Ici, des ouvriers d'une usine Foxconn, le plus gros sous-traitant d'Apple en Chine. © REUTERS

Infiltré dans une usine chinoise d’iPhone, un étudiant raconte ses conditions de travail

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Dejian Zeng est un étudiant de la New York University. L’été dernier, il a passé 6 semaines à travailler dans une usine d’assemblage de produits Apple, près de Shanghai en Chine. Il a infiltré cette usine dans le cadre d’un projet d’étude. Interviewé par Businness Insider, il raconte ses conditions de travail et donne son avis sur la politique protectionniste de Donald Trump.

Dejian Zeng est un étudiant new-yorkais d’origine chinoise. L’été dernier, sous couvert d’anonymat, il a travaillé pendant 6 semaines sur une ligne de production d’iPhone 6S et 7 de l’usine Pegatron en Chine. Dans le cadre d’un projet d’étude, il a voulu se rendre compte des conditions de travail controversées des sous-traitants de la marque à la pomme. Zeng a choisi le site de Changshou parce qu’il a fait l’objet de reportages réguliers à mesure qu’Apple annonçait des améliorations de la situation des travailleurs suite aux différents problèmes – dont des suicides à la chaîne d’employés – rencontrés chez FoxConn, un autre de ses sous-traitants majeurs.

Sa tâche précise au sein de l’usine consistait à fixer le haut-parleur sur le boîtier du smartphone à l’aide d’une seule vis, encore et encore et encore, à longueur de journée jusqu’à en devenir presque fou. Il a raconté son expérience au site Business Insider.

« Les premiers jours, on est très concentré parce qu’il est difficile de rattraper la vitesse de la ligne d’assemblage. Il faut être très rapide. Donc, on reste très concentré et cela fatigue beaucoup, mais on garde l’esprit éveillé. On n’a pas le temps de penser à autre chose, il faut se montrer de plus en plus rapide. Ensuite, après quelque temps, on s’habitue et à la fin, je savais presque placer la vis les yeux fermés. Juste comme ça. Donc, après, on a beaucoup de temps libre. De nombreuses personnes s’ennuient, car dans l’enceinte des usines Pegatron, aucun appareil électronique n’est autorisé. C’est très ennuyeux de ne pas pouvoir écouter de la musique. Parfois, les travailleurs se parlent, mais leur responsable s’énervent et leur demande de baisser le ton« , témoigne-t-il.

Dejian explique aussi les tests de production de l’iPhone 7 : « Pendant une journée, vous ne produisez que cinq smartphones et vous passez donc près de 12 heures à ne rien faire. C’est une véritable torture. »Le travailleur doit alors attendre et attendre le prochain iPhone à assembler.

D’autres postes sont moins aliénants et plus faciles, comme juste apposer un autocollant sur l’appareil ou au département recyclage où les ouvriers n’ont pratiquement rien à faire, ils doivent juste attendre que des déchets arrivent pour les trier. Selon Zeng, les fonctions les plus faciles sont assignées aux personnes appréciées par les managers, parfois des filles. Les hommes font toujours de la fixation de vis.

Après deux heures de travail, 10 minutes de pause sont accordées. « Pendant la pause, beaucoup de personnes font un petit somme, c’est très difficile, car c’est vraiment court. Et si on veut aller aux toilettes ou boire un verre d’eau, il faut traverser un immense atelier et ensuite revenir à son poste, cela prend déjà 10 minutes », explique l’étudiant.

Il raconte aussi que pendant la pause de midi qui dure 50 minutes, les ouvriers qui veulent se reposer et qui sont surpris allongés sont réprimandés. Leur manager est informé de leur comportement et des ponctions sur salaire peuvent être appliquées. « Le problème n’est pas de s’endormir mais d’être surpris allongé. Il y a certaines attitudes proscrites dans l’usine. La même chose peut se passer si quelqu’un introduit de façon involontaire un téléphone dans l’usine (…), il est alors fiché. »

Semaine de 60 heures

L’usine fonctionne avec différents shifts, de jour et de nuit. Certains ouvriers commencent à 21h30 et finissent au petit matin, d’autres prennent le relais dès 6h30. Au total, sur une journée, les travailleurs prestent 12 heures, pauses et temps de midi compris. A cela se rajoutent les contrôles de sécurité à l’entrée du bâtiment, de 30 minutes environ. Une sécurité qui a été renforcée par des fouilles et des détecteurs de métaux lors du passage à la production de l’iPhone 7.

Dejian Zeng
Dejian Zeng© DR

Apple impose le suivi de règles strictes pour le payement correct des heures supplémentaires. Selon l’entreprise américaine, les ouvriers travaillent en moyenne 43 heures par semaine chez Pegatron et en tout cas moins de 60 heures quand on compte les heures supplémentaires.

Mais pour Zeng, ce système des heures supplémentaires est vicieux, car de nombreux ouvriers sont tentés d’en prester plus qu’ils ne devraient pour augmenter leur salaire de base trop bas. « Ils ne peuvent pas gagner leur vie sans faire des heures supplémentaires, c’est la raison pour laquelle, ils se portent ‘volontaires’ pour travailler plus ». Les semaines prestées peuvent, selon lui, avoisiner les 60 heures en période chargée. Lors de la production de l’iPhone 7, certains ouvriers ont dit à Zeng avoir travaillé 11 jours d’affilée, dimanche compris. En période de rush, les vacances sont tout simplement proscrites. Et en général, concernant les demandes de congé, les réactions des responsables ne sont pas vraiment positives.

Le campus de l’usine peut accueillir environ 100 000 travailleurs et Pegatron est encore en train d’agrandir ses installations. Concernant ses conditions d’hébergement, Zeng raconte avoir dormi dans des dortoirs de 8 personnes à proximité de l’usine. Les travailleurs sont amenés au travail chaque matin par navette et ramenés en fin de journée.

Le soir, les ouvriers peuvent prendre une douche (pas toujours chaude), regarder des vidéos…et se couchent, épuisés, vers 22 heures. Ils ne disposent donc pas de beaucoup de temps libre, ce qui pose problème selon l’étudiant américain. Pour les couples, des appartements sont prévus en dehors du campus, car ils ne sont pas autorisés dans les dortoirs. Bémol: le loyer est plus élevé.

Concernant le profil des travailleurs, Zeng explique qu’il s’agit vraiment d’un job alimentaire que les Chinois endossent quelques mois pour rapporter de l’argent à leur famille. Au bout d’une année, au mieux, ils peuvent devenir responsables d’une ligne d’assemblage, mais la plupart quittent avant d’être promus. « Le turn-over est très important. Il est normal pour un ouvrier de travailler deux semaines ou un mois et puis de démissionner. » A la question de savoir si les travailleurs aiment leur boulot, l’étudiant répond : « Je ne dirais pas qu’on l’aime ou qu’on le déteste. La seule chose à laquelle on pense c’est l’argent, l’argent, l’argent. Je dois gagner de l’argent pour ma famille et pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants.« 

Il détaille aussi les importants et nombreux contrôles de sécurité lors de l’introduction d’un nouveau modèle d’iPhone qui n’a pas encore été dévoilé. Les ouvriers, eux, sont bien conscients qu’ils travaillent pour Apple et se sentent partie intégrante du processus de fabrication. L’usine est régulièrement inspectée par du personnel d’Apple qui vient contrôler les lignes d’assemblage et lancer la production de nouveaux modèles.

Des rapports d’entreprise indiquent que des formations sont proposées au personnel « mais quand vous travaillez 12 heures par jour, vous êtes épuisés et tout ce que vous désirez, c’est vous reposer », explique Zeng. Une grande attention est cependant portée à la sécurité. L’entreprise veille aussi bien à ne pas engager de mineurs d’âge. Le personnel est également informé sur les règles internes d’Apple. Les travailleurs sont aussi couverts en cas d’accident de travail, leurs frais médicaux sont remboursés.

Zeng évoque la difficulté en Chine de se réunir entre employés et de former des syndicats à cause du roulement élevé du personnel et au fait qu’aucun ne se sent vraiment l’âme d’un leader pour défendre leurs droits. Tout ce qu’ils veulent, c’est gagner leur vie et raisonnent de la sorte s’ils ne sont pas satisfaits : « Je quitte simplement l’usine. Je déteste cet endroit. Il y a d’autres usines et d’autres emplois. Je démissionne simplement. »

450 dollars par mois

L’étudiant infitré explique qu’à l’engagement, certains profils de personnes sont discriminés. « Si vous êtes séropositif, par exemple, je ne suis pas certain que vous soyez autorisé à travailler, mais pour les femmes enceintes j’en suis sûr. Le médecin l’a dit clairementde la sorte: ‘écoutez, si vous êtes enceinte ou que vous avez un tatouage de plus de 10 cm, vous n’êtes pas autorisés à pénétrer dans l’usine, donc, inutile de passer l’examen médical' ». Selon Dejian Zeng, les employés du sous-traitant sont tous éduqués, ont beaucoup de conversation et discutent de relations internationales durant leurs pauses. En Chine, la situation sociale des ouvriers des usines qui produisent les iPhones est considérée comme une position basse de la société.

Zeng aborde aussi dans son interview la question des salaires. Pour un mois passé au sein de Pegatron, il a touché environ 3100 yuans, soit plus ou moins 450 dollars (425 euros) ajoutés à cela 1500 yuans pour les deux semaines restantes. Ce montant représente le salaire de base amajoré des heures supplémentaires. Le salaire de base fixé par les autorités de la ville de Shanghai est très bas, soit 2320 yuans (400 dollars/377 euros par mois). La plupart des ouvriers n’ont donc pas les moyens de s’acheter un iPhone avec ce salaire mensuel. Apple a fait savoir par la suite à Business Insider que le salaire de base chez Pegatron avait été augmenté de plus de 50% sur les 5 dernières années et était plus élevé que le minimum légal à Shanghai.

Zeng donne aussi son avis concernant la volonté de Trump de rapatrier les usines d’assemblage des produits américains sur le sol US, il trouve la proposition « irréaliste ». Une des raisons évoquées : les salaires. « Quel sera le salaire de base des travailleurs américains ?« , s’interroge-t-il.

« Si cela arrive vraiment, si des usines déménagent aux Etats-Unis, je ne pense pas que cela créerait de nombreux jobs, je vois plutôt des ouvriers remplacés par des machines, car la plupart des tâches que je vois dans ces usines pourraient être réalisées par des robots. La seule raison pour laquelle nous le faisons, c’est parce que notre boulot est moins cher que celui d’une machine. »

Suite à son expérience, Dejian Zeng a décidé de poursuivre une carrière dans les ONG qui défendent les droits de l’homme.

Lire l’interview dans son intégralite sur le site Business Insider

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