Héros de la dernière Coupe du monde au Brésil, Keylor Navas décrochera un transfert au Real Madrid. © ODD ANDERSEN/BELGAIMAGE

Football et politique: le Costa Rica, le modèle durable

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Neuvième volet : comment le Costa Rica est devenu un modèle pour l’Amérique centrale grâce à sa stabilité politique, sa vision environnementale et… son équipe de football.

A chaque Coupe du monde, au premier tour, il y a un  » groupe de la mort « . Celui qui rassemble plusieurs ténors. En 2014, au Brésil, le sort compromet ainsi singulièrement l’avenir du Costa Rica dans le tournoi. Sur la route de l’équipe nationale de ce petit pays d’Amérique centrale, peuplé d’à peine 4,8 millions d’habitants, se dressent trois monstres : Uruguay, Italie et Angleterre. Autant d’anciens champions du monde, qui comptabilisent sept titres à eux trois. Une cause perdue. Le sentiment se confirme à la mi-temps du premier match, face à l’Uruguay : sans démériter, les  » Ticos  » sont menés 1 – 0, sur penalty. Mais en quarante-cinq minutes, ils renversent la situation et marquent trois buts. Le président de la République, Luis Guillermo Solis, élu un mois auparavant, bondit littéralement de joie, hors de son siège, en tribune, et surligne son émotion de façon lyrique :  » Los goles son amores ! Ça prouve que tout rêve est possible !  » Le foot transporte le peuple. Et ce faisant, comble le pouvoir de félicité.

La belle histoire costaricienne ne fait que commencer. Un but du talentueux capitaine Bryan Ruiz, qui a fait le bonheur de l’équipe de Gand entre 2006 et 2009, renvoie l’Italie  » a casa « . Et un match nul face à l’Angleterre suffit au Petit Poucet pour terminer en tête de son groupe ! Voilà donc le Costa Rica en huitièmes de finale, puis en quarts après une victoire aux tirs au but face à la Grèce. Une accession historique : jamais un pays d’Amérique centrale n’a été aussi loin dans la compétition. Seuls les Pays-Bas parviennent à arrêter la marche en avant costaricienne. Et aux tirs au but, là encore. Les Ticos quittent le Brésil la tête haute. Un joueur symbolise ce parcours héroïque : le gardien de but, Keylor Navas. Désigné  » homme du match  » à trois reprises, il séduit au point d’obtenir un transfert au Real Madrid. Où il déboulonne rapidement le monument Iker Casillas entre les perches. Un sacré tempérament.

Un pôle de stabilité

Quatre ans plus tard, le Costa Rica est à nouveau au rendez-vous du Mondial en Russie, après avoir survolé son groupe de qualification, battant notamment les Etats-Unis chez eux. Sa cinquième participation à une phase finale n’est plus une surprise. C’est une confirmation. L’illustration d’un pays qui combine créativité et stabilité au coeur d’une Amérique centrale de tous les dangers, traversée par les trafics en tous genres (drogues, migrants) et bousculée depuis des décennies par les révolutions. A San José, la capitale, les mutations se déroulent au contraire de façon paisible et s’installent de façon durable. Le Costa Rica est devenu un pays cité comme un modèle dans le monde entier.

On le surnomme la  » Suisse de l’Amérique centrale  » depuis 1948 parce que le pays n’a… plus d’armée. Ce choix radical fut la conséquence d’une guerre civile particulièrement meurtrière : plus question de revivre un tel drame. Ce pacifisme délibéré a induit d’autres orientations budgétaires et un respect particulier du vivant. La comparaison avec la Suisse vaut aussi pour ses expériences démocratiques, singulières dans la région, faites de participation citoyenne et de neutralité active en politique étrangère. Avec une vigilance permanente sur le fonctionnement de la démocratie. L’élection en 2014 du président Luis Guillermo Solis, candidat d’une nouveau Parti d’action citoyenne, s’est faite sur un programme visant à combattre la corruption. Solis a mis fin au bipartisme et imposé un style nouveau, moins guindé, plus  » normal « . Depuis fin 2017, il est toutefois sous le coup d’une enquête pour allégations de corruption.

Mais c’est dans le domaine environnemental que ce pays est un laboratoire. Un moratoire y a été décrété sur l’exploitation pétrolière, confirmé en 2014 pour une durée indéterminée. Un vaste plan de reforestation est déployé. Et la production d’énergie se fait de façon 100 % renouvelable, grâce à la production hydroélectrique (favorisée par la saison des pluies) et à la géothermie (rendue possible par les volcans). Un phare d’écotourisme en cette ère de menace climatique. Un exemple. Dont les responsables politiques belges, entre autres, feraient bien de s’inspirer pour l’élaboration d’un pacte énergétique…

Luis Guillermo Solis, président d'un pays
Luis Guillermo Solis, président d’un pays  » laboratoire  » à l’avant-garde des politiques environnementales.© EZEQUIEL BECERRA/BELGAIMAGE

Un nouveau capitaine

Comment un pays à ce point idéal ne parviendrait-il pas à transposer son modèle dans le sport ? Ce n’est finalement pas une surprise si le Costa Rica surclasse désormais les Etats-Unis, éliminés du Mondial russe : politiquement, le système costaricien est l’anti-Trump par excellence. Dans ce pays obsédé par le football, la stabilité politique a permis de donner une assise à un championnat de très bonne tenue, l’un des mieux cotés d’Amérique centrale. Une joute où les confrontations entre le Deportivo Saprissa et le LD Alajuelense, les deux plus grands clubs nationaux, rythment les saisons. Sur fond de travail assidu, de prouesses techniques et de fièvres récurrentes. Et de développement au long cours.

Ce long fleuve tranquille a pourtant été sérieusement secoué au lendemain du beau parcours au Brésil. En mai 2015, le président de la Fédération costaricienne de football, Eduardo Li, est arrêté lors d’un coup de filet de la justice américaine à Zurich, au siège de la Fifa. Il est accusé d’avoir touché un demi-milliard de dollars de pots-de-vin afin de voter la sulfureuse attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Depuis, il a été exclu à vie de la Fifa. Peu après ce scandale, le principal architecte du magnifique parcours de 2014, l’entraîneur colombien Jorge Luis Pinto, démissionne faute d’accord pour renouveler son contrat. En guise de justification, on dénonce son  » autoritarisme « . Il s’en va entraîner le Honduras voisin. Et les fans costaricains de prier…

C’est dans ce contexte délicat que son successeur, Oscar Ramirez, est désigné durant l’été. Un homme du cru, simple et laborieux, qui a accumulé 75 sélections en équipe nationale et qui offre l’avantage d’avoir joué tant au Deportivo Saprissa qu’au LD Alajuelense, deux équipes qu’il a entraînées par la suite.  » Avec lui, notre génération dorée semble être entre de bonnes mains « , se réjouit la presse nationale, rassurée. Bryan Ruiz et Keylor Navas, eux, ont passé la trentaine et espèrent bien profiter de la toute prochaine Coupe du monde pour partir en beauté.  » Nous pouvons atteindre les huitièmes de finale « , estime Ramirez à l’issue du tirage au sort. En Russie, le Costa Rica affronte ses modèles, le Brésil et la Suisse, en plus de la Serbie. Secrètement, Oscar Ramirez et Luis Guillermo Solis veulent démontrer au monde que 2014 n’était pas le fruit du hasard. Et que leur modèle n’est pas périssable.

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