Une plage de l'île de Lesbos. © Belga

Grèce: à Lesbos, les pêcheurs au coeur de la crise migratoire.

Le Vif

« Nous avons peur de sortir en mer, de ramasser dans nos filets des corps d’enfants, ou de tomber sur des passeurs armés et menaçants… » : comme Christos Dimos, les pêcheurs de l’île grecque de Lesbos sont au coeur de la crise des migrants.

Selon le comptage quotidien de l’Organisation internationale pour les migrations, 772.979 migrants sont arrivés en Europe par la mer cette année et 3.423 sont mortes ou disparues en tentant de le faire.

Et les îles grecques, Lesbos en particulier, séparées de la Turquie par un bras de mer, sont le point d’entrée de plus de 80% d’entre eux.

Un tel afflux a bouleversé le quotidien des pêcheurs qui vivent beaucoup du tourisme sur cette île particulièrement pittoresque de la mer Egée.

« Il y a eu d’abord la crise économique puis la crise migratoire », se lamente Christos, pêcheur sexagénaire qui a vécu toute sa vie dans le petit port de Molyvos, au nord de l’île, à environ six milles de la Turquie.

« Nos filets sont abîmés par les bouts de bois et de plastique des bateaux échoués. Mais surtout, nous n’arrivons plus à payer l’essence. Nous sortons peu et nous vendons peu, c’est un cercle vicieux… », déplore-t-il.

Nikos Katakouzinos, pêcheur dans le village voisin de Skala Sykamineas, s’inquiète aussi des conséquences écologiques à plus long terme de la situation.

« L’essence, l’huile, les bouts de plastique s’enfoncent dans les profondeurs de la mer et polluent considérablement les eaux poissonneuses. Peut-être que dans quelque temps, nous aurons tué toute la faune marine et nous devrons alors changer de métier ou déménager… »

Evangelos Mersinas, le président de la chambre de commerce de Lesbos, relativise la situation des pêcheurs : « la crise migratoire a surtout affecté le secteur touristique. Nous avons noté une baisse de 30% dans les réservations d’hôtels depuis le début de l’été ».

‘Jusqu’à quand?’

Mais, concède-t-il, « le nord de l’île a particulièrement été touché et il est vrai que les pêcheurs qui travaillent aussi grâce au tourisme et aux tavernes locales ont dû en subir les conséquences ».

Il observe au passage que « d’autres secteurs ont aussi bénéficié de l’arrivée des réfugiés, notamment les taxis, les petits commerces ou les cafés ».

Leurs soucis, les pêcheurs les mettent de côté quand il s’agit de sauver des migrants prêts à se noyer. « Tu ne peux que t’émouvoir quand tu vois une barque avec des gosses couler…Tu es obligé d’agir », remarque Christos.

« Notre priorité reste de sauver ces personnes. Nos difficultés économiques, nous n’y pensons même pas quand nous nous retrouvons face à de tels drames », renchérit Nikos.

Le 28 octobre au large de Lesbos, un naufrage d’un bateau en bois a fait 29 morts dont 14 enfants. 274 ont été sauvés. Un souvenir douloureux pour les pêcheurs des environs.

« Je n’ai jamais vu une telle tragédie et l’hiver ne fait que commencer. Beaucoup de monde risque de se noyer encore… », remarque Christos, la gorge serrée.

Le 30 octobre, ils ont évité le pire en revanche à 200 personnes qui allaient couler à quelques mètres de Skala Sykamineas.

Nikos était en première ligne: « Je n’étais pas sorti en mer, il y avait la tempête et entre 7 et 8 beaufort. Mais, vers 7h du matin, alors que je me promenais sur le port, j’ai aperçu cette embarcation en train de couler. J’y suis allé sans réfléchir même si je prenais des risques…Nous avons réussi à transporter tout le monde sur le rivage. Ce matin-là, c’était une bonne journée, ils étaient tous sains et saufs ».

« Malheureusement, le sauvetage de migrants est devenu une routine dans le coin », constate-t-il.

Nikos et ses compagnons sont d’ailleurs régulièrement appelés par la police portuaire de Molyvos qui peine à gérer la situation : « les gardes-côtes n’ont que deux bateaux dans la zone alors ils nous demandent régulièrement de l’aide ».

« Et quand on voit un passeur, on le leur signale », explique Nikos, qui ne cache pas sa colère contre ces derniers : « Que la mer soit déchaînée, qu’il y ait des vagues de deux mètres, ça ne les gêne pas, ils envoient les migrants sur les barques sans se soucier de leur sort. Jusqu’à quand les laissera-t-on faire? ».

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