David Cameron © REUTERS

« Hormis David Cameron, personne n’a demandé une crise britannique »

Naomi Skoutariotis
Naomi Skoutariotis Journaliste pour Knack.be

Le premier ministre britannique démissionne. En mai dernier, nos confrères de Knack.be se sont entretenus avec les politologues Eunice Goes (London School of Economics) et Steven Van Hecke (KULeuven) au sujet de David Cameron. « Si Cameron avait été un meilleur dirigeant de parti, nous n’aurions pas eu de referendum au sujet de l’adhésion à l’UE. »

Cet article est paru sur Knack le 14 mai, à l’occasion de sixième anniversaire de Cameron au poste de premier ministre.

Quel regard portez-vous sur le mandat Cameron?

Eunice Goes: « S’il s’agit de ses réalisations et si on tient compte des objectifs fixés pour lui et son gouvernement, Cameron a échoué. Le gouvernement britannique semble efficace, mais uniquement parce que Cameron vend bien sa politique. Quand il a pris le pouvoir en 2010, son objectif était de combler le déficit public. Il n’a pas réussi. Il a également échoué sur le plan de la croissance économique et de la résorption du chômage – qui a augmenté ces cinq dernières années.

Les médias considèrent monsieur Cameron comme compétent, mais on peut s’interroger sur la définition de « compétent ». Il a dû laisser tomber beaucoup de mesures politiques ou les revoir sérieusement. Et il n’est pas du tout capable de diriger son parti, et particulièrement quand il s’agit de l’Europe.

Steven Van Hecke: En un sens, ces six ans sont un succès, parce qu’après cinq ans au poste de premier ministre et une coalition avec les Liberal Democrats (le premier gouvernement de coalition depuis la Seconde Guerre mondiale), il a réussi à reconquérir une majorité absolue en 2015. Mais le prix qu’il a payé est très élevé. On le voit dans toute l’Europe.

Sa victoire électorale ne signifie pas qu’il maîtrise tout. Le parlement actuel est un des parlements britanniques les plus rebelles qu’il n’y a jamais eu. Cameron a dû encaisser beaucoup de défaites parlementaires et il doit maîtriser un parti très divisé. Cette discorde est visible depuis les premiers jours du nouveau gouvernement et de la cohésion affichée par le parti ces derniers mois se fissure encore plus depuis la discussion autour du Brexit.

Si Cameron avait été un meilleur dirigeant de parti et s’il avait été plus unificateur, nous n’aurions pas de referendum sur l’adhésion à l’Union européenne. Ce referendum sera très nuisible. David Cameron entrera dans l’histoire comme le premier ministre qui a permis à la Grande-Bretagne de sortir de l’Union européenne.

Le référendum sur le Brexit aura lieu le 23 juin, un pari calculé ?

Goes: Le referendum sur le Brexit est un hobby des parlementaires conservateurs, il n’intéresse pas vraiment l’électorat britannique. Je pense qu’en 2015, peut-être 10% des électeurs, ou même moins, étaient intéressés par la perspective d’un référendum.

Van Hecke: « À l’époque, Cameron a essayé d’étouffer l’aile eurosceptique de son parti en promettant un referendum s’il gagnait les élections en 2015. Son idée était de leur clouer le bec, ce qui ne s’est pas produit, au contraire. Il leur a presque donné des ailes.

En revanche, d’un point de vue purement démocratique, il est salutaire que les Britanniques puissent se prononcer sur une adhésion, et je suis jaloux. Il faudrait donner cette chance aux citoyens de tous les états membres.

En même temps, Cameron prend un risque énorme. Il a fait d’un problème de parti interne un problème européen. Nous avons déjà une crise grecque, une crise des réfugiés, une guerre en Ukraine, le problème du terrorisme et à présent la crise britannique que personne n’a demandée. Hormis Cameron lui-même. Contrairement à ce qu’il prétend, Cameron ne pourra pas rester si son camp perd le référendum. Et s’il gagne, les problèmes ne seront pas résolus non plus.

Que signifiera le referendum pour la carrière politique de Cameron?

Goes: Cela exercera une influence énorme sur sa carrière. Pour les dernières élections, Cameron avait déjà annoncé qu’il ne terminerait pas un éventuel deuxième mandat. Ce sera extrêmement difficile. Pour l’instant, son parti est ingérable, les désaccords sont importants et il sera très difficile de maîtriser le gouvernement après le referendum.

La plupart des gens s’attendent à ce que Cameron démissionne si les Britanniques décident de quitter l’UE. S’il n’y a pas de Brexit, monsieur Cameron pourrait bien rester encore un an ou deux.

En cas de Brexit, il y aura une crise économique, qui à son tour entraînera des conséquences financières. Il n’y aura probablement pas d’élections anticipées, mais il y aura certainement une période d’instabilité politique. Le gouvernement écossais a déjà fait savoir qu’en cas de Brexit il organisera immédiatement un referendum sur une sortie du Royaume-Uni. Aucun premier ministre ne souhaite entrer dans l’histoire comme celui qui a quitté l’Union européenne et qui a perdu l’Écosse.

Van Hecke: « L’ami/rival de Cameron Boris Johnson a bien réfléchi. Initialement, il défendait l’adhésion à l’UE, mais il a changé de bord. Je pense que Johnson a choisi le « Leave » pour des raisons stratégiques et qu’il se chauffe pour succéder à Cameron comme premier ministre et président du parti ».

En cas de Brexit, l’autorité et la crédibilité de Cameron seront à ce point atteintes, y compris par rapport à ses propres parlementaires, qu’il y aura une espèce de révolution de palais et que les parlementaires choisiront un nouveau président. Du coup, celui-ci deviendra automatiquement premier ministre. Si Cameron perd et que le parti conservateur ne se démantèle pas, le parti et le poste de premier ministre lui tomberont tout cuits dans le bec.

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