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« Frapper Pyongyang est irréaliste »

Le Vif

Rodomontades ou détermination : jusqu’où Donald Trump est-il prêt à aller dans sa confrontation ? L’analyse d’Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris.

Les Américains peuvent-ils réellement mener des frappes préventives en Corée du Nord ?

C’est peu probable. Pour neutraliser les capacités nucléaires de la Corée du Nord, il faudrait connaître, avec certitude, la localisation des sites de production et de stockage, et parvenir à les éliminer tous, sans exception. Afin d’éviter des représailles nord-coréennes, les forces américaines devraient aussi détruire son armement conventionnel (artillerie, armes chimiques). En 1994, l’administration Clinton avait déjà envisagé un tel scénario. Le Pentagone avait conclu que des frappes préventives provoqueraient une nouvelle guerre de Corée, qui se solderait par plus de 1 million de morts. Les Américains et leurs alliés sont-ils prêts à ça ? Rappelons que 28 000 marines sont stationnés en Corée du Sud, sans oublier les dizaines de milliers de ressortissants. Comment les évacuer, alors que la Corée du Nord bombarderait toutes les infrastructures de transport ? Ce serait un cauchemar.

Donald Trump aurait bluffé ?

Antoine Bondaz.
Antoine Bondaz.© SDP

Le fait que, contrairement à ce qu’il avait affirmé, le porte-avions Carl-Vinson se dirigeait non pas vers la Corée mais vers l’Australie laisse penser qu’il n’avait pas sérieusement envisagé des frappes, et qu’il s’agissait plutôt d’une mise en scène destinée à montrer à ses alliés et à l’opinion publique américaine sa détermination à l’égard de Pyongyang. Toutefois, son côté imprévisible, et même impulsif, n’est guère rassurant. Ne risque-t-il pas de surréagir et d’aller trop loin ? Autre motif d’inquiétude : Donald Trump connaît très mal le dossier. Lors d’interviews à la presse américaine, il a semblé confondre l’actuel leader nord-coréen, Kim Jong-un, avec son grand-père Kim Il-sung. Il a également affirmé que la Corée avait fait partie de la Chine, ce qui est faux.

Comment réagirait la Chine, en cas de frappes américaines ?

Selon le traité d’assistance mutuelle et de défense signé entre les deux pays en 1961, la Chine devrait intervenir si la Corée du Nord faisait l’objet de frappes préventives. Pour Pékin, ce serait une décision difficile. S’engager reviendrait à faire la guerre contre les Etats-Unis. A l’inverse, ne rien faire nuirait à sa crédibilité. Comment la Chine pourrait-elle, à l’avenir, nouer des partenariats avec d’autres pays d’Asie, si elle n’avait pas été capable de défendre son seul allié actuel ? Et que se passerait-il s’il y avait un incident nucléaire, à la suite d’un bombardement américain ? La plupart des sites nucléaires nord-coréens sont situés près de la frontière chinoise. Pour Pékin, les conséquences politiques d’une contamination, même légère, seraient dramatiques.

Pékin ne va donc pas abandonner le turbulent Kim Jong-un…

Il n’en a jamais été question. Contrairement à ce que l’on espère en Occident, les Chinois n’ont jamais changé de stratégie à l’égard de Pyongyang. Leur ligne est claire : ils veulent à tout prix éviter un effondrement du régime nord- coréen, car cela reviendrait à ouvrir une boîte de Pandore. Avant tout, la Chine recherche la stabilité. A la limite, elle préfère une Corée du Nord possédant l’arme nucléaire, au sein d’une péninsule stable, plutôt qu’une Corée du Nord  » dénucléarisée « , dans un environnement régional chaotique…

Est-il encore possible de stopper la course nucléaire de la Corée du Nord ?

Difficilement. Toute l’idéologie nord-coréennne tient en un mot :  » juche  » (l’indépendance). Kim Jong-un sait que la survie du régime est en partie liée à ces armes de dissuasion. Il y renoncera d’autant moins que la maîtrise de l’atome a, également, une dimension identitaire. Elle légitime en effet le caractère dynastique du régime : Kim Jong-il a transmis l’arme atomique à son fils Kim Jong-un. A son tour, celui-ci cherche à acquérir des capacités balistiques qui lui permettraient d’accroître son autorité et de menacer les Etats-Unis. Maîtriser l’atome est aussi un moyen pour le  » leader suprême  » de légitimer les sacrifices demandés à sa population depuis plusieurs décennies. La force nucléaire exalte enfin l’esprit nationaliste : elle montre que la Corée du Nord est une grande puissance technologique. Pour  » dénucléariser  » le pays, il faudrait qu’il y ait un changement de régime. Les Chinois ne peuvent pas, pour l’instant, l’accepter – non parce qu’ils tiennent particulièrement à celui-ci, mais parce qu’ils ne voudraient pas voir émerger un gouvernement proaméricain.

Le rêve coréen de réunification n’est pas près de se réaliser…

La Chine est opposée à la création d’une grande Corée alliée des Américains et très nationaliste, mais elle n’irait pas forcément à l’encontre d’une réunification, si elle avait la garantie que le nouveau régime soit d’une neutralité absolue. Pour cela, il faudrait qu’il y ait une réelle coopération entre les Américains et les Chinois. Et, surtout, qu’ils se fassent confiance, ce qui n’est pas le cas.

Quel serait le coût d’une réunification ?

Bien plus élevé que pour la réunification allemande, puisque la Corée du Nord représente la moitié de la population de sa voisine du sud. Le principal obstacle n’est cependant pas économique. Avant de se réunifier, ces deux peuples devraient déjà se réconcilier. Durant soixante-dix ans, ces pays se sont construits en opposition l’un à l’autre. Deux identités nationales, très distinctes, ont émergé. Dans un premier temps, il pourrait être plus judicieux de créer une confédération où l’on ferait cohabiter deux systèmes économiques et politiques.

Le 9 mai, une élection présidentielle a lieu en Corée du Sud. Quelles pourraient en être les conséquences sur les relations entre Séoul et Pyongyang ?

Le grand favori de cette élection, Moon Jae-in, s’est prononcé en faveur d’un dialogue et d’une coopération économique avec la Corée du Nord. De son côté, Pyongyang va certainement chercher à calmer le jeu. Les périodes de crispation, liées au développement du programme nucléaire et balistique, sont généralement suivies de phases de détente. Même avec les Américains, les choses pourraient évoluer. En 2002, George Bush déclarait que la Corée du Nord faisait partie de l' » axe du mal « , ce qui ne l’a pas empêché de mener des négociations avec Kim Jong-il.

Entretien : Charles Haquet.

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