Rudi Rotthier

En quoi l’État islamique diffère d’Al-Qaïda

Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

Les adversaires de l’État islamique, à l’intérieur et à l’extérieur du monde musulman, ont souvent qualifié l’EI de non islamique. Mais est-ce vraiment le cas ? Le magazine américain The Atlantic donne la parole à des spécialistes qui trouvent justement que l’État islamique a tout à voir avec l’Islam. Les leaders sont islamiques avec « un sérieux assidu et obsessif ».

Lors du sommet contre l’extrémisme organisé à Washington, le président Barack Obama et le bourgmestre de Vilvorde, Hans Bonte (sp.a), ont tenté de faire la distinction entre le véritable islam et la croyance des extrémistes.

Alors que les politiques occidentaux qualifient l’État islamique de non islamique, The Atlantic, un mensuel américain qui essaie de stimuler le débat sociétal depuis plus d’un siècle, publie une analyse approfondie de la théologie de l’EI. Si l’article a immédiatement fait l’objet d’une polémique, certains éléments peuvent aider à mieux comprendre l’EI. Leur première, et peut-être principale conclusion, c’est que l’Occident sous-estime la différence entre l’état islamique et Al-Qaïda.

Première différence : l’importance du territoire

Si l’organisation Al-Qaïda ambitionne la création d’un califat à terme et croit à la fin des temps, elle poursuit surtout des objectifs politiques (tels que l’élimination de non-musulmans du monde arabe ou la destruction d’Israël). Jusqu’à un certain point, Al-Qaïda est un mouvement moderne.

Mohammed Atta, l’homme qui a dirigé les actions du 11 septembre 2011 est allé faire du shopping chez Walmart et manger chez Pizza Hut, une chaîne pas vraiment connue pour son halal traditionnel, la veille des attentats.

Al-Qaïda n’a pas besoin d’un territoire. C’est même le contraire, l’organisation survit parce qu’elle n’est pas ancrée à un territoire. En revanche, pour l’EI le territoire est primordial.

Un musulman ne peut être sauvé et ne peut vivre comme un musulman que s’il vit dans un califat. Cela signifie donc que selon la philosophie et théologie de l’EI, entre 1924, la fin du califat ottoman et 2014, le début du califat de l’EI, tous les musulmans étaient damnés. Et comme l’EI ne considère pas les califes ottomans comme authentiques, les musulmans le sont depuis beaucoup plus longtemps.

Le calife doit être intègre, faire preuve d’autorité (sur sa région, car un calife sans territoire est impensable) et appartenir à la tribu du prophète, les Quraychites. Selon ses partisans, le calife de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi remplit ces exigences.

Par contre, ni le leader d’ Al-Qaïda Oussama ben Laden, ni les califes ottomans n’étaient membres de la bonne tribu. Les disciples ont le devoir de destituer leur calife s’il ignore les directives du prophète. Ainsi, un calife peut accepter des frontières pendant dix ans maximum et uniquement pour des raisons tactiques. Une trêve de plus de dix ans est non islamique et se paie par la tête du calife (même si les trêves peuvent être prolongées sous certaines conditions).

Deuxième différence: Ils se moquent des modernes

Il existe, selon The Atlantic, une deuxième différence importante avec Al-Qaïda : les membres de l’EI se moquent de ce qu’ils appellent les ‘modernes’. S’ils utilisent avec talent les moyens de communication et de propagande modernes, ils veulent vraiment retourner à la situation du temps du prophète et ses successeurs immédiats. Ce que beaucoup, et de nombreux musulmans, considèrent comme les atrocités et les pratiques médiévales de l’EI, ils voient comme un retour au véritable, ou plus précisément à leurs yeux, le seul véritable islam.

u0022Les membres de l’EI sont en plein coeur de la tradition médiévale et la transposent à l’époque actuelleu0022

Bernard Haykel, professeur à l’université de Princeton et « expert le plus éminent en théologie de l’EI » (d’après The Atlantic) affirme que l’État islamique réintroduit fidèlement les règles de guerre de l’ancien islam. « L’esclavage, la crucifixion et la décapitation n’ont pas été cueillis dans la tradition médiévale par quelques djihadistes excentriques » estime Haykel. Pour lui, les membres de l’EI « sont en plein coeur de la tradition médiévale et la transposent à l’époque actuelle ». D’après le professeur, le Coran spécifie que la crucifixion constitue l’une des punitions à infliger aux « ennemis de l’islam ».

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Dans la neuvième sourate, on trouve une taxe spéciale pour les chrétiens où l’on lit également que les musulmans doivent affronter les chrétiens et les juifs jusqu’à ce, soumis volontairement, ils paient cette taxe et se résignent à leur sort. Le prophète, qui vivait une situation de guerre difficile, a imposé ces règles et possédait lui-même des esclaves.

« Ce qui frappe, c’est non seulement leur interprétation littérale, mais également le sérieux avec lequel ils lisent ces textes » s’étonne Haykal. « Avec un sérieux assidu, obsessif qu’habituellement les musulmans n’ont pas ».

« Les musulmans qui qualifient l’EI de non islamique » conclut Haykel, « sont gênés et politiquement corrects, et ont une vision édulcorée de leur religion ».

Haykel n’éprouve pas de sympathie pour autant pour l’EI. Après la parution de l’article, il a précisé qu’il ne croyait pas qu’il s’agit de la seule interprétation et loin d’être celle de la majorité. Il s’agit d’une lecture littérale, non historique et sévère du Coran, de la tradition et de l’histoire des premiers califes, avec une prédilection pour les passages violents. Cependant, on y trouve tous les moyens utilisés par l’EI. À tort, selon Haykel, dans le sens que « brûler un infidèle » figure comme punition dans les écrits.

Il estime qu’il peut être utile d’étudier la théologie de l’EI car le groupe s’inspire de sources islamiques pour sa tactique de guerre et planifie ses agressions selon l’exemple du prophète.

Troisième différence: l’EI qualifie les musulmans plus rapidement d’infidèles

Selon The Atlantic, il y a encore deux grandes différences avec Al-Qaïda

L’EI a beaucoup plus tendance à qualifier des musulmans d’infidèles. Les 200 millions de chiites sont infidèles et pour l’IE, ils doivent donc être tués. Mais parmi les sunnites l’EI voit également plein d’infidèles : ceux qui fument, participent à des élections, boivent de l’alcool, ne prient pas, etc.

Quatrième différence: Al-Qaïda ne s’occupe pas de la fin des temps

Al-Qaïda ne s’occupe pas de la fin des temps, tout comme la majorité des musulmans, mais l’EI y croit et prêche qu’elle est proche.

D’après ses propres comptes, Al-Baghdadi est le huitième (véritable) calife, et il a été prédit qu’après douze califes Jésus viendra sauver les musulmans assiégés et inaugurera l’Apocalypse.

L’EI s’inscrit dans une tradition musulmane d’apocalypse qui dit que les musulmans livreront une bataille décisive à Dabiq en Syrie contre l’impuissance des autres, les « croisés ».

Tout cela ne signifie pas que les leaders de l’EI n’ont pas de desseins politiques et n’utilisent pas la religion pour attirer des jeunes vers leur califat. Cependant, ce qui est certain d’après Haykel, c’est que les leaders connaissent leurs écrits religieux et souvent mieux que leurs opposants. Ils savent formuler leurs pensées d’une façon souvent convaincante et attirante pour leur public cible.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire