Groupe du vendredi

Ils nous lobbyisent à mort, monsieur

Groupe du vendredi Forum composé de jeunes provenant de divers horizons qui prennent du temps pour la réflexion et le débat

Quand j’étais petit, je me représentais les lobbyistes comme de vieux messieurs à grosses moustaches, dont les visages – entourés par l’épaisse fumée de cigares cubains – s’empourpraient pendant les négociations portant sur toutes sortes d’affaires louches.

Cela se passait évidemment dans de petites arrière-salles, avec à la main l’immanquable mallette débordant de billets de banque. Mais plus j’ai grandi, plus j’ai réalisé que les lobbyistes sont des hommes et des femmes normaux comme vous et moi, n’ayant pas nécessairement des antécédents véreux. Des hommes et des femmes qui font du lobbying pour presque tout ce que vous pouvez imaginer : du béton aux oeufs, des herbicides au pétrole, des armes à feu aux hypocholestérolémiants.

Il n’y a en soi rien de mal à prêcher pour sa propre paroisse, mais le bouchon semble avoir été poussé trop loin. Prenons l’exemple de Bruxelles avec ses nombreuses institutions européennes. En 2003, on estimait à quelque 15 000 le nombre de lobbyistes actifs ayant pour objectif d’orienter la prise de décision politique. À peine dix ans plus tard, leur nombre avait déjà doublé pour atteindre le chiffre hallucinant de 30 000, soit autant que le nombre de personnes travaillant pour la Commission européenne elle-même ! D’après Corporate Europe Observatory, un ‘chien de garde’ européen qui milite pour une plus grande transparence, ces 30 000 lobbyistes ont une influence sur pas moins de trois quarts des décisions politiques. Dans leur récent rapport sur le lobby du sucre, l’ONG dénonce que l’Autorité européenne pour la sécurité alimentaire EFSA suit (trop) souvent l’avis de l’industrie. « Big Sugar » illustre ainsi un point que de nombreux lobbys ont en commun: que la santé de l’homme et de la planète sont obséquieux aux dividendes de leurs actionnaires.

Le lobbying est devenu une industrie brassant des milliards et la réglementation en la matière est désespérément en reste ; les entreprises ne sont toujours pas tenues de faire enregistrer leurs pratiques lobbyistes. La possibilité existe, mais elle n’est que trop peu utilisée.

Outre ce manque d’obligations légales, la théorie du choix publique peut aider à expliquer pourquoi les lobbys connaissent tant de succès. Une réglementation spécifique peut avoir engendré d’importants coûts pour un nombre limité d’acteurs industriels – pensez à des normes environnementales plus sévères. L’industrie a intérêt à mettre tout en oeuvre pour arrêter ou atténuer ces nouvelles règles. Les retombées positives de la nouvelle réglementation sont partagées par un grand nombre de citoyens ce qui fait que le bénéfice par personne semble modeste. En bref, Monsieur Tout Le Monde a peu d’incitants pour s’opposer aux lobbys.

Bien sûr, il y a parfois aussi un ‘contre-lobby’, mais il s’agit là d’une lutte inégale : avec des moyens financiers limités, ils peuvent à peine faire contrepoids face aux géants du pétrole, du sucre et du tabac de ce monde. Le jeu devient plus dangereux lorsque des lobbyistes influents manipulent des preuves scientifiques. Ils deviennent des ‘marchands de doute’: ils sèment le doute dans l’esprit du citoyen afin de pouvoir poursuivre le plus longtemps possible leurs obscures pratiques. Ils finissent bien par plier, cédant sous le poids des preuves qui ne cessent de s’accumuler. On sait que le lobby du tabac a manipulé et trompé l’opinion publique pendant des décennies, bien qu’il existât déjà depuis les années 40 ( !) des preuves concluantes de la relation entre tabagisme et cancer du poumon.

Des pratiques similaires se déroulent encore chaque jour sous nos yeux. Le débat sur l’éventuel caractère cancérigène du glyphosate est absurde : nous savons tous où les soi-disant ‘produits miracles’ tels que le DDT et l’amiante nous ont menés. Le débat sur l’influence des combustibles fossiles sur le réchauffement de la planète nous sera énormément reproché par nos enfants et petits-enfants : leur avenir est hypothéqué par l’étroitesse de vue de la politique actuelle – largement orientée par des lobbys influents (lesquels obtiennent encore en 2016 que six ( !) fois plus de subsides soient affectés aux combustibles fossiles qu’à l’énergie renouvelable).

Il commence à être temps que nous fassions clairement comprendre que notre santé et celle de notre planète valent mieux que cela. Il y aura toujours des lobbys et il est impossible de les arrêter, mais il est de notre devoir moral d’oeuvrer à une plus grande visibilité et à une plus grande ouverture. C’est pourquoi le Groupe du Vendredi a publié l’année dernière une charte déontologique contenant un certain nombre de recommandations :

1) rendre obligatoire l’enregistrement des lobbyistes ; 2) obliger les politiciens et les fonctionnaires à tenir un registre des lobbyistes qu’ils ont rencontrés, lequel sera analysé sur base annuelle par la Cour des Comptes et 3) établir un code de conduite (européen) pour les lobbyistes (comme en Irlande et en Australie), et pour les politiciens afin de les empêcher d’entrer directement au service d’un lobby après leur mandat, le fameux ‘pantouflage’.

Nous aiderons ainsi déjà le lobbyiste le plus important, le lobbyiste le mieux placé pour défendre vos intérêts et les miens dans un monde plus transparent : l’électeur.

Sam Proesmans est médecin, participant à l’émission Flying Doctors sur la VRT et membre du Groupe du Vendredi, une plateforme politique pour jeunes d’horizons divers, soutenu par la Fondation Roi Baudouin.

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