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François Bayrou : « Le centre, c’est du dur »

Le Vif

A l’occasion de la sortie de son livre Résolution française, François Bayrou regrette la brutalité de Fillon et l’ambiguïté de Macron. Il n’annonce pas encore sa candidature mais on n’en est pas loin…

Qu’a de centriste la société française d’aujourd’hui ?

Ne parlons pas en termes d’étiquettes. La question de la France aujourd’hui est celle de son découragement et de ses blocages. C’est de cela qu’il faut sortir ! Pour moi, je le dis dans ce livre, on peut retrouver la volonté et l’allant du pays plus facilement qu’on ne le croit : il suffit d’identifier sur chaque sujet ce qui bloque et de mobiliser les forces pour lever ces obstacles. Pourquoi est-ce impossible en France, depuis longtemps ? Parce que notre démocratie ne marche plus. Le lien est coupé avec les citoyens, et d’abord parce que les deux tiers des électeurs (extrême droite, extrême gauche, écologistes indépendants et centre) n’ont aucune représentation. Ce n’est plus tolérable. La philosophie des institutions que je défends, c’est que l’on peut vivre ensemble et trouver des majorités d’idées, même si l’on n’a pas les mêmes options et orientations. Le centre, c’est l’acceptation du pluralisme. Marc Sangnier (NDLR : député français de 1919 à 1924 et de 1945 à 1950) disait :  » La démocratie est l’organisation sociale qui permet de porter à son plus haut la conscience et la responsabilité des citoyens.  » Or, nous avons des institutions politiques et un système médiatique qui poussent au simplisme, n’aident pas à la conscience et qui vont plutôt vers l’irresponsabilité que vers la responsabilité. Ce qui l’emporte, c’est l’accusation, la détestation, la mise en cause, et cela retentit sur la société française. Je défends l’idée qu’il serait important pour cette dernière que les responsables sachent se montrer de l’estime, même s’ils n’ont pas les mêmes options.

Que proposez-vous pour que les citoyens participent désormais au fonctionnement de l’Etat, et donc au débat public ?

Il s’agit d’obtenir non pas seulement la participation des citoyens, mais leur adhésion à la vie civique. Il y a, d’après moi, trois choses à faire. D’abord, changer la pratique politique par l’adoption d’un principe constitutionnel selon lequel les citoyens ont le droit d’être représentés au Parlement si leur courant dépasse un seuil de crédibilité – autour de 5 % du corps électoral (environ 1 million de voix). C’est la proportionnelle, comme en Allemagne, qui seule permet des majorités d’idées. Ensuite, le président de la République doit se sentir représentant non d’un camp, mais de l’ensemble des Français. Il inspire, il dirige, il donne des orientations, mais il ne prend pas parti contre une partie de la nation. Troisièmement, c’est le président qui choisit le gouvernement, en fonction des qualités personnelles des ministres et de la composition de l’Assemblée – il ne nomme pas des représentants d’un courant. Il faut, enfin, une réflexion sur l’information, sur la séparation des pouvoirs entre des intérêts particuliers et des grands organes de presse. C’est pourquoi je propose une instance qui lutte contre les concentrations, contre les conflits d’intérêts, et pour la protection des rédactions. Ainsi qu’une loi sur le numérique.

Qu’est-ce que le  » droit à la communauté  » que vous évoquez ?

C’est une réponse à la grande angoisse populaire de notre temps. La peur irraisonnée de voir disparaître les points de repère que nous avons dans notre mode de vie et dans notre système de pensée et de valeurs. J’ai trouvé cette notion dans certaines Constitutions africaines. C’est vouloir reconnaître non seulement des droits individuels, mais aussi un droit collectif à porter un modèle de société au travers du temps. C’est un droit naturel pour une société que de vouloir se projeter dans l’avenir. Nous ne sommes pas seulement une addition de droits individuels. Chacun a la latitude d’organiser sa vie au sein de la société, et cependant nous avons une identité, une  » âme commune « . Et dans cette âme commune, il y a la liberté individuelle, la liberté de pensée, l’égalité des droits, l’égalité des sexes, la laïcité.

Dans votre livre, vous combattez la nostalgie de Thatcher, vous dites ne pas croire qu' » on chamboule un pays de fond en comble « . Impossible de vous imaginer derrière Fillon…

L’élection présidentielle, c’est une personnalité et un projet. Je connais François Fillon depuis trente ans. J’avais toujours considéré qu’il était un modéré. Son attitude, son style disaient la modération et une certaine retenue. Or, le projet qu’il a choisi, ou qu’on l’a convaincu de choisir, tout au contraire, va vers la brutalité des ruptures. Je ne me reconnais pas et je ne reconnais pas François Fillon dans ce projet. J’ajoute que je suis persuadé qu’il a été élu lors des primaires bien plus sur cette perception d’équilibre que sur son projet.

L' » affaire Penelope  » ne rend-elle pas inaudible son discours de fond ?

C’est un très grand trouble dans l’opinion et une très grande déstabilisation. Les responsables politiques ne se rendent pas compte à quel point les sacrifices demandés aux moins favorisés suscitent de la colère et du rejet lorsqu’on découvre les privilèges qu’ils s’accordent à eux-mêmes.

Emmanuel Macron est-il centriste dans sa volonté de dépasser les clivages entre la droite et la gauche ?

Une partie de son succès se situe sur ce terrain que j’ai défriché. Est-il centriste ? Je ne le sais pas, et lui non plus. Parce qu’être centriste, ce n’est pas se prétendre socialiste un jour et pas socialiste un autre. Le centre, ce n’est pas  » ni l’un ni l’autre « . Et même pas un  » et l’un et l’autre « . C’est un mouvement qui a son histoire, sa pensée, son originalité et sa philosophie. Cela remonte à Pascal et à Montaigne, aux grands républicains, au Sillon (NDLR : mouvement politique fondé en 1894). Ce n’est pas du mou, c’est du dur. Plus on est modéré, plus il faut être tranchant.

Vous ne regrettez donc rien, en termes de carrière ?

Rien. Et je ne lâcherai rien sur ce que je crois. L’engagement n’est pas une carrière professionnelle. Ce n’est pas un métier où on chercherait des promotions. C’est une part essentielle de soi-même. C’est comme d’être père de famille. On ne fait pas cela pour soi-même. Quand on est engagé, qu’importe la forme, c’est pour la vie, et à chaque instant.

Une seule lettre vous sépare, dans les titres de vos ouvrages, Résolution française et Révolution, d’Emmanuel Macron…

C’est un hasard malicieux : mon titre a été déposé auprès de mon éditeur dès août 2016 ! En vérité, j’aime que les mots aient un vrai sens. Je me méfie des mots qui sont utilisés pour faire le contraire de ce qu’ils annoncent. Normalement, la révolution est faite pour changer l’ordre établi. Or, pour les principaux soutiens souterrains d’Emmanuel Macron, si je comprends bien, il s’agit de conforter l’ordre établi, en ralliant la France aux pratiques du capitalisme mondialisé. La France n’a pas besoin de se bercer de l’idée de révolution. Elle a besoin de résolution, de volonté et de lucidité.

Votre décision d’être, ou non, candidat à la présidentielle est-elle prise ?

Non. Nous nous trouvons devant le paysage politique le plus tourmenté de l’histoire de la Ve République. Je me donne donc la liberté de réfléchir.

Résolution française, par François Bayrou, éd. de l’Observatoire, 326 p.

Entretien : Jean-Baptiste Doualas et Éric Mandonnet.

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