Alep. © REUTERS

« Il n’y a finalement qu’un ciment qui tienne ensemble Russes, Iraniens et Turcs : l’hostilité envers les États-Unis »

Christian Makarian

Aux yeux du monde, Russes, Turcs et Iraniens ont conjointement parrainé le cessez-le-feu en Syrie et lancé un processus diplomatique afin de consolider leur victoire dans le conflit. Derrière tout ça, les trois empires ont bien évidemment des intérêts personnels.

Un nouveau choc guette le Moyen-Orient. Celui qui met aux prises trois empires : l’un est parmi les plus anciens qui furent, l’autre un des plus revanchards qui soient, le troisième un des plus offensifs à venir. Car, derrière une alliance de circonstance, en Syrie, la République islamique d’Iran (héritière de la Perse), la Turquie (qui brandit les oripeaux de l’Empire ottoman) et la Russie (qui a réconcilié les tsars et les soviets) laissent apparaître des ambitions forcément et farouchement contradictoires.

A la face du monde, ces trois puissances ont parrainé un cessez-le-feu en Syrie et lancé un processus diplomatique inédit, à Astana (Kazakhstan), destiné à consolider leur victoire dans le conflit syrien et à compenser leur implication militaire décisive au côté du régime sanglant de Bachar el-Assad. C’est ainsi qu’on a mis en scène les discussions entre les forces rebelles syriennes et le gouvernement de Damas. Pour l’instant, pas d’avancée, mais un cadre de négociations censé tordre le bras des chancelleries occidentales face à l’entente russo-irano-turque. Sur le terrain, pourtant, cette fraternité vole en éclats.

La Turquie vise avant tout la délimitation d’une zone de sécurité le long de sa frontière sud, dans le nord de la Syrie, débarrassée à la fois des éléments kurdes syriens, alliés aux séparatistes kurdes de Turquie, et des djihadistes de Daech, qui multiplient les attentats sur le sol turc. Moyennant quoi, Ankara a besoin de victoires terrestres, ce qui suppose des pertes régulières parmi ses troupes, de vives tensions avec Damas (qui veut garder le contrôle du territoire national) et des dommages collatéraux avec la Russie (dont l’aviation a effectué, le 9 février dernier, une frappe accidentelle meurtrière contre des militaires turcs).

L’Iran, de son côté, recherche, en Syrie comme en Irak, une manière durable de conforter la présence chiite dans toute la région. Ce qui vaut maintenant à Téhéran les reproches accentués d’Ankara, soucieux de demeurer le phare du monde sunnite. Surtout, pour combattre les terroristes sunnites de Daech, les Iraniens favorisent les forces kurdes syriennes, ce qui va complètement à l’encontre des calculs turcs.

Enfin, Moscou cherche à garder le rôle d’arbitre suprême, mais ne réussit pas à dominer son allié iranien, malgré des coopérations militaires précises, tant la méfiance à l’égard des menées russes reste profonde, de la Perse à la République islamique. Quant à l’axe Moscou-Ankara, sous-tendu par d’énormes enjeux en matière d’énergie, il est largement conditionné par l’avenir politique d’Erdogan et reste soumis aux revirements d’alliance dont ce dernier est coutumier. Il n’y a finalement qu’un ciment qui tienne ensemble Russes, Iraniens et Turcs : l’hostilité envers les Etats-Unis. De ce point de vue, le grand flou de l’ère Trump au sujet du Moyen-Orient n’a pas fini d’aiguiser les appétits.

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