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Expulsé d’Ukraine, l’opposant Saakachvili reste un problème

Le Vif

Le président ukrainien Petro Porochenko a réussi à se débarrasser, au moins temporairement, de l’opposant et ex-président géorgien Mikheïl Saakachvili, expulsé en Pologne, mais cette affaire risque de nuire à l’image du chef de l’Etat en Occident.

Mikheïl Saakachvili a été arrêté lundi dans un restaurant du centre de Kiev et envoyé aussitôt en Pologne à bord d’un avion, ce qui a mis fin à des mois de feuilleton politico-judiciaire très médiatisé.

L’expulsion d’Ukraine de l’ex-président, déchu successivement de ses nationalités géorgienne et ukrainienne et devenu apatride, a eu lieu si rapidement que ses partisans n’ont pas eu le temps de réagir.

Les autorités ukrainiennes ont « montré que l’Etat est fort alors que Saakachvili démontrait tout le temps la faiblesse » du pouvoir, a estimé auprès de l’AFP la sociologue Iryna Bekechkina, directrice de la fondation Initiatives Démocratiques.

Ancien allié du président Porochenko, Mikheïl Saakachvili, 50 ans, est devenu l’un de ses plus farouches opposants et n’a de cesse de défier le pouvoir ukrainien qu’il accuse de corruption.

La brutalité de son arrestation, jeté à terre par les gardes-frontières ukrainiens, qui l’ont insulté et tiré par les cheveux selon une vidéo diffusée sur internet, a provoqué de vives critiques contre le pouvoir.

Cette arrestation pourrait pousser les soutiens occidentaux de l’Ukraine, dont elle demeure très dépendante, à « s’interroger sur la justice sélective » ukrainienne, selon l’analyste Iryna Bekechkina, qui estime qu’elle est largement « perçue comme une vengeance » personnelle du chef de l’Etat.

L’affaire pourrait « avoir un impact négatif » sur la réputation du président Porochenko, renchérit Sergui Solodky, directeur-adjoint du Centre d’analyse Nouvelle Europe à Kiev.

Mardi, la Commission européenne a indiqué « suivre » de près la situation de l’opposant. « Nous nous attendons à ce que les droits de M. Saakachvili soient respectés », a ajouté une porte-parole de la Commission, Maja Kocijancic.

Pour certains, son expulsion est une mise en garde pour les rivaux de M. Porochenko en vue du scrutin présidentiel de mai 2019. « C’est un avertissement : toutes les voix contestataires seront écrasées sans merci », assure Maxim Erestavi, du centre d’analyse américain Atlantic Council.

– Bientôt de retour? –

Nommé gouverneur de la région d’Odessa en 2015 par M. Porochenko, Mikheïl Saakachvili a démissionné un an et demi plus tard, entérinant sa rupture avec le président ukrainien. Après avoir obtenu la nationalité ukrainienne, il en a ensuite été déchu.

En septembre dernier, il est rentré en Ukraine en forçant le passage de la frontière avec la Pologne avec une foule de ses partisans. Revenu à Kiev, il a échappé à plusieurs reprises à la police qui tentait de l’arrêter.

Son parti, Mouvement des forces nouvelles, organise régulièrement des manifestations anti-corruption et anti-Porochenko, parfois violentes.

Le parquet général ukrainien l’a accusé d’avoir voulu « prendre le pouvoir par la force » au cours de ces manifestations qui auraient été financées, selon les autorités, par l’entourage de l’ex-président prorusse Viktor Ianoukovitch, déchu en 2014. M. Saakachvili nie ces accusations.

Accusé de ne pas avoir mené les réformes exigées par le soulèvement populaire de Maïdan, le président Porochenko fait face à des critiques toujours plus nourries en Ukraine.

« Beaucoup d’Ukrainiens partagent les demandes des manifestants (pro-Saakachvili, ndlr), mais la personnalité de Saakachvili – un homme aux abois, imprévisible, psychologiquement instable – rebute nombre d’entre eux », explique Mme Bekechkina.

M. Saakachvili a déclaré compter sur la mobilisation de ses partisans pour pouvoir revenir en Ukraine. Mais la cote de popularité de son parti ne dépasse pas 2% des intentions de vote, selon un récent sondage, ce qui rend improbable l’éventualité d’une mobilisation populaire massive en sa faveur.

M. Saakachvili, qui a promis de continuer à « combattre la corruption », prévoit de « faire une tournée en Europe » pour sensibiliser des hommes politiques à sa cause, et dénoncer un Porochenko décrit comme « profiteur ».

« La carrière de Saakachvili est dans une spirale descendante », estime Adrian Karatnycky, chercheur au Atlantic Council, tout en soulignant que l’ancien président géorgien peut encore jouer un rôle sur le long terme.

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