Du discours qui se voulait fondateur, à Paris, le 29 janvier dernier, on a surtout retenu l'émotion du couple Fillon. © P. ROSSIGNOL/REUTERS

Fillon : pour s’en sortir, doit-il remettre son programme au centre du débat ?

Le Vif

Le candidat de la droite à la présidentielle est atteint au coeur de son identité par l' »Affaire Penelope ». Pour rebondir, il lui faut redevenir audible sur son projet.

Un an avant les élections régionales en Ile-de-France, Valérie Pécresse, future présidente du conseil régional et son directeur de campagne, Patrick Stefanini, s’enferment pour une séance de scanner un peu particulière. Il s’agit de passer au crible tout ce qui pourrait surgir inopinément et troubler la candidate pendant la bataille : amendements signés, prises de position personnelles sur tel ou tel sujet, mais aussi questions financières et activités des membres de la famille… Patrick Stefanini dirige aujourd’hui la campagne de François Fillon ; d’expérience, il sait que le diable se cache dans les détails. Et pourtant, ce qui a été fait pour un combat régional, il n’a pas eu l’occasion de le faire pour le candidat à l’élection présidentielle. Ce n’est pas le temps qui a manqué, François Fillon s’est déclaré depuis plus de trois ans. Les choses se sont enchaînées, l’opération vérité n’a jamais eu lieu.

L’affaire Penelope a donc éclaté sans que rien n’ait été anticipé et cela s’est vu. Une situation d’assistante parlementaire  » transparente  » et censée être connue de tous, mais que certains, y compris parmi ses plus fidèles, ont découverte à cette occasion. L’ancien Premier ministre a oscillé, passant d’une réaction de  » trente secondes  » à un journal de 20 heures le lendemain. Touché au coeur, atteint en plein dans le mille. C’est parce qu’il était  » sérieux et honnête  » que Valéry Giscard d’Estaing, qui ne choisit jamais ses mots au hasard, l’avait soutenu. Argent, famille, emploi fictif, Parlement : il n’est pas évident de concevoir un cocktail plus dévastateur aux yeux de l’opinion.  » Les élus à qui on explique la donne peuvent admettre, note un élu filloniste de la première heure. Le problème est que cette affaire est vue différemment si l’on n’est pas un initié du monde politique.  » François Fillon ne voulait pas être le candidat de l’establishment.  » Mon projet perturbe les castes bien établies. Tous ceux qui, au fond, profitent du système « , répétait-il encore le 19 janvier à Oyonnax, dans l’est de la France. Des éventuels arrangements avec son suppléant à l’Assemblée évoqués par Le Canard enchaîné aux possibles facilités dont il aurait bénéficié – avec beaucoup d’autres, mais cela importe en l’occurrence peu – au Sénat (selon Mediapart), le voici rattrapé, sinon par la patrouille, en tout cas par le système.

Des défauts dans l’organisation

Il connaît le mot que l’on commence à chuchoter à droite : u0022 balladurisation u0022. Ce n’est pas un compliment

Le candidat cafouille, alors que la maîtrise de la langue est une arme décisive pendant une présidentielle. Non, ses enfants n’étaient pas avocats lorsqu’il les a fait travailler au Sénat ; non, il n’a pas un seul compte en banque – ce n’est pas en multipliant les imprécisions que l’on combat les suspicions. Son épouse se tait : alors qu’elle avait accepté de s’exprimer dans les médias, les avocats lui ont demandé de garder le silence jusqu’à l’audition du couple par la justice, qui a eu lieu le 30 janvier.

Son équipe tangue. Difficile à certains – comme l’ancien ministre Bruno Le Maire ou le premier des porte-parole, Thierry Solère, qui ont eux-mêmes embauché un temps leur femme à l’Assemblée – de monter au créneau, quand d’autres se font porter pâles, pendant que les derniers, sur le terrain, râlent :  » Le défaut de l’organisation, c’est que l’on n’a rien eu, regrette un baron local. Je n’ai pas reçu le coup de fil qui m’aurait expliqué ce qu’il fallait dire. On m’a seulement transféré le communiqué annonçant que François Fillon allait faire le 20 Heures de TF 1.  » Un mauvais esprit remarque :  » Fillon a été reçu premier à un concours… de circonstances. Maintenant, une campagne présidentielle, c’est une affaire de professionnels.  »

Redevenir audible. Du discours qui se voulait fondateur, le 29 janvier, on a retenu d’abord l’émotion du couple Fillon et la détermination du candidat dans sa volonté de riposter. Reconstruire une image.  » Maintenant, il doit travailler l’empathie. Il faut qu’on le voie sympa au milieu des Français « , expliquait son cercle rapproché avant même l’affaire Penelope. La réunion de Paris était conçue comme une démonstration de force, mais aussi comme une exception à la règle : puisque Emmanuel Macron attire les foules dans toutes les villes où il se rend, François Fillon, lui, ferait peu de meetings et beaucoup de terrain. Avec le sourire, histoire de ne pas apparaître terne par rapport à l’étoile Macron. Encore une chose qui devient compliquée : car s’il veut sourire en ce moment, il va sourire jaune…

Trop sûr de lui?

De quelle étoffe se révélera celui qui regarde en ce moment une série dont le titre est déjà tout un programme – Designated Survivor,  » survivant désigné  » ? Il y a quelques semaines, le fondateur du Mouvement pour la France, Philippe de Villiers, confiait à Marion Maréchal-Le Pen :  » Fillon ne sera pas à la hauteur. On prend pour de la lucidité ce qui n’est que translucidité, on prend pour de la tempérance ce qui n’est qu’un manque de caractère.  » Combatif dès que l’affaire a explosé, combatif avant de monter à la tribune dimanche, François Fillon connaît le mot que l’on commence à chuchoter à droite :  » balladurisation « . Ce n’est pas un compliment.

L’allusion vise un candidat trop sûr de lui et entouré de notables – les critiques montent contre les deux piliers de sa victoire à la primaire, le président du Sénat, Gérard Larcher, et le président du groupe les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau. Certes, il n’y a pas d’alternative à droite, alors qu’il y avait un choix entre Edouard Balladur et Jacques Chirac en 1995. De plus, l’envie d’alternance dans son électorat est très forte, ce qui constitue le meilleur des moteurs pour chasser tous les doutes… en même temps que la pire des pressions s’il n’apparaît plus comme une garantie de victoire. En face, reconnaît un ami du candidat, Emmanuel Macron  » coche une case très forte, la soif de changement « .

Dans cette présidentielle devenue incontrôlable, Fillon le méthodique ne domine plus la situation. Il sait qu’il est espéré sur le terrain régalien par l’électorat de droite et va donc le labourer. Le vent de folie qui l’atteint à son tour le contraint toutefois à sortir du classicisme. Demain, le temps de l’essoreuse viendra aussi pour ses concurrents, à commencer par Emmanuel Macron. Peut-être, dans cette compétition, ne s’agira-t-il pas d’être le meilleur. Mais le dernier à rester debout.

Par Jean-Baptiste Daoulas et Éric Mandonnet.

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