Cyril Hanouna a fait de son émission Touche pas à mon poste une machine de guerre et d'audiences. © ARNAUD JOURNOIS/BELGAIMAGE

Hanouna, l’homme qui n’aimait que ses fans

Le Vif

L’animateur de Touche pas à mon poste règne sur un univers où le buzz, le biz, l’outrance et un populisme télé décomplexé font la loi. La poule aux oeufs d’or Hanouna est au sommet. Après une longue et résistible ascension.

Clown culotté ? Businessman avisé ? Arriviste prêt à tout ? Difficile de cerner celui qui a fait du populisme télévisuel sa marque de fabrique. Second couteau longtemps snobé par l’audiovisuel français, Cyril Hanouna s’est hissé, en cinq ans, au rang de nabab et de star de la télé. Misant sur l’air agressif du temps, les réseaux (a)sociaux et les tensions interpersonnelles, l’animateur de C8 (ex-D8) a définitivement choisi d’assumer son naturel décomplexé. Et de  » cliver « .

Hanouna et ses chroniqueurs , entièrement dévoués, jusqu'à l'humiliation.
Hanouna et ses chroniqueurs , entièrement dévoués, jusqu’à l’humiliation.© REPORTERS

 » Baba « , comme l’appellent ses proches, a fait de Touche pas à mon poste, son talk-show sur C8 (chez nous sur Plug RTL), une machine de guerre et d’audiences. Chaque soir, 1,8 million de téléspectateurs français (et 72 000 Belges) regardent Hanouna et ses chroniqueurs passer à leur moulinette l’univers de la télévision et ses vedettes. Jamais dans la dentelle et rarement dans la bienveillance car la formule imaginée par Hanouna cultive surtout les vacheries, l’outrance, le rentre-dedans (même entre chroniqueurs), les happenings, le sacro-saint buzz, voire l’humiliation. Les fans de TPMP, surnommés  » fanzouses « , se délectent. Ses détracteurs enragent. Hanouna jubile.

Le Bouffon qui devint roi, première biographie de l’animateur, non autorisée, livre quelques clés pour comprendre l’ascension du personnage. Et des faits qui tracent la saga du Juif tunisien issu du quartier modeste des Lilas dans le 6-9, en banlieue parisienne. A 42 ans, Hanouna tient sa revanche sur cette télé française qui lui a si longtemps résisté au fil d’une carrière émaillée d’échecs. Comme alignée sur son enfance de cancre dont le seul succès était d’amuser ses camarades de classe grâce, déjà, à son culot, ses pitreries et son énergie d’hyperactif. Il n’a cessé d’abattre cette carte de rigolo pour forcer la porte de la télé, son rêve d’enfant. Biberonné depuis ses 8 ans au petit écran, il se projette en Christophe Dechavanne. Mais Ange, son père, médecin, et Esther, sa mère, commerçante, veulent que leur turbulent petit Cyril suive l’exemple de sa soeur aînée, Yaël, une tête. Le cadet aura son bac, étudiera la gestion et la comptabilité, mais rien n’y fera !

Prêt à vraiment tout

Hanouna, l'homme qui n'aimait que ses fans
© KAMIL ZIHNIOGLU/ISOPIX

Hanouna préfère, en octobre 1997, devenir stagiaire quasi bénévole de Comédie !, chaîne naissante. S’il attire la sympathie de certains, bien d’autres se méfient de cet  » agité  » dévoré par la soif de passer à la télé. Après deux ans d’un travail de l’ombre, il intègre l’antenne de La grosse émission, le show de la chaîne. Il y montre son tempérament prêt à tout pour se faire remarquer, avec comme  » apothéose  » son irruption complètement nu sur le plateau en juin 2002, puis dans la rue et chez les commerçants voisins. Recruté ensuite pour piloter le Morning de M6 – échec qui amorcera sa plus cuisante descente aux enfers -, il va jusqu’à boire à l’antenne un verre de l’urine de sa coanimatrice ! Repêché chroniqueur de Qu’est-ce qui se passe quand ? , show de France 2, on le retrouve pantalon sur les chevilles, lisant son journal, en train de faire ses besoins sur le stand WC d’un grand magasin…

Ses frasques et ses échecs répétés classent déjà Hanouna, à 28 ans, dans la case  » loser  » ascendant  » has been « . Blacklisté en télé, la radio, où il excelle, le remet en selle sur Rire et chansons. Il en booste l’audience au point d’inquiéter les autres stations. Dont RTL radio qui dégaine… une belle proposition : la coanimation avec Jean-Pierre Foucault d’un nouveau jeu, La bonne touche. Hanouna accepte et sort du purgatoire. Il renoue avec la télé par la petite porte que lui ouvre D8, nouvelle chaîne TNT financée par la famille Bolloré… Son avenir doré est lancé. Notamment comme producteur, via sa société H20 productions montée en partenariat avec Havas productions dirigée par les mêmes Bolloré.

Il prend aussi pied sur France 3 et France 4 avec des bonheurs divers (Hanouna Plage, Pliés en 4) et deux râteaux mémorables : La porte ouverte à tous les étages, sorte de Académie des 9 modernisée, suivi du remake du jeu musical Fa Si La chanter… Ces deux nouveaux fiascos ravivent dans les directions télés un catégorique :  » Hanouna ! ? Ah, non, non ! !  » A trop se disperser, l’animateur a brouillé son image. Ce constat est un déclic. Il décide de ne plus miser que sur son  » naturel décomplexé  » et typé.

TPMP, la vengance

Capable de tout pour percer l'écran... Ici, en 2004, dans une émission de Michel Drucker.
Capable de tout pour percer l’écran… Ici, en 2004, dans une émission de Michel Drucker. © GUILLAUME GAFFIOT/REPORTERS

Ce nouveau cap va se concrétiser en un concept de son cru qui tient en un titre : Touche pas à mon poste. Sous sa houlette d’addict du petit écran, des chroniqueurs débattent des programmes et des gens de télés. France 4 lance le talk-show le 1er avril 2010. Après un an, l’audience taquine le demi-million de téléspectateurs. En octobre 2012, D8 récupère le bébé joufflu en offrant à papa Hanouna un joli trousseau : 20 millions d’euros de budget annuel (quatre fois plus que sur France 4), un rythme quotidien, une liberté quasi totale… Hanouna ne touche plus terre et n’a plus qu’une obsession : doper l’audience de son TPMP sur lequel repose 40 % des revenus pub de la chaîne D8. Il a carte blanche pour cartonner la concurrence.

Côté business, l’ex-étudiant en gestion et passionné de poker blinde son avenir. Succès faisant, il a négocié en 2015 un contrat en platine avec son protecteur, Vincent Bolloré, homme fort de Vivendi-Canal+ : 250 millions d’euros garantis sur cinq ans pour Hanouna et sa société, H20. De quoi pousser le nouveau nabab du PAF à faire cracher le feu à sa machine de guerre médiatique. Le loser pestiféré, le rigolo classé ringard et ingérable, a enfin dans son viseur cet univers qui l’a tant méprisé. A travers son casting de zélés chroniqueurs, TPMP dézingue tous azimuts. Sans que le chef de bande, arbitre des outrances, n’ait à se mouiller. Qu’importe ce qu’on dit ou comment on le dit. L’audience et le plaisir de ses  » fanzouses « , à qui Baba sert à la louche du  » ma merveille  » et du  » mon chéri « , sont ses seuls curseurs.

La mécanique TPMP est redoutable. Bien réalisé, électrisé par un Hanouna efficace et toujours partant pour une danse des épaules ponctuée de son rire de hyène, l’émission prospère. En phase avec les goûts de son public cible jeune et populaire. Sous des dehors fun et ludique comme son animateur, le talk surfe à sa demande surtout sur le buzz et, hélas, un esprit populiste basé sur l’invective, le clash primaire, la pulsion plus que la réflexion, le rejet des  » élites  » et des intellos. A ce sport démago, les chroniqueurs, d’Enora Malagré à Matthieu Delormeau, de Gilles Verdez à Camille Combal, se montrent entièrement dévoués. Certains jusqu’à l’humiliation, comme celle de se voir verser un plat de nouilles dans le slip…

Touche pas à mon Hanouna

Taclé par le journal satirique, l'animateur répondra ironiquement.
Taclé par le journal satirique, l’animateur répondra ironiquement.© SDP

Autour de TPMP, Hanouna a agrégé une large communauté interactive qui a hissé son compte Twitter à 4,3 millions d’abonnés ; à 2,5 millions pour le talk, plus les comptes de tous les chroniqueurs… Une armée de twittos prêts à bouffer en 140 signes quiconque ose critiquer l’émission ou leur chouchou. Le large panel sert aussi de vox populi instantanée sur laquelle Hanouna aime se baser. Passé par TPMP, Elie Semoun garde l’amer souvenir de s’être fait démonter sur Twitter :  » J’ai l’impression que c’est une secte, il faut être accepté par les téléspectateurs de Cyril.  » Une secte dont Baba serait le gourou ? Les polémiques nées en 2016 autour de Hanouna et TPMP vont dans ce sens.

En mars 2016, le magazine Society livrait une enquête nourrie de témoignages de l’intérieur qui dénonçait :  » Entre la thune, la pression des audiences et les ego, c’est l’enfer !  » Hors écran, Cyril le déconneur serait tyrannique, humiliant et… capable de déféquer dans les chaussures d’un collaborateur ou d’uriner dans le verre d’un rédacteur en chef ! Le boss se ferait aussi pousse-au-crime quand il lance à son équipe :  » Ce soir on va parler de Dechavanne, alors vous me le cartonnez tous !  » Pire, le gentil Baba verserait parfois dans l’intimidation voire la menace physique par téléphone, envers quiconque – collègues ou journalistes – s’avise de critiquer sa royale personne ou sa cour.

 » Cyril tout-puissant  » s’est mis à dos un paquet de monde et les intellectuels, qu’il déteste, ne se privent pas de dénoncer l’a-culture Hanouna. Le philosophe Michel Onfray décoche :  » Hanouna est un épiphénomène […], un jouet du système libéral [et …] d’un système pourri qui ne carbure qu’à la haine, au mépris, à la brutalité et à la violence.  » Même Charlie Hebdo taclait le tchatcheur en chef par sa Une du 10 février 2016 titrée : Pire que Zika : Hanouna, le virus qui rend con ! Que l’intéressé récupérera d’une pirouette, déguisé en… moustique pour demander aux passants leurs avis. Face aux critiques, Hanouna se pose en victime d’un système et dit s’en moquer. Au sommet, il savoure la perspective (promise ? ) d’un jour présider une chaîne du groupe Canal. Comme le lui avait balancé Arthur, son meilleur ennemi : Hanouna est-il la grenouille devenue un boeuf en voie d’explosion ?

La première bio

Hanouna, l'homme qui n'aimait que ses fans
© DR

Dans Le Bouffon qui devint roi, première bio de Hanouna, le journaliste français René Chiche détaille le parcours du jeune Juif originaire des « Lilas », impliqué dans sa communauté et dans la défense de la mixité culturelle et sociale, jusqu’à son sacre royal par la famille Bolloré au coeur du groupe Canal +. Des faits, des témoignages… sauf celui de Hanouna lui-même qui a juste répondu à quelques sms de l’auteur. Le livre retrace fidèlement le tortueux parcours de Baba, mais est déforcé par le ton souvent révérant de l’auteur envers son sujet qualifié de « Baffie en moins acide et plus bouffon » et de talent  » entre le culot de Lafesse et la folie de Jean Yanne » ! Une façon de conjurer les foudres de la secte TPMP ?

Hanouna, le bouffon qui devint roi, par René Chiche, éd. de l’Archipel, 240 p.

Par Fernand Letist.

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