Le socialiste Pedro Sanchez s'est lancé dans l'abrogation de mesures approuvées par la droite. © AFP

Espagne: Pedro Sanchez, le triomphe de l’obstination

Le Vif

Battu lors des deux dernières élections puis évincé de son parti avant d’en reprendre les commandes, le socialiste Pedro Sanchez a réussi son dernier coup de poker pour se hisser au pouvoir en Espagne. Mariano Rajoy est renversé par le Parlement et remplacé par lui.

Monté au front dès l’annonce de la condamnation du Parti Populaire (PP) du chef du gouvernement Mariano Rajoy dans un méga-procès pour corruption, l’ancien professeur d’économie de 46 ans, surnommé le « beau mec » (guapo) en Espagne, a certainement pensé qu’il aurait cette fois enfin rendez-vous avec l’histoire.

« Votre isolement, Monsieur Rajoy, constitue l’épitaphe d’une période politique, la vôtre, qui est déjà finie », a-t-il dit jeudi au Parlement. « Vous faites partie du passé, ce pays est sur le point de tourner la page et l’Espagne doit regarder l’avenir sans peur », a-t-il encore dit, impeccablement cintré comme à son habitude dans un costume sombre.

« Le hasard lui donne l’occasion de pouvoir jouer un rôle central », souligne Fernando Vallespín, politologue à l’Université autonome de Madrid, et il tente du coup « un pari risqué », une « attaque en désespoir de cause ».

En perte de vitesse, le Parti Socialiste était « tenu à l’écart de la première ligne du débat politique » occupée par le PP, les libéraux de Ciudadanos et la gauche radicale de Podemos, ajoute l’universitaire.

– Revenu par la grande porte –

Avec seulement 84 députés à la chambre, Sanchez, qui n’est plus député et ne dispose donc pas de la tribune que représente le Parlement, a été contraint de pactiser avec Podemos, les séparatistes catalans et les nationalistes basques pour renverser Mariano Rajoy vendredi par une motion de censure.

Une majorité, raillée comme « majorité Frankenstein » par le PP, qui pourrait s’avérer très instable et écourter le bail de M. Sanchez au palais de la Moncloa.

Qu’importe, le leader socialiste compte faire adopter des mesures sociales rapidement afin de « renforcer la cote de popularité de son PSOE », note Antonio Barroso, analyste au cabinet Teneo Intelligence, et arriver ainsi plus fort aux prochaines élections anticipées, dont Ciudadanos est donné vainqueur par les sondages.

« Sanchez est un politicien audacieux mais pas excessivement réfléchi et qui raisonne plus à court-terme », juge Fernando Vallespin.

Né le 29 février 1972 à Madrid, Sanchez a grandi dans une famille aisée, auprès d’un père entrepreneur et d’une mère fonctionnaire, et a étudié l’économie dans la capitale espagnole avant de décrocher un master d’économie politique de l’Université libre de Bruxelles.

Conseiller municipal à Madrid de 2004 à 2009, il devient député en 2009 à la suite de la démission du titulaire du siège, avant de connaître une ascension fulgurante.

Propulsé en 2014 à la tête d’un PSOE affaibli à la faveur des premières primaires de l’histoire du parti, il arrive derrière Mariano Rajoy lors des élections de décembre 2015. Dans le contexte de paralysie politique qui s’en suit, il tente sans succès de former un gouvernement avec l’appui de Ciudadanos et de Podemos.

De nouvelles élections sont convoquées en juin 2016 et le PSOE dégringole encore, enregistrant son pire résultat depuis le rétablissement de la démocratie en 1977. Sanchez est alors défenestré du PSOE par la direction du parti, qui le juge responsable.

Mais il revient par la grande porte en mai 2017, après avoir fait campagne en voiture dans toute l’Espagne pour rallier les militants qui votent pour le rétablir à la tête du parti.

– « Judas » pour la droite –

S’étant rapproché de Rajoy ces derniers mois sur la question de l’indépendance de la Catalogne, Sanchez restera désormais pour le PP comme le tombeur d’un chef du gouvernement qui avait jusqu’ici survécu à de nombreuses crises.

« Pedro Sanchez passera à l’histoire comme le Judas de la politique espagnole », a lancé récemment Fernando Martínez-Maillo, coordinateur de la formation conservatrice. Rajoy l’a accusé d’être « prêt par ambition personnelle (…) à s’allier avec n’importe qui à n’importe quel prix ».

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