout le monde vivrait heureux et en paix ? C’est une vue de l’esprit.

Un accord de paix peut-il être imposé ?

Les pressions extérieures sont d’une importance capitale. Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables d’une mobilisation intellectuelle et morale suffisante pour dire nous-mêmes que la guerre d’indépendance s’est terminée en 1949 et que la poursuite de la colonisation après 1967 a été une erreur historique qu’il faut maintenant réparer. La droite israélienne pense que les Palestiniens ne sont pas un problème, qu’on pourrait soit les acheter par des faveurs économiques, soit les briser, soit les dominer. Elle ne bougera que si elle est contrainte par une force supérieure. Toute solution raisonnable doit donc être internationale, avec la participation des Etats-Unis et de l’Union européenne. Sans oublier les pays du Golfe et l’Arabie saoudite, prêts aussi à promouvoir un accord. Ils ont l’argent qu’il faut pour cela.

En Cisjordanie, le Fatah paraît fragilisé…

Le Fatah est très affaibli auprès des Palestiniens, qui le considèrent comme un « semi-collabo » en raison de sa coopération sécuritaire avec l’armée israélienne. Il ne sera pas facile pour Mahmoud Abbas de regagner la confiance de la population et de parvenir à un accord satisfaisant avec le Hamas. La réconciliation entre les deux mouvements n’en est pas vraiment une, car ils se haïssent. Ils ont compris que l’un des deux devra, un jour, accepter le leadership de l’autre.

Un jeune Palestinien a été brûlé vif en représailles, semble-t-il, à l’enlèvement et à l’assassinat de trois étudiants israéliens. Est-ce un signe ?

Cet assassinat est la preuve d’une radicalisation religieuse et nationaliste dramatique d’une partie de la société israélienne, et d’une forme de « barbarisation ». Cela a commencé il y a plusieurs années. Or, la droite marginale et fanatique se trouve aujourd’hui beaucoup plus au centre – une évolution à mettre en parallèle avec la colonisation, qui agit comme un cancer et menace de mettre fin à la démocratie de l’Etat d’Israël. Débarrassé des colonies et de la Cisjordanie, Israël serait pourtant un pays dont on pourrait s’enorgueillir et où il ferait bon vivre.

Où est passé le camp de la paix ?

Ceux qui sont descendus dans la rue lors de la première guerre du Liban, dans les années 1980, ou la nuit de l’assassinat de Rabin, en 1995, sont toujours là, mais ils ne sont pas organisés. Parmi les politiques, malheureusement, les travaillistes et les membres des partis du centre semblent craindre la puissance du nationalisme ambiant et n’osent pas s’exprimer. C’est l’échec historique incarné par Shimon Peres : adulé partout dans le monde, il est pourtant le symbole de tout ce qui s’est détraqué dans la société israélienne. Tous ces dirigeants sont des poltrons. Ils savent que la situation actuelle est un malheur sans nom, mais ils n’osent pas traduire leurs convictions en action politique.

N’y a-t-il pas une difficulté pour les Israéliens à penser l’Autre ?

Si, depuis toujours. Nous peinons à nous placer sur le plan des valeurs universelles. Nous refusons de voir que le droit d’être maître de son sort est un droit dont devraient également bénéficier les Palestiniens. Cet aveuglement nous a parfois rendu service ; il a été un élément de notre force et de notre puissance. Mais ce qui était légitime, car nécessaire, jusqu’en 1949, a cessé de l’être une fois que l’Etat d’Israël a été formé. Depuis lors, la poursuite du processus de conquête a perdu toute légitimité, juridiquement et aussi, moralement.

Propos recueillis par Marie de Vergès

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