La guerre en Syrie (ici, la ville d'Alep), a fait plus de 250.000 victimes. © EPA

Ikram Ben Aissa : « J’avais envie de parler du conflit syrien sous un angle beaucoup plus humain »

Stagiaire Le Vif

Ikram Ben Aissa est écrivaine, docteur en orientalisme spécialisée en sciences de la population et du développement. Son livre,  » Hommage à la Syrie : Nouvelles d’un pays en crise  » veut rendre compte, via le témoignage des populations locales issues de communautés différentes, de l’horreur d’un conflit, trop souvent exprimée par des chiffres.

Ikram Ben Aissa, quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire ce livre ?

J’ai commencé à m’intéresser au monde arabe en 2007. Mon intérêt pour le monde musulman n’a donc pas commencé avec le printemps arabe. Quand ces révolutions ont éclaté, je me suis dit qu’il fallait écrire quelque chose parce qu’il régnait encore trop de confusions. Tout se mélangeait dans la tête des gens et faire le tri était très compliqué, par manque de contextualisation et d’informations. Surtout que chaque pays a ses particularités.

Quel est le but de votre livre, le message qu’il souhaite faire passer ?

L’objectif de ce livre est de permettre aux gens de se rendre compte de la situation syrienne de l’intérieur, sur ce qu’il s’y passe réellement.

Montrer la réalité du terrain via différents témoignages permet, je pense, d’exposer plus facilement la complexité du conflit. La compilation de nouvelles met en avant différents acteurs qui sont en lien de près ou de loin avec la Syrie.

Mais principalement, c’est surtout répondre à de nombreuses interrogations. Lorsqu’on parle de conflits entre sunnites, chiites, alaouites, kurdes…ça devient vite flou dans la tête des gens, et c’est compréhensible. Ce n’est pas simple de s’y retrouver, car toutes ces confessions, ces identités sont évoquées brièvement dans les médias et sont trop peu développées, trop peu expliquées.

Comment s’est construit ce livre, combien de temps cela vous a-t-il pris ? Vous êtes-vous rendue sur place ?

C’est un petit livre, mais il m’a fallu au moins quatre ans pour l’écrire. Ca comprend une très longue période. Une des nouvelles parle de la tuerie au Bataclan, alors que les Printemps arabes ont commencé, eux, en 2011. Je ne suis pas partie en Syrie pour écrire ce livre. La situation ne me le permettait pas.

A l’heure d’Internet, les informations arrivent et circulent très vite. Il était fréquent d’avoir connaissance, ici en Belgique, d’informations bien avant les populations locales. Les infos transmises via les réseaux sociaux restent rapides et efficaces pour en savoir plus. Mais le travail de terrain est bien entendu toujours aussi primordial et très intéressant.

Des organisations comme Amnesty International ou des spécialistes comme Didier Leroy ou Olivier Roy, via leur expertise et leur travail de terrain ont permis d’y voir plus clair. Je me suis référée à leurs travaux et leurs expertises de terrain.

Votre livre se découpe en une succession de nouvelles personnifiées…

Le but du livre était de sortir de cette vision binaire, soit pro-Bachar El-Assad, soit pro-rebelles, alors que tout le monde oublie un acteur majoritaire dans cette guerre, qu’on évoque trop peu souvent, en tout cas pas sous un aspect humain : les citoyens. J’avais donc envie de leur donner la parole.

Le but était d’humaniser le conflit via le témoignage de toutes ces communautés. On évoque les populations dans les médias uniquement de manière statistique : « il y a eu 150 morts, ici 300 blessés ». Comment voulez-vous dès lors qu’ils s’identifient aux histoires de ces gens ? Ça ne les touchera pas. Alors que si on humanise une personne qui subit ces atrocités, le lecteur pourrait se dire : « Ça aurait pu être moi ».

Les communautés semblaient vivre dans harmonie, certes relative, avant le début de la guerre en 2012. On le sent dans des relations d’amitié qui existent entre des personnes issues de communautés différentes…

Avant la guerre, il ne faut pas croire que c’était le paradis entre les communautés. Il y avait des problèmes et des tensions, mais elles étaient bien moins présentes qu’aujourd’hui. Car on a instrumentalisé les différentes communautés. Les confessions et les identités ont été instrumentalisées politiquement. Forcément, ça crée, même inconsciemment, des groupes. Les séparations ont donc été renforcées par la dureté du conflit.

Qu’est-ce que les gens devraient retenir principalement de votre livre ?

Que les choses sont compliquées, que le monde est complexe. On ne peut pas généraliser et comprendre les choses avec ce prisme manichéen. Ce n’est pas les bons contre les méchants. La vie n’est pas binaire. Il existe des responsabilités multiples au sein d’acteurs multiples.

Le livre « Hommage à la Syrie : Nouvelles d’un pays est crise » est sorti aux Editions l’Harmattan et est préfacé par Felice Dasseto, sociologue des religions, fondateur du Centre d’études de l’Islam dans le monde contemporain, et professeur à l’UCL.

Maxime Defays

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