29 juin 2017, deux cadavres le long d'une route après un règlement de comptes à la périphérie de Culiacan, Etat de Sinaloa, foyer du cartel du même nom. © Enric Marti/isopix

Football et politique : au Mexique, l’ombre du crime organisé

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Quinzième volet : comment le Mexique est devenu l’une des places fortes du blanchiment de l’argent du trafic de drogues. Ceci n’est pas un match, mais un polar. Où il est même question du meilleur joueur mexicain de tous les temps.

 » Le football engendre des quantités astronomiques d’argent, mais il reste géré comme un sport amateur. Voilà pourquoi c’est devenu un monde gangrené par le crime organisé, qui y a trouvé un lieu idéal pour blanchir son argent sale.  » L’homme qui nous parlait de la sorte, voici quelques semaines, n’était pas un quelconque partisan des théories du complot mais un ancien haut responsable de l’UEFA, la coupole qui rassemble les fédérations nationales en Europe. Il faut dire que, ces dernières années, les scandales à répétition ont donné un aperçu de l’ampleur du mal. Au Mexique, pays stratégique aux portes des Etats-Unis, ce constat est devenu la métaphore d’une société violente.

La chute d’El Káiser

Samedi 2 septembre 2017. Le pays des Aztèques se qualifie pour le Mondial russe en battant le Panama, chez lui, par un petit but d’écart. Une formalité, malgré ce score étriqué. Et une habitude : cet été, ce sera la seizième participation du Mexique à une phase finale. Mais ce samedi-là, le coeur des supporters est éploré. Un homme brille par son absence, forcée : Rafael Márquez. Avec ses 143 sélections nationales, ce défenseur central – vétéran, il est âgé de 38 ans – est vénéré. Après des débuts au pays, il est devenu champion de France avec l’AS Monaco avant de rejoindre, trois ans plus tard, le mythique FC Barcelone. C’est le premier Mexicain à rallier le gratin européen. On le surnomme El Káiser, en référence à son illustre prédécesseur allemand Franz Beckenbauer.

Un mois plus tôt, le 9 août, le destin de Rafael Márquez bascule. Son nom figure sur une liste de vingt-deux personnalités accusées par le Département d’Etat américain d’avoir blanchi de l’argent pour un baron de la drogue.  » Rafa  » aurait bénéficié des largesses d’un de ses amis, Raúl Flores Hernández, surnommé El Tío (l’oncle), un narcotrafiquant indépendant de la région de Guadalajara. Actif depuis les années 1980, ce dernier s’est lié à deux organisations plus connues, les cartels de Sinaloa et de Jalisco Nouvelle Génération. Domaine d’activités : la cocaïne, dont la consommation est en constante augmentation aux Etats-Unis.

El Káiser aurait utilisé cet argent pour financer une école de football et une fondation pour les enfants démunis. Cela a beau être généreux, cela n’en reste pas moins illégal.  » Il s’agit aujourd’hui de mon match le plus difficile, et j’essaierai de clarifier tout cela aussi vite que possible « , se défend le joueur, la voix pâle, en se présentant spontanément à la justice. Ses biens sont confisqués aux Etats-Unis, il passe quelques jours en prison et risque l’extradition. Une descente aux enfers médiatique : ses comptes sont bloqués sur les réseaux sociaux. De star à paria, en quelques jours. Fin octobre, Rafael Márquez a finalement pu reprendre le chemin des terrains avec son club de formation, le FC Atlas Guadalajara. Collaborant avec la justice, il peut rejouer, pour autant qu’il reste au Mexique. Inutile de préciser que les chances de disputer le Mondial russe avec El Tri (surnom de l’équipe nationale), dont il était le capitaine, sont proches de zéro. C’était pourtant son dernier rêve…

Ce drame national, relatif bien sûr, est l’illustration d’un mal profond qui gangrène le pays depuis le début du millénaire. Le pays hispanophone le plus peuplé au monde (130 millions d’habitants), a repris à la Colombie le titre peu envié de plaque tournante du narcotrafic. Un récent rapport de l’ONG Global Financial Integrity chiffre à 52,8 milliards de dollars les flux financiers illicites véhiculés chaque année au Mexique, ce qui le place en troisième position mondiale après la Chine et la Russie. La pauvreté, la corruption et la violence coûteraient chaque année un tiers du produit national brut. En 2017, pas moins de 19 000 meurtres ont été perpétrés par le crime organisé. Et si le championnat de football mexicain est l’un des plus riches d’Amérique latine, c’est en raison de l’investissement parfois douteux de grandes entreprises.  » On sait que les clubs de football sont des structures propices au blanchiment d’argent « , affirme Liliana de Ita, sociologue de l’université de Monterrey, dans un dossier de Slate.fr. Les joueurs, qui perçoivent des salaires astronomiques au Mexique comme partout ailleurs, sont devenus des cibles. S’ils résistent aux propositions, on leur tire dessus – une mésaventure arrivée à plusieurs d’entre eux.

Rafael Màrquez, star vénérée... puis déchue, accusé d'avoir blanchi de l'argent pour un baron de la drogue.
Rafael Màrquez, star vénérée… puis déchue, accusé d’avoir blanchi de l’argent pour un baron de la drogue.© Robert Cianflone/getty images

Le drame de TeleVía

La perception du football en tant que terrain de jeu des mafias n’est certes pas nouvelle, mais elle a été renforcée par les arrestations survenues, en 2015, au siège de la Fifa et dans un hôtel de luxe, à Zurich, à la demande de la justice américaine. Avec de nombreuses convulsions à la clé. Fin 2017, un procès à New York épluche les accusations de corruption à l’encontre de plusieurs ténors sud-américains. Juan Angel Napout, ancien président de la Confédération sud-américaine de football, et José Maria Marin, ancien président de la fédération brésilienne, sont reconnus coupables d’avoir touché des millions de dollars dans le cadre de l’octroi des droits télévisés pour les Coupes du monde 2026 et 2030.

Faut-il y voir un lien de cause à effet avec un autre drame survenu non loin de Mexico City, le 21 novembre 2017 ? Ce jour-là, Adolfo Lagos, vice-président du groupe médiatique TeleVía, est froidement abattu alors qu’il se promène à vélo avec un ami. Peut-être pour voler sa monture, d’une valeur de 2 500 euros. Mais plus que probablement, aussi, pour faire taire un homme au coeur du scandale. La chaîne TeleVía serait, avec Fox Sports (Etats-Unis) et TV Globo (Brésil), la principale contributrice des pots-de-vin contestés par la justice américaine. Tout cela alors que le Mexique a déposé une candidature conjointe avec le Canada et les Etats-Unis pour l’organisation du Mondial 2026. Après la Russie 2018 et le Qatar 2022, une nouvelle attribution sulfureuse est-elle en vue ? L’un des derniers obstacles serait… le mur antimigrants que Donald Trump veut construire à la frontière avec le Mexique.

On en oublierait presque qu’on parle d’un jeu populaire. Et que les Mexicains cultivent toujours le rêve un peu fou d’aller, pour la première fois de leur histoire, au-delà des quarts de finale, en Russie. Ou encore que ce pays reste un bon souvenir pour les Belges, qui y avaient atteint les demi-finales du Mondial, en 1986. E viva Mexico, chantait à l’époque le Grand Jojo. En 2018, ce pays est devenu un univers impitoyable.

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