Une mère et son enfant en Namibie (image d'illustration) © Reuters

En Namibie, les enfants perdus de la RDA communiste

Le Vif

Victimes de l’Histoire ou « miraculés » ? Plus de 400 enfants namibiens ont été séparés de leurs familles et envoyés en Allemagne de l’Est au tournant des années 80 pour y être élevés comme de parfaits petits communistes, future élite de leur pays… jusqu’à la chute du Mur de Berlin.

Une pièce de théâtre, « Oshi-Deutsch, die DDR Kinder von Namibia », prochainement jouée en Allemagne puis en Namibie, raconte leur odyssée. « Il est facile de voir le côté sombre de cette histoire. Mais chacun doit vraiment être capable de se libérer et de voir ce qui est sorti de bon de nos années de lutte », dit à l’AFP Ndinomholo « Dino » Ndilula, co-auteur de la pièce, en marge d’une répétition à Windhoek.

Côté sombre? Des enfants, dont beaucoup d’orphelins, ont été déplacés de camps de réfugiés et emmenés en Allemagne de l’Est pour y être endoctrinés et préparés à la lutte, aux termes d’un accord entre la Swapo, le mouvement indépendantiste namibien soutenu par le bloc soviétique, et le gouvernement communiste de la RDA.

A l’époque, la Namibie, ancienne colonie allemande, est occupée par l’Afrique du Sud. La guerre fait rage entre les troupes du régime de l’apartheid et les combattants de la Swapo. Des milliers de Namibiens fuyant les combats s’entassent dans de misérables camps en Angola ou en Zambie.

« Nous avons été soumis à un entraînement militaire intensif, natation, combat. Ils nous disaient que nous allions libérer notre pays, que nous serions l’élite », se rappelle Monica Nambelela, emmenée à l’âge de trois ans, et dont la fille Shakira, 13 ans, tient un rôle dans « Oshi-Deutsch » (contraction de « Oschivambo », langue vernaculaire namibienne, et Deutsch, « allemand »).

‘Combat, rigueur, ponctualité’

Aujourd’hui fonctionnaire, cette femme à la quarantaine épanouie ne se voit pourtant absolument pas en victime: « Je me considère comme extrêmement privilégiée », assure-t-elle au contraire. « Ce système d’éducation embrassait tout ce que vous avez besoin de savoir dans la vie: la rigueur, la ponctualité, la capacité à se battre pour son pays, à être incorruptible ».

Même constat pour Lucia Engombe, 43 ans, devenue productrice de programmes germanophones à la télévision nationale namibienne, et autrefois arrachée à un camp de réfugiés en Zambie.

« Moi, ça m’a sauvé la vie. En Zambie, il y avait la guerre: si on nous disait, « Jette-toi sur le sol », il fallait se jeter sur le sol. Si on nous disait +cours!+, il fallait courir pour sauver sa vie (…). Nous vivions en permanence dans la peur », raconte-t-elle.

A six ans, Lucia est montée dans un bus qui partait pour l’aéroport. Elle croyait s’en aller en excursion. « Ma mère avait tout organisé, je l’ai découvert plus tard », raconte-t-elle, « j’étais sous-alimentée et je serais morte si j’étais restée plus longtemps dans ce camp ».

A leur arrivée en Allemagne de l’Est, les enfants namibiens sont regroupés dans le château de Bellin, dans le nord du pays. Sous la supervision d’éducatrices allemandes et namibiennes, ils apprennent l’allemand – que Monica et Lucia parlent parfaitement et sans aucun accent – et suivent des études, en parallèle à leur éducation « politique ».

– ‘Ton père est un traître’ –

Lucia a raconté son histoire dans une autobiographie intitulée « Kind nr95 » (« Enfant numéro 95 ») témoignage unique sur la vie des « Namibiens de RDA ».

Restée longtemps sans nouvelles de ses parents, elle finit par apprendre que sa mère est réfugiée en URSS. Mais quand elle demande à écrire à son père, elle se heurte à un refus catégorique. « On m’a dit que mon père était un traître », un ennemi de la Swapo, se souvient-elle.

« J’étais petite, j’ai demandé ce que ça voulait dire, un traître. On m’a expliqué et j’ai pleuré, parce que les autres enfants avaient le droit d’écrire à leur parents, et quand ils recevaient des lettres ou des colis, ils étaient fous de joie ».

Devant son obstination à communiquer avec son père, les éducateurs finissent par lui dire qu’il est mort: « C’était comme si on m’avait coupé un morceau de moi-même (…) Mais quelque part dans mon coeur, je savais qu’il était encore vivant ».

Lucia, qui n’a jamais cessé de croire en Dieu et de prier, malgré les remontrances et les brimades des éducateurs du régime communiste athée, retrouvera son père à l’âge de 18 ans, après son retour en Namibie.

L’histoire de ces enfants namibiens exilés en Allemagne a dérapé avec la chute du Mur de Berlin et la disparition programmée de la RDA.

En août 1990, deux mois avant la réunification allemande, quatre avions gros porteurs rapatrient 425 enfants, que rien n’a préparé à ce retour dans un pays africain où le communisme n’a finalement pas triomphé.

L’adaptation est difficile. « J’étais adolescente », se souvient Monica. « L’apartheid venait d’être aboli. Nous étions les premiers enfants noirs à aller à l’école allemande. Cela n’a pas été facile. Nous avons beaucoup souffert de discrimination de la part des enseignants, qui avaient vécu dans un système ségragationniste toute leur vie ».

« Ces 400 enfants sont partis (de Namibie), sont revenus et ont dû s’intégrer. Et tout ce qui s’est passé est évidemment une page de l’histoire de la Namibie », dit Dino le dramaturge.

Vingt-six ans après leur retour au pays, la plupart des « enfants de RDA », comme on les appelle en Namibie, ont malgré tout réussi leur vie. « Celui-ci est avocat, celle-là ingénieure, ces deux-là mariées en Europe, je suis journaliste… », sourit Lucia, en feuilletant un vieil album de photos jaunies, souvenir de vacances en camp de pionniers en RDA.

cpb/ak

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire