Les coranistes, qui prient souvent chez eux, privilégient l'accès direct au Livre saint. © YOUSSEF BOUDLAL/REUTERS

Islam: regain d’intérêt pour les courants libéraux

Le rejet de Daech et de l’orthodoxie wahhabite suscite un regain d’intérêt pour les courants libéraux de l’islam. Exemple avec le coranisme qui se détourne des hadiths en contradiction avec le Livre saint.

A la fois très ancien et très moderne, le coranisme est une facette peu connue et ultraminoritaire de l’islam. Cette nébuleuse a ses lettres de noblesse et des auteurs prestigieux, tel Gamal al-Banna, frère du fondateur de la confrérie des Frères musulmans et grand-oncle de Tariq Ramadan, tenant, lui, d’une réforme conservatrice de l’islam. Aujourd’hui, Ghaleb Bencheikh, animateur des émissions Islam (France 2), Questions d’islam (France Culture) et président de la Fondation de l’islam de France, incarne le refus religieux de l’orthodoxie wahhabite, une vision rigoriste de l’islam en vigueur en Arabie saoudite, quel que soit le nom qu’on lui donne.

La plupart des coranistes que je connais sont engagés socialement.

Les coranistes privilégient l’accès direct au Livre saint et se distancient de l’héritage sunnite des hadith, les paroles et actes attribués au Prophète et consignés deux cents ans après la geste mahométane, qui en contredisent parfois le message. Par exemple, la maxime bien connue du Coran  » Il n’y a pas de contrainte en matière de religion  » (sourate 2-verset 256) est démentie par la non moins célèbre exhortation prêtée à Mohamed dans le hadith de l’imam Boukhari (810 – 870) :  » Celui qui change de religion, tuez-le !  » Se référer exclusivement au Coran permet de faire l’économie de la lapidation des femmes adultères, de la peine de mort pour apostasie ou du caractère obligatoire du port du voile.

Rien d’évident. Le 25 novembre dernier, la conférence  » Faut-il libéraliser l’islam pour un islam européen ?  » qui s’inscrivait dans ce mouvement coraniste, avec le militant Hamid Benichou et la blogueuse Manel Msalmi, était organisée par le Cercle des étudiants libéraux de l’université Saint-Louis, à Bruxelles. Elle a été perturbée par les banderoles d’étudiants du Comac (mouvement de jeunesse du PTB), d’Ecolo et d’Amnesty International. Motifs allégués :  » On tape trop sur l’islam « ,  » Il n’a pas besoin d’être libéralisé « . La salle était clairsemée, très loin des foules rassemblées par Tariq Ramadan, hommes d’un côté, femmes de l’autre, du temps où il labourait le terrain bruxellois.

Un antidote au communautarisme

Salman s’est converti très jeune à l’islam via le coranisme  » qui ne prétend pas qu’une communauté est meilleure que les autres, où les injonctions juridiques et sociales ne sont pas en décalage avec la société, où chacun est à même de comprendre et d’interpréter le Coran avec une bonne connaissance de la langue arabe et de son contexte historique « . Son credo :  » Les premiers musulmans n’avaient pas de Livre saint et vivaient la révélation en direct, guidés par le Prophète. Lorsqu’il est mort, sa mission était terminée. On n’a pas à revenir des siècles après sur ce qu’il aurait dit ou fait, ou ajouter, supprimer et réorienter des versets du Coran.  » Notre interlocuteur rappelle que dans l’ibadisme, la plus ancienne école juridique de l’islam, encore vivace dans le sultanat d’Oman et certaines régions du Maghreb, les hadith ne peuvent abroger une sourate du Coran.

Radouane Attiya, chercheur à l'ULiège et directeur de l'Institut de promotion des formations sur l'islam.
Radouane Attiya, chercheur à l’ULiège et directeur de l’Institut de promotion des formations sur l’islam.© DEBBY TERMONIA

Cette culture  » protestante  » du texte et de son examen éclairé n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la pensée musulmane.  » Au viiie siècle, le mutazilisme développait un modèle interprétatif rationalisant qui privilégiait l’individu et son rapport au Texte, indique Radouane Attiya, chercheur à l’ULiège et directeur de l’Institut de promotion des formations sur l’islam. L’influence du mutazilisme s’estompera au fil des siècles. Il a survécu à travers certains aspects du chiisme, comme l’exégèse sous la conduite des grands imams, mais, dans le sunnisme, il a été disqualifié par des courants théologico- juridiques traditionnels, bien que la raison joue un rôle plus ou moins important dans certaines écoles de l’islam sunnite.  » Conclusion de Radouane Attiya :  » Le coranisme est une forme de subversion de l’autorité classique.  »

Pour comprendre le Coran, Salman s’aide de la biographie de Mohamed (Sira, ixe siècle) et de  » tous les textes historiques de l’époque, y compris les sources extérieurs à l’islam naissant et surtout de la Bible au sens large, dont certains textes dit apocryphes.  » Il suit certains auteurs du Coran des historiens et s’intéresse aux fouilles archéologiques en Arabie saoudite qui donnent un nouvel éclairage aux débuts de l’islam. Ce besoin de connaissance s’accompagne d’une morale personnelle qui repose moins sur la peur de l’Au-delà que sur le libre arbitre.  » La plupart des coranistes que je connais sont engagés socialement « , observe-t-il. En tant que musulman, il respecte le jeûne du ramadan et prie indifféremment dans des mosquées sunnites et chiites de Bruxelles, mais le plus souvent chez lui, vu  » l’importance dans les mosquées des Frères musulmans et des wahhabites « .

Musulmans libéraux ?

S’il existe des écoles coranistes du Sénégal à l’Indonésie, les coranistes européens préfèrent se qualifier de musulmans libéraux. C’est le cas de la théologienne Kahina Bahloul, l’imame de la nouvelle mosquée Fatima de Paris. Ce domaine religieux est actuellement en pleine effervescence. Figure bien connue de l’islam turc de Liège et professeur de religion islamique dans des établissements de la Province, Ismaïl Batakli a assisté à la conférence de Youssef Seddik, le 9 novembre dernier, à l’invitation du Centre culturel arabe du Pays de Liège. Philosophe, anthropologue et islamologue tunisien de renommée internationale, Youssef Seddik recommande de lire le Coran avec un regard neuf, en dehors de toute source traditionnelle. Ismaïl Batakli se décrit-il comme coraniste ?  » Je suis musulman et ce qualificatif me suffit amplement, rétorque-t-il. Ma réputation de coraniste provient de l’incompréhension de certains à l’égard du paradigme que j’ai adopté à l’égard du texte fondateur, qui consiste à le mettre au centre de ma vie et à lui donner la priorité sur toutes les autres sources qui doivent être considérées à la lumière du Livre révélé.  » Selon lui, les hadith n’ont pas le même statut que le Coran,  » mais ils font partie du patrimoine culturel et historique de l’islam et s’ils n’entrent pas en contradiction avec le Coran, je les accepte.  » Il cite l’ancien président du ministère turc des Affaires religieuses (Diyanet), Mehmet Görmez :  » Peu importe le degré d’authenticité de la chaîne de transmission du hadith, la première condition à chercher dans le texte d’un hadith est sa conformité au Coran.  » La discussion est lancée.

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