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Faut-il reconstruire les monuments détruits ou abîmés ?

Le Vif

Hier Dresde et Varsovie, aujourd’hui le château de Berlin et demain, peut-être, le palais des Tuileries à Paris ou la flèche de la basilique de Saint-Denis. Si certains rêvent de reconstruire les monuments disparus ou abîmés par le temps, ces projets comptent aussi leurs adversaires.

Le débat a été vif en Allemagne où l’on rebâtit actuellement au coeur de Berlin l’ancien château de l’empereur Guillaume II, rasé il y a 65 ans après avoir été endommagé pendant la guerre. Il avait fait place au « Palais de la République », autrefois symbole de la RDA communiste puis démoli entre 2006 et 2008.

La controverse existe aussi en France autour de plusieurs projets de reconstruction comme ceux du palais des Tuileries, incendié par des insurgés en 1871 à Paris, du château de Saint-Cloud (ouest de Paris), victime des obus de la guerre de 1870 ou de la flèche de la basilique de Saint-Denis, à la périphérie nord de Paris, démontée il y a 150 ans et jamais reconstruite. La façade rénovée de la basilique, qui abrite la nécropole des rois de France, devait être inaugurée ce vendredi après trois ans de travaux. « Si la foudre s’abattait sur les tours de Notre-Dame (de Paris) ou les clochers de la place Saint-Marc, à Venise, sans doute faudrait-il les reconstruire », estime le membre de l’Académie française Erik Orsenna, ardent défenseur de la reconstruction de la flèche de Saint-Denis. Ce serait « une formidable manière d’enseigner l’histoire et de parler de tout un pan de l’identité française », plaide l’académicien qui préside un comité de parrainage composé d’élus, d’historiens de l’art, d’universitaires et d’artistes. Sceptique quant à l’intérêt de ce projet, Olivier Poisson, inspecteur général des monuments historiques français, estime lui que la flèche reconstruite viendrait « altérer l’authenticité de la basilique ». « Le passé est mort et nous n’avons pas à revenir aujourd’hui sur l’histoire de cette flèche qui avait été démontée par nos prédécesseurs », explique-t-il à l’AFP. En clair, la disparition de la flèche fait partie de l’histoire du monument, auquel il ne faut donc pas toucher. Une question qui fait d’autant plus débat que l’architecte François Debret (1777-1850) avait démonté la flèche en prenant soin de numéroter chaque pierre en vue d’un futur remontage.

Dov’era, com’era

Financé par le mécénat et les revenus touristiques, le projet – estimé à 50 millions d’euros – s’inspire de la reconstruction du navire du marquis de La Fayette, L’Hermione, ou du chantier du château de Guédelon, un édifice construit depuis 20 ans en Bourgogne, dans l’est de la France, selon les méthodes utilisées au Moyen Age. « L’argent des mécènes pourrait utilement être utilisé à des chantiers plus urgents, d’autant que les crédits consacrés à la restauration ont considérablement baissé en Europe », argumente Gennaro Tuscano, directeur de recherche à l’Institut national du patrimoine. Les adversaires des reconstructions mettent aussi en avant la Charte de Venise de 1964, texte qui codifie les travaux effectués sur les édifices patrimoniaux et s’élève contre les ajouts arbitraires. L’Europe du XXe siècle ne manque pas d’exemples de reconstructions à l’identique de monuments disparus: les palais et églises de Varsovie, la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, la Frauenkirche de Dresde, le pont de Mostar en Bosnie-Herzégovine ou le Parlement de Bretagne, dans l’ouest de la France.

De nombreux architectes reconnaissent le besoin de rebâtir un chef d’oeuvre du patrimoine lorsqu’il a été détruit par la guerre, par un régime politique honni ou par les flammes – comme l’opéra de la Fenice de Venise. « A chaque fois, ce ne sont pas les professionnels ou les théoriciens du patrimoine qui décident mais les habitants d’un pays ou d’une ville, via leurs représentants, qui choisissent ou non de reconstruire », souligne Olivier Poisson. Et de rappeler: « En 1902, lorsque le campanile de la place Saint-Marc à Venise s’était écroulé, le conseil municipal avait décidé le soir même de le reconstruire +dov’era, com’era+ » (où il était, comme il était).

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