Kim Ryon-hui © Reuters

Étranger à jamais: ces Nord-Coréens qui veulent retourner dans leur pays

Muriel Lefevre

Près de 30.000 Nord-Coréens sont exilés en Corée du Sud. Mais tous ne sont pas heureux d’avoir échappé au régime. Loin de là. Ces transfuges malheureux espèrent que le sommet de ce vendredi leur permettra, d’un jour, revoir leur mère patrie.

Depuis qu’elle a mis les pieds à Séoul, Kim Ryon-hui n’a plus pensé qu’à une seule chose : rentrer chez elle en Corée du Nord. Une obsession un peu étrange lorsqu’on sait que pour quitter la dictature, la pauvreté et la faim, elle a risqué sa vie.

On estime qu’il y a 30.000 transfuges Nord-Coréens qui vivent en Corée du Sud. Si la grande majorité ne partage pas le même rêve que Kim, elle n’est pas non plus un cas unique. Cela fait 7 ans que Kim tente de retourner auprès de sa fille et de son mari qui vivent à Pyongyang. Elle n’a eu de cesse d’organiser des manifestations, des conférences et des pétitions auprès des Nations Unies. Toutes ne disent qu’une seule chose : qu’elle n’est qu’une étrangère coincée dans un pays étranger.

Son désir affiché de retour vers sa mère patrie a fait d’elle une héroïne en Corée du Nord. Une ambition qui a ému du côté de Pyongyang qui a fait de son retour une condition préalable à une possible réunification des familles divisée par la guerre de Corée entre 1950 et 1953. Mais dans le Sud de la Corée, on craint qu’il ne s’agisse d’une espionne et on lui refuse son passeport de peur qu’elle ne passe par la Chine. Kim place de grands espoirs dans le sommet qui réunit pour la première fois le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et la présidente sud-coréenne Moon Jae-in. Elle espère que cette première rencontre va lui permettre d’enfin retrouver sa famille.

Citoyens de seconde zone

Kim a grandi à Pyongyang et y vivait confortablement selon les normes nord-coréennes. Son mari était un chirurgien militaire, une position enviée dans cette société qui considère l’armée comme l’élite. Son aventure commence en 2011 lorsqu’elle se rend en Chine pour être soignée. Une fois sur place, elle s’aperçoit avec horreur que cet état communiste n’offre pas de services de santé gratuits. Elle est donc contrainte de travailler pour payer ses factures. C’est alors qu’une personne qui fait passer les Nord-Coréens vers la Corée du Sud la convainc qu’elle pourra se faire beaucoup plus d’argent là-bas. Elle accepte en se disant que ce n’est qu’une question de quelques mois, le temps de se faire un petit bas de laine. Rapidement elle va pourtant déchanter et s’apercevoir que sa petite excursion a tout d’un voyage sans retour. Arrêtée par la police, elle doit signer une charte où elle renie le régime nord-coréen. Elle reçoit aussi de facto la nationalité sud-coréenne. Un cadeau empoisonné, car il lui est désormais interdit de se rendre en Corée du Nord, sauf autorisation spéciale des autorités. On lui refuse aussi tout passeport de peur qu’elle cherche à rejoindre la Corée par la Chine. Elle se procure alors un faux passeport, mais se fait attraper et écope de deux ans de prison. Elle passera 10 mois en prison avant d’être libérée en 2015.

Lorsqu’on lui demande pourquoi elle s’acharne à ce point à rejoindre son ancien pays alors que sa situation semble plus enviable dans le Sud, elle répond: « Peu importe votre richesse. Si vous ne pouvez pas partager cela avec votre famille, cela n’a aucun sens. Vivre ici pendant sept ans m’a appris ce que c’est que de vivre comme transfuge nord-coréen. On reste des étrangers perpétuels dans ce pays où on est traité comme des citoyens de seconde zone. Je ne voudrais jamais que ma fille vive cette vie.  » Cet avis est partagé par beaucoup de ses compatriotes. La moitié des Nord-Coréens qui vivent actuellement dans le Sud disent avoir été victimes de discrimination, notamment d’employeurs, de collègues et même d’étrangers dans la rue. Kim connaît personnellement sept transfuges qui veulent revenir, et elle dit qu’il y en a beaucoup d’autres qui fuient les projecteurs. Aujourd’hui, elle vit dans une maison délabrée à Séoul. Elle est entourée de gens qui partagent son rêve. Il s’agit principalement de vieux vétérans qui sont coincés là depuis la fin de la guerre de Corée qui ne souhaite plus qu’une seule chose: mourir là où ils sont nés. Noyés dans la nostalgie, ils en oublient que le pays qu’ils ont connu n’existe plus.

Kwon est un autre de ses transfuges qui rêvent d’un éventuel retour. Lui aussi s’est fait avoir par un passeur et lui aussi parle des discriminations sans fin. « Pour vivre, l’argent est important. Mais il est plus important encore d’être traité comme un être humain. Dans le Nord, personne ne m’a traité comme ça », dit-il dans The Guardian. « Quand je suis arrivé [en Corée du Sud] on m’a dit que je serais traité à égalité, mais c’était des conneries. » Désemparé, Kwon a tenté de retourner dans le Nord mais il a été capturé et a passé plusieurs mois en prison. Depuis lors, il organise parfois des sittings dans le centre de Séoul pour tenter de sensibiliser le public à son cas. Il vit dans un petit appartement à la périphérie de Séoul où il se bat pour payer son loyer d’environ 170 euros par mois. Il dit que la plupart des transfuges nord-coréens qu’il a connus ont cessé de lui parler, de peur d’attirer l’attention du Service national des renseignements. Il se sent seul. « Ma famille me manque à chaque instant. »

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