© RENAUD CALLEBAUT

« Il faut en finir avec l’humiliation permanente à l’égard des jeunes des banlieues »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Dans son dernier ouvrage Premières neiges sur Pondichéry (1), l’écrivain juif tunisien Hubert Haddad, auteur de plus de trente romans, rend ses vertus à l’exode à travers un héros fatigué du blocage identitaire prévalant en Israël. Plongée dans les identités mouvantes d’un véritable humaniste.

Comme l’affirme un des protagonistes de Premières neiges sur Pondichéry, est-ce par  » l’exil et l’exode que le peuple juif existe  » ?

Le peuple juif a continué à exister par l’exil après la chute du Second Temple de Jérusalem (NDLR : détruit en l’an 70 par les Romains). Mais l’exil est la dimension même de l’humain. Si, chacun, nous explorons notre histoire au-delà de quelques générations, nous venons tous de l’exil. Nous sommes aussi exilés parce que nous appartenons à l’espace du langage, qui fait sans cesse appel à ce qui n’est pas là, à l’absence.

Votre héros, Hochéa Meintzel, musicien juif polonais devenu Israélien, décide d’un nouvel exil, vers l’Inde où il trouve une vie harmonieuse. En choisissant le Kerala, avez-vous voulu démontrer qu’une cohabitation heureuse entre religions est possible ?

De nombreux juifs ont émigré vers l’Inde, surtout à partir de la chute du Second Temple. Ils y ont été accueillis à bras ouverts. Ils n’y ont pas été persécutés (sauf au XVIe siècle, quand Vasco de Gama, explorateur pour le roi du Portugal, a exporté l’Inquisition catholique). Les juifs ont assimilé beaucoup de traits de la culture hindoue, la nourriture, l’habillement… Et ils ont même pu installer, dans la ville de Cranganore, une sorte de principauté à partir de laquelle ils ont exercé le commerce des épices. Aux yeux des hindous, le judaïsme peut parfaitement s’intégrer à leur religion. Pour eux, les divinités ne sont que des avatars. Mais il ne faut pas oublier que les tensions entre hindous et musulmans ont donné lieu à d’épouvantables violences.

L’exil d’Hochéa d’lsraël vers l’Inde traduit-il une défiance à l’égard de l’Etat juif ?

Oui, à l’encontre de l’Etat. Hochéa ne supporte plus le blocage identitaire qui prévaut dans son pays. Israël est né du refus des juifs en Europe. Le sionisme aurait pu se matérialiser, au sein de l’Empire ottoman, par une présence communautaire – comme les chrétiens – dans cette Palestine sans frontières définies. L’horreur du nazisme a provoqué une radicalisation des survivants. On leur interdisait l’intégration en Europe et ils ne disposaient pas de pays. Le capitaine Dreyfus était un bourgeois et un officier respectable qui ne demandait qu’à être intégré. Du fait de la montée des nationalismes, il a été le symbole du rejet de la communauté juive. Il ne faut pas oublier le contexte de l’époque, le grand tourbillon du colonialisme. Celui-vi n’a été possible qu’à partir de l’idéologie concomitante du xixe siècle, le racisme théorisé. Les colonisés devaient être considérés comme des créatures inférieures pour légitimer le colonialisme. Cette folie a produit des dommages collatéraux au détriment des juifs, des gitans…

Comment l’expliquer ?

Après la chute de l’Empire ottoman et la défaite de l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale, le nazisme a été une forme de retournement de la folie de l’expansion coloniale contre les juifs considérés comme des indigènes, parce que les Allemands avaient été privés de leurs colonies. C’est très complexe. Lorsqu’il analyse de façon binaire la situation en Israël et en Palestine, un homme de bon esprit oublie cette mise en perspective. Maintenant s’impose une réalité : il faut travailler à une solution à deux Etats. Quand on a demandé à Albert Einstein d’être président d’Israël, il a répondu :  » Quand vous aurez pris en compte le sort des Palestiniens, pourquoi pas ? Avant, pas question !  » C’est pour cela que Hochéa, mon héros, n’en peut plus. Il ne supporte plus un Etat qui vire au fascisme. En France, on n’a pas dénié la nationalité française à ceux qui se sont soulevés contre le comportement du gouvernement en Algérie. Pourquoi un Israélien ne pourrait-il pas dénoncer la politique menée par son gouvernement ?

« La responsabilité de la paralysie des négociations entre Israéliens et Palestiniens incombe principalement aux dirigeants israéliens. Il est urgent de mettre un terme à la colonisation. » © MUSSA QAWASMA/REUTERS

Vous parlez de Jérusalem comme de  » la seule cité sur Terre où l’on eût pu sauver la paix « . N’en est-on pas fort loin ? La responsabilité en incombe-t-elle aux dirigeants israéliens comme aux dirigeants palestiniens ?

Ceux qui en portent la plus grande responsabilité à l’heure actuelle sont les dirigeants israéliens. La poursuite de la politique d’implantation de nouvelles colonies n’est pas acceptable et doit cesser. Dans l’hypothèse de la création d’un Etat palestinien, les deux entités seront condamnées à travailler ensemble. Elles devront construire la paix ensemble. Imaginez quel symbole cela représenterait pour l’ensemble du Moyen-Orient. C’est une utopie. Mais pourquoi ne pas essayer d’y travailler ?

Dans Palestine, ouvrage paru en 2007 où vous évoquiez la fragilité des identités israélienne et palestinienne, un de vos héros affirmait, lui, que  » la paix, c’est la loi du plus fort « …

Les sociétés, exsangues après avoir connu des malheurs et des malheurs, se résolvent un jour ou l’autre à la paix. Ces territoires en ont vécu assez. Il serait temps que la mémoire revienne.

Le meurtre d’une dame juive, Sarah Halimi, dans un HLM de Belleville près de Paris a suscité une vive émotion, amplifiée parce que le caractère antisémite n’a pas été reconnu. Percevez-vous, en Europe, une résurgence du rejet du juif comme elle l’a connu dans les années 1930 ?

L’antisémitisme est toujours présent. Somme toute, la France est sortie un peu tranquille de la collaboration. Or, qu’était-ce d’autre que de l’antisémitisme, la collaboration sous la Seconde Guerre mondiale ? La plupart de ses acteurs ont continué à sévir. Mais toute minorité est sujette au racisme, les Roms, les homosexuels… La montée du terrorisme a entraîné une recrudescence des actes racistes. D’où l’importance de la résolution du conflit israélo-palestinien. Tout vient de là. Sans avoir de notion très précise que ce que peuvent être le juif d’Israël et le juif d’Europe, beaucoup de jeunes se sont focalisés sur Israël et ont développé une haine indigente. J’ai été éducateur dans les banlieues dites difficiles. Je me suis heurté à des convictions obtuses, une grande incompréhension. C’est terrible. Mais nous en sommes tous responsables.

Comment contrer cette radicalisation dans le chef de certains jeunes d’origine immigrée ?

Le seul moyen est de leur accorder une part entière dans l’espace civique. Comment ? En travaillant avec de plus petites classes, en réinventant la pédagogie…. La compétition est l’autre visage de l’exclusion. En tant qu’enseignant, on est parfaitement conscient de mettre en compétition des élèves qui n’ont pas les mêmes soutiens à leur disposition. Le chantier de l’éducation est prioritaire. Il faut aussi en finir avec l’humiliation permanente et investir réellement dans ces banlieues. Quand vous les traversez la nuit, vous vous apercevez que ce sont des déserts à l’abandon. Au même titre qu’Hochéa est d’abord homme avant d’être juif, la petite frappe des quartiers, avant d’être raciste, est quelqu’un auquel il a manqué le minimum de dialogue et de parole. Sa haine est suicidaire.

Malgré ses imperfections, la démocratie tunisienne vous semble-t-elle le modèle d’évolution politique le plus abouti des  » printemps arabes  » ?

La démocratie tunisienne est une réalité. Mais elle est menacée parce que la démocratie en soi est fragile. Le peuple tunisien, les étudiants, les femmes… ont soif de liberté. Une dialectique s’est forgée entre un peuple qui défend sa liberté et des gouvernants qui savent qu’ils ne peuvent pas faire n’importe quoi. Beaucoup d’espoirs ont aussi été soulevés dans d’autres pays. Prenez l’Algérie : tout est prêt pour que cela change. Alger pourrait devenir la capitale culturelle de la Méditerranée. Elle est faite pour cela ; la vie intellectuelle y est intense.

 » Sois plutôt le maudit que celui qui maudit « , dit un de vos héros dans Palestine. Est-ce un principe qui vous guide ?

Oui. Il ne faut jamais maudire qui que ce soit. Le pendant de la panique identitaire que l’on vit actuellement est la peur ; et la peur, c’est la haine ; et la haine, c’est la violence. Il faut sortir de ce cercle infernal et comprendre, travailler… D’autant plus que quand on maudit, on maudit souvent l’ange, celui qui est innocent.

Comment parvenez-vous à rester optimiste ?

En oeuvrant point par point, sur l’éducation, sur la pédagogie… Dans les ateliers d’écriture que j’anime dans les quartiers, des enfants considérés comme perdus ont été rendus à la parole. Si on relègue ces enfants, qui plus est massivement, il ne faut pas s’étonner de voir le désastre auquel cela aboutit aujourd’hui.

(1) Premières neiges sur Pondichéry, éd. Zulma, 192 p., consacré le 14 juin à Bruxelles par le prix Cercle Chapel.

Bio Express

1947 : Naissance le 10 mars. 1951 Arrivée en France.

1974 Publie Un rêve de glace (Albin Michel), son premier roman.

1979 : Suicide de Michael Haddad, son frère peintre.

2007 : Parution de Palestine (Zulma), honoré du prix des Cinq continents de la francophonie 2008 et du prix Renaudot poche en 2009.

2016 : Lancement de la revue Apulée qui regroupe des contributions d’auteurs arabes, israéliens et européens.

2017 : Premières neiges sur Pondichéry (Zulma).

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