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Hollande-Aubry, petites haines entre amis

Hollande-Aubry sont de si mauvais camarades. Ce mercredi soir, trente ans de rivalités culminent dans un duel télévisé entre les deux finalistes de la primaire. François Hollande et Martine Aubry avaient pourtant tout pour s’entendre.

En arrivant à l’université d’été du PS à La Rochelle, le 25 août, Martine Aubry croise François Hollande dans un lugubre tunnel de la gare. Et hop, une bise. Elle affiche son plus beau sourire et lui lance, assez fort pour que ce soit audible: « Salut François, les grands esprits se rencontrent! » 50 caméras, agglutinées, se bagarrent pour capter la scène dans la pénombre. Puis le favori des sondages accélère le pas et disparaît par l’escalier de droite, tandis que la maire de Lille vire à gauche pour s’enfuir en empruntant un autre escalier. Déjà, dans le TGV qui les amenait, les camarades avaient réussi l’exploit de s’éviter tout en voyageant à quelques mètres l’un de l’autre.

Ces deux-là ont beau se sourire, ils ne se supportent pas. Litote. En privé, elle le traite de « couille molle« , d' »enfoiré » qui représente le « niveau zéro de la politique« . Un manoeuvrier digne des plus belles heures de la IVe République, le roi de la tactique. Et, insulte suprême pour cette acharnée des dossiers: « Il ne travaille pas. » Lui n’est pas en reste. Une bosseuse? Elle est d’abord à ses yeux une menteuse. Du coup, il n’a jamais cherché à s’allier avec cette « perverse« . « Il lui reproche de ne se construire que dans l’opposition aux gens, en flinguant sans retenue« , rapporte un intime.

Ils n’ont aucun ami en commun
Pourquoi tant de haine? Les deux socialistes, qui devront se rabibocher après la primaire pour éviter avant 2012 des divisions qui seraient fatales à leur parti, avaient pourtant tout pour s’entendre, du moins politiquement. Même génération, même formation à l’ENA, même fibre européenne et sociale-démocrate. En 1985, ils fréquentent les clubs Témoin, qui regroupent les amis de Jacques Delors.

Elle est la fille naturelle, lui, le bon élève qui se prend, un peu, pour l’héritier. Entre eux se nouent un soupçon et une distance (ils n’ont aucun ami en commun), que les années vont convertir en défiance. Pour les législatives de 2007, Martine Aubry lorgne une circonscription lilloise intra-muros – plus favorable que celle où elle avait perdu en 2002. La direction du PS, avec Hollande à sa tête, s’y oppose. Privée de Parlement, Aubry ronge son frein.

Des règlements de comptes nauséabonds
En 2011, c’est l’heure de l’affrontement. Elle mitraille le programme de son adversaire: elle dénonce le coût du contrat de génération entre seniors et jeunes, la position trop timorée sur le cumul des mandats du président du conseil général de Corrèze, le « on verra » érigé en principe en matière de sortie définitive du nucléaire. Lui riposte en rappelant qu’il est d’accord avec le projet du PS, rédigé par une certaine Martine Aubry. Sur les plateaux, cette dernière trouve une formule choc pour railler son camarade: « On ne battra pas une droite dure avec une gauche molle » – une phrase soufflée par sa plume, Guillaume Bachelay.

Bien qu’il soit furieux, Hollande passe consigne à ses amis: « On ne répond pas aux attaques personnelles. »

Aubry use d’un autre argument: le PS était un champ de ruines à son arrivée, en 2008, répète-t-elle. « Il faisait pitié« , dit-elle. C’est la fameuse histoire des « chiottes » qu’il a fallu réparer – et qu’elle raconte à la terre entière. Les règlements de comptes sont nauséabonds. « Quel toupet! se souvient un sénateur proche de Hollande. Martine avait fait des pieds et des mains pour obtenir avant 2008 un secrétariat national au PS, puis on ne l’a plus revue, elle n’a pas travaillé et n’assistait pas aux réunions. »

« Ces deux-là ont beau se sourire, ils ne se supportent pas. » Quand elle prend à son tour la direction de Solferino, Aubry fait le ménage dans les services. Plusieurs fidèles de son prédécesseur sont mis au placard. Son ancien chauffeur est muté. Il se retrouve à acheter un jour des chaises chez Carrefour, un autre des cartouches d’encre, quand on ne lui demande pas de déposer des chèques à la banque.

La veille du premier tour de la primaire, le samedi 8 octobre, François Hollande enchaîne ses derniers meetings à Metz. Dans le train du retour, il se veut serein : « J’ai fait la campagne que je voulais faire. La barre des 40 % est symbolique, on verra bien » (le 10 octobre, il était crédité de 39,2 %, contre 30,7 % à la maire de Lille, sur 86,5 % des bureaux de vote). Son style se voulait aux antipodes de celui de Martine Aubry: « J’aime la solitude, je ne me trimbale pas avec tout un équipage, j’adore les meetings. »

Il ne prononce pas le nom de sa rivale, mais ironise, sourire en coin, en expliquant que s’il est en bonne voie pour la course à la désignation, il le doit en grande partie à sa rivale: « Après le congrès de Reims, aucun leadership ne s’impose. La claque des européennes, en juin 2009, m’offre un espace. » Puis les tergiversations entre Martine Aubry et DSK lui permettent de le consolider. « Avec leur pacte, ils m’ont laissé du temps, j’ai pu franchir des paliers, poursuit-il en avalant un sandwich. Quelque part, ils m’ont sous-estimé, en pensant que je ne pouvais pas revenir. »

Ils savent que l’Histoire leur laisse une ultime chance
Au début de 2011, l’homme qui se voit en « président normal » commence sa percée sans rencontrer de résistance. « Aubry m’a laissé m’installer, en se disant peut-être qu’avec la crise, la situation en Grèce et ma candidature, la pression se porterait sur DSK pour qu’il renonce. »

Aubry-Hollande: l’un comme l’autre savent que l’Histoire leur laisse une ultime chance. En 1995, Martine Aubry aurait pu être candidate à la présidentielle. Certains la suppliaient. Elle avait refusé – jugeant que c’était trop tôt. François Hollande avait renoncé, lui, à se lancer en 2007. « Je n’étais pas le meilleur par rapport à l’aspiration du moment« , reconnaît-il aujourd’hui. Quelque 2,5 millions d’électeurs du premier tour de la primaire les regardent. Sauront-ils surmonter leur duel pour le transformer, après la désignation, en duo ? Les deux camarades devront se forcer.

Marcelo Wesfreid

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