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Independence day à Barcelone

Le Vif

Une pluie glacée douche Barcelone. Dans la chaleur des foyers, une question se pose : « To vote or not to vote ? » Voilà des semaines qu’elle fait débat parmi les 5,5 millions de Catalans appelés à voter dans le cadre du référendum d’autodétermination décidé par le gouvernement régional de la Catalogne et que Madrid qualifie d’illégal.

De fait, ces dernières semaines, tout a été fait pour que le vote n’ait pas lieu : saisies des bulletins, menaces à l’encontre des fonctionnaires qui y participeraient, fermeture de sites internet faisant la promotion du referendum, envoi de dix mille policiers espagnols en renfort… Suffisant pour calmer les ardeurs catalanes ? Pas si sûr.

Sur le passeig de Maragall, les passants médusés assistent au défilé des camionnettes anti-émeutes. Les hélicoptères de la police survolent la ville. Un déploiement des forces de l’ordre qui contraste avec les longues files de voisins en ciré qui papotent sur le trottoir en attendant de voter. Comme devant l’école Antoni Balmanya, à El Guinardó, paisible quartier résidentiel situé à quelques stations de métro du centre de Barcelone. Le trottoir est bondé. Les voitures klaxonnent en signe de soutien et sont acclamées en retour. Pablo s’est porté volontaire pour aider à l’organisation du référendum. Reclu depuis deux jours dans l’école, il explique : « On occupe l’école depuis vendredi après-midi pour interdire à la police de la fermer. Ce matin on évacue les personnes âgées et les plus jeunes au cas où ils interviendraient pour interdire le vote « . A 10h du matin, pas l’ombre d’un policier, mais le vote n’a pas pu commencer pour autant. « Il y a des problèmes avec le système informatique. Le site pour charger les votes ne fonctionne qu’au ralenti « , dénonce Pablo. Aux intempéries s’ajoutent donc les problèmes techniques. Malgré cela, la foule massée devant l’école reprend en coeur des « Votarem, votarem  » (nous voterons).

José Luis, commercial dans le civil, a bravé le froid en polo : « On est nombreux, on se tient chaud « . Il est venu pour voter oui à l’indépendance, coûte que coûte : « Notre référendum est illégal pour Madrid. Je le déplore, mais c’est normal que la police ait l’ordre d’intervenir. Il faut assumer, mais de façon pacifique « . Ce dernier mot est dans toutes les bouches. Daniel est psychologue. Il confirme : « C’est un trait de caractère du Catalan. Ici les gens ne sont pas violents. Ils se mobilisent en souriant, sans brûler de voitures. Rien à voir avec le Pays basque « . De fait, l’ensemble des partis politiques catalans a multiplié les appels au calme. Histoire de ne pas écorner l’image de la mobilisation.

Independence day à Barcelone
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Juan, mécanicien à la retraite, demande comment passer son smartphone en mode avion. Une requête des organisateurs pour ne pas empiéter sur le signal et faire en sorte que les votes puissent commencer à être enregistrés en ligne. Cela fait deux heures qu’il fait le pied de grue. « J’ai laissé ma femme à la maison, car elle a subi une opération des pieds. Dès que les bureaux de vote ouvrent, je cours la chercher « . En attendant, il dénonce l’absence de dialogue de la part du gouvernement central : « Cela fait des mois que Mariano Rajoy refuse tout bonnement de discuter. Il doit penser qu’il va gagner des votes dans le reste de l’Espagne en jouant la carte de la fermeté. » Contrairement à certains retraités, plutôt tentés pour le statu quo, Juan n’est pas inquiet pour sa pension : « Je suis persuadé qu’elle augmenterait avec l’indépendance. Nous sommes un peuple sérieux, avec une mentalité de travailleurs et l’esprit d’entreprise « . Comme beaucoup de partisans du oui, Juan dénonce une injustice fiscale : « On en a marre de payer pour tout le reste de l’Espagne « . La Catalogne est l’une des régions les plus prospères du pays et bon nombre de Catalans exigent que le produit de l’impôt payé par les Catalans reste en Catalogne. « Comme au Pays basque « , appuie Juan. Madrid ne l’entend pas de cette oreille.

Dans un bar de la Ronda Guinardó, à l’heure du déjeuner, le garçon de café montre aux clients une vidéo qu’il a reçu sur whatsapp : une intervention musclée de la police dans un centre de santé du quartier qui tenait lieu de bureau de vote. On voit des hommes en noir, suréquipés, tirer les cheveux ou pousser des personnes assises qui résistent pacifiquement. « Des femmes et des vieux « , s’indigne le jeune homme. Le patron attend que le dernier client soit sorti pour embrayer : « Le référendum est un sujet sensible. On ne peut pas dire n’importe quoi devant n’importe qui. » Il n’ira pas voter, car il considère que le scrutin n’a aucune valeur étant hors-la-loi. Une position assez largement partagée par les tenants du non, qui ne se déplacent pas et qu’on n’a quasiment pas entendus pendant la campagne. Le patron en remet une couche : « Les gens qui votent oui ne savent pas ce pour quoi ils votent. Ils ne votent pas pour un projet de pays, mais pour un sentiment« .

Les tensions récentes sont une véritable fabrique à indépendantistes

Joint par téléphone, Fabrice Corons, maître de conférence en Catalan à l’Université de Toulouse Jean Jaurès, décortique les spécificités de l’identité catalane : « 

Historiquement, c’est une identité de résistance, une identité qui se construit notamment contre le projet d’intégration et d’assimilation de l’Espagne. Autant dire que les tensions récentes sont une véritable fabrique à indépendantistes.Et puis, par rapport à leurs aînés qui étaient dans une logique de construire le vivre ensemble post-franquisme, la nouvelle génération a baigné depuis toujours dans la langue et la culture catalane. Pour beaucoup, l’Etat espagnol n’est plus qu’une machine administrative.  »

Devant l’école Torrent d’en Melis, tous les âges sont pourtant représentés. Et les pompiers volontaires sont au four et au moulin. « On fait entrer et sortir les gens, on fait passer les personnes âgées ou ceux qui ont des problèmes de santé en priorité« , explique Juan, casque jaune sur la tête. Des rumeurs enflamment la foule à intervalles réguliers. La police nationale se préparerait à intervenir. Alors, les gens se massent devant la porte pour faire barrage. Fausse alerte. La file d’attente se reforme. Elena, sans emploi, est là depuis ce matin : « J’ai déjà perdu plusieurs fois ma place en allant faire tampon. Mais j’espère bien voter avant ce soir « . Sa confiance en l’Espagne, en revanche, est au plus bas : « Ils ne nous comprennent pas, ni ne veulent nous comprendre. On veut simplement voter et la police nous tape dessus. Comment continuer ensemble après ces évènements ? » A la mi-journée le gouvernement de Catalogne annonce près de 465 blessés suite aux interventions de la police, qui déplore de son côté 9 policiers et 3 gardes civils blessés.

Et les partisans du non ? Ils sont restés chez eux, pour la plupart. Seuls quelques excités sont de sortie. Via Laietana, dans le Centre, la police escorte un cortège d’une cinquantaine de manifestants anti-référendum qui entonne des « Vive l’Espagne » à tue-tête. Une dame tirée à quatre épingles accuse les badauds de trahison à la patrie. Quelques mètres derrière elle, quatre ivrognes titubent, hilares, enveloppés dans des drapeaux rouges et jaunes. Ils déclenchent le commentaire désabusé du policier chargé de les protéger : « Si ce sont eux qui représentent l’Espagne… « 

Independence day à Barcelone
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La tension monte quelques centaines de mètres plus loin. Au centre de la très symbolique Place de la Catalogne, un homme couvert de noir, le visage encapuchonné, brandit un drapeau espagnol tout en répondant aux questions des journalistes. Autour de lui, des molosses en jogging. Soudain, un individu surgit et jette le drapeau à terre. Les injures fusent. « Pas de ça Place de la Catalogne « , crie l’un. « On est en Espagne « , répond l’autre. Les policiers s’interposent et supplient le petit groupe de se retirer. Autour d’eux la foule grossit. Casquette Ducati sur le chef, clope au bec, un crâne rasé visiblement éméché tente un salut franquiste avant que le groupe ne quitte la place sous escorte policière. Pendant ce temps, des techniciens installent une estrade et un écran géant aux couleurs du oui.

Quelques heures plus tard, alors que le décompte des voix est en cours, une foule attentive suit l’intervention de Mariano Rajoy par grand écran interposé. Les sifflets et appels à la démission ponctuent le discours du chef du gouvernement. Le retour à la normale qu’il appelle de ses voeux n’a pas été entendu, du moins par la foule concentrée Place de la Catalogne. Clara, étudiante, a voté cet après-midi à Sabadell, près de Barcelone : « Je ne sais pas quelle valeur aura le vote, vu les conditions d’organisation, mais Rajoy s’est littéralement tiré une balle dans le pied. Il y a plus de 800 blessés et les images des interventions de la police circulent désormais dans le monde entier. Il y a certainement plus de Catalans favorables à l’indépendance ce soir que ce matin « . Son ami, Marc, abonde : « Les indépendantistes ont gagné la guerre des images « . En attendant les résultats, la foule réagit aux images à l’écran. Gérard Piqué dont la voix se brise en évoquant les événements du jour est acclamé. Tout comme deux policières catalanes en larmes après une intervention de la police nationale.

Alors que l’intervention du chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont est attendue, Antonio, venu en voisin, pondère l’enthousiasme ambiant : « Rajoy a très mal géré la situation, mais Puigdemont est un opportuniste. Lui et son gouvernement ont divisé le peuple catalan pour pouvoir déclarer unilatéralement l’indépendance de la Catalogne.« .

A 22h30, ce dernier prend la parole depuis le Palais de la Generalitat. La Place de la Catalogne exulte. L’homme a l’air marqué. Le discours manque de rythme. Non, les résultats ne sont pas encore disponibles. Oui, ceux-ci seront rapidement présentés au Parlement de Catalogne qui agira en conséquence. Il faudra attendre minuit passé pour y voir plus clair : plus de deux millions de votes auraient été enregistrés. Le oui l’emporterait à 90 % sur le non estimé à 7,7 %. Une mascarade pour Madrid. Un triomphe pour Barcelone. La Place de la Catalogne se vide doucement. La journée a été longue, mais cette histoire ne fait que commencer.

Nicolas Zeisler

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