Farid Abdelkrim © DR

Farid Abdelkrim : « Nous avons contribué à salir une religion »

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Après quinze années passées dans la branche française des Frères musulmans, Farid Abdelkrim raconte comment et pourquoi il en est sorti.

Ancien président des Jeunes musulmans de France, Farid Abdelkrim jouissait d’une réelle écoute dans les banlieues et était perçu comme un « dur » de l’Union des organisations islamistes de France. Durant quinze ans, il a joué les prédicateurs, avant d’effectuer un demi-tour surprenant.

Le Vif/L’Express : Comment un adolescent élevé par des parents dont la vie est rythmée par un islam « populaire et tranquille » devient-il islamiste ?

Farid Abdelkrim : Mes parents se sont montrés trop discrets dans la transmission de l’islam. Le seul acte de dévotion que je leur connaissais était le ramadan. Comme de nombreux parents de cette génération, ils avaient gardé le réflexe de leur pays d’origine : confier cette transmission de l’islam à l’imam de la mosquée.

Puis, il y a le petit délinquant choqué par la mort de Rédouane.

C’était avant l’avènement des paraboles, des réseaux sociaux et du Net. A 13 ans, je tenais des petits rôles de caïd, je fumais un peu d’herbe et de shit. Ensuite, il y a eu les cambriolages et les braquages. Mais, en 1985, la mort de Rédouane, figure emblématique de cette délinquance de quartier, tué par un gendarme, va profondément me bouleverser. Je me suis rendu à la cérémonie organisée en hommage au défunt, à la mosquée de Nantes. J’avais 18 ans, j’étais en recherche de divin, de sacré. En pareilles circonstances, on se sent musulman. L’imam de la mosquée, un Irakien, un Frère musulman, nous a dressé un réquisitoire contre l’Etat d’Israël. Son discours me culpabilisait : « Celui qui ne se soucie pas des affaires des musulmans ne peut, par conséquent, prétendre être des leurs. » Et quand on culpabilise un individu, il devient fragile et perméable aux endoctrinements. C’était ma première rencontre avec les Frères musulmans.

Un profil impressionnable qui ressemble à celui de jeunes djihadistes ?

Ce profil n’est pas bien compliqué. Il s’agit de jeunes issus essentiellement de l’immigration maghrébine. Sont-ils Français, Belges ou pas ? A cette question s’ajoutent des résidus historiques mal digérés, comme la guerre d’Algérie. Pour parler de mon cas, de cet ado plein de complexes, j’avais une fascination pour Tony Montana (NDLR : personnage joué par Al Pacino dans Scarface). Et Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, une sorte de Tony Montana nouvelle tendance, m’a subjugué. Je venais d’apprendre son existence. Je m’identifiais aux deux. Ils étaient mes mentors, mes modèles.

La première chose que l’on vous a enseignée, c’est la pensée de Hassan al-Banna ?

Oui, tout est allé très vite. Il s’agissait d’une rencontre fortuite, après avoir rencontré l’imam de la mosquée de Nantes. A vingt ans, je venais de me rendre compte que les Frères musulmans existaient en France. Cela m’avait impressionné et qu’ils me choisissent pour être l’un de leurs disciples était un prestige. J’ai prêté allégeance à la confrérie, avec beaucoup d’honneur et de fierté.

Qu’implique concrètement cette allégeance à la confrérie ? Est-ce le début de votre carrière d’islamiste ?

A peine âgé de 25 ans, j’ai commencé à donner des conférence, à jouer le théologien, le prédicateur sans bagages. Au début, les jeunes étaient timides et peu nombreux. Il fallait agir plus largement. Notre défi, c’était la lutte contre l’échec scolaire de ces jeunes dont la France n’avait rien à faire, disions-nous. Nous avons donc crée des associations de soutien scolaire. Le but était évidemment politique : en faire des intellectuels qui pèsent sur l’échiquier politique et intervenir dans les décisions qui nous concernaient. Sans violence, car les Frères musulmans est une structure réformiste et légaliste. Ce faisant, je me suis installé dans la peau de celui qui possédait la Vérité et qui se croit missionné pour transmettre. Je me suis pris pour un prophète.

Face à eux, quels étaient vos propos ?

Je leur disais, par exemple, que la société dans laquelle nous vivions était permissive, que la France ne s’était pas repentie devant l’Algérie, qu’elle détestait l’islam, qu’il s’y commettait des crimes racistes… Un chaudron brûlant ! Ce discours était servi n’importe comment et suscitait de la frustration. Bref, au lieu de leur apporter de la clarté, des solutions, d’éviter les raccourcis, j’augmentais leur malaise et leur proposait l’islam comme réponse. Dans mes prêches, mes propos, je me suis retrouvé à leur construire un monde où il y a « eux » et « nous ». Eux, la France, les non-musulmans. Nous, les musulmans. Tout nous opposait. Il y avait incompatibilité. Je leur disais encore qu’ils savaient la force que nous représentions. Raison pour laquelle ils n’avaient cessé de nous combattre par le passé. Et qu’ils continuaient de le faire et le feraient jusqu’à la fin des temps. Nous étions devenus faibles, il fallait se relever.

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L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • son processus de déradicalisation
  • le mélange islam et politique
  • les responsabilités de la société
  • son nouveau costume : écrivain humoriste

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