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En Irak, la corruption a l’ampleur d’un « dinosaure »

Le Vif

Sortis du pays les poches pleines ou de prison grâce à des amnisties douteuses, en Irak, les corrompus ont encore de beaux jours devant eux même si les autorités jurent vouloir leur mener une lutte sans merci.

Dans le dixième pays le plus corrompu au monde, au-delà des annonces, juges, gouvernants et législateurs se renvoient la balle, et la lutte contre les détournements de fonds en reste « au stade de la théorie », tacle le politologue irakien Hicham al-Hachémi.

Avant même d’en avoir fini avec le groupe jihadiste Etat islamique (EI), le Premier ministre Haider al-Abadi proclamait la prochaine bataille, celle contre les corrompus auxquels il promettait « des surprises ».

Mais, assure M. Hachémi, « rien ne bougera tant que ceux qui protègent les corrompus dans les domaines de l’économie, la sécurité et l’armée ne seront pas inquiétés ».

Pour la députée Majeda al-Tamimi, la lutte contre la corruption sera « dure et féroce (…) » car « tous les partis comptent des corrompus et plus on monte dans les instances du pouvoir plus la proportion est élevée ».

Trois fois le budget

Le cynisme est tel qu’un politicien a été jusqu’à expliquer à des journalistes que « jusqu’à 60 millions de dollars empochés, on peut considérer que c’est encore honnête, c’est à partir de plus qu’on peut parler de corruption ».

Le gouvernement est aidé par des enquêteurs d’organisations occidentales ainsi que par la mission de l’ONU pour pister les fonds disparus ou blanchis, assure à l’AFP une source gouvernementale.

Pourtant, « la corruption, qui était de la taille d’une fourmi, est aujourd’hui devenue un dinosaure », déplore Mme Tamimi, en référence à 2003, l’année de l’invasion américaine et la chute de Saddam Hussein.

Pour son collègue Rahim al-Darraji, de la commission parlementaire pour la transparence, « il y a eu 6.000 contrats fantômes signés » dans le secteur public depuis 2003.

En tout, via des sociétés écrans, « 228 milliards de dollars sont partis en fumée », soit près de trois fois le budget de l’Etat et même plus que le PIB de l’Irak.

Les chantiers et autres projets promis n’ont existé que sur le papier ce qui explique, assurent les experts, pourquoi l’Irak manque cruellement d’infrastructures et de projets industriels ou agricoles.

Le deuxième producteur de brut de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) importe ainsi son électricité et des hydrocarbures raffinés. Et les milliards de dollars de recettes de la rente pétrolière se perdent souvent dans des projets pharaoniques qui restent à l’état de plans.

Parfois, une transaction a bien lieu, mais le coût réel du projet est bien inférieur à la somme écrite.

Sous le gouvernement précédent de Nouri al-Maliki, le ministère de la Défense avait passé une commande de 12 avions à un constructeur tchèque, payée 155 millions de dollars, donne en exemple M. Darraji. Après enquête, il s’est avéré que le coût réel des avions était de 11 millions de dollars et que le reste avait été dépensé en pots-de-vin, dit-il.

Un puissant homme d’affaires de Bassora (sud) expliquait récemment à une chaîne locale que l’ex- gouverneur, en fuite et recherché pour corruption, lui avait demandé une commission de 15% sur le montant total d’un contrat: « il m’a littéralement dit, je prends 10% et mon parti 5% ».

Amnistiés par le Parlement

Si certains responsables ne sont toujours pas inquiétés, d’autres, dont « des ministres » apparemment prévenus, parviennent à fuir le pays, accuse dans un rapport le Conseil supérieur de la magistrature.

Les journaux se font régulièrement l’écho du départ à l’étranger de responsables soupçonnés d’avoir détourné des milliards de dollars.

« De nombreuses décisions de justice ne sont jamais appliquées », dénonce le Conseil en interpellant l’exécutif qui, comme le Parlement, ne cesse de souligner l’indépendance des juges.

Le comité anticorruption de l’Etat -qui dépend du Premier ministre- plaide pour un durcissement de la loi et appelle en priorité à ce que les faits de corruption ne puissent pas faire l’objet d’une amnistie.

Car même lorsque la justice s’applique, les politiciens parviennent à sortir des corrompus de l’embarras, assure le juge Abdel Settar Bayraqdar. « Le Parlement a inclus dans une loi d’amnistie générale les responsables condamnés pour corruption ».

Cette loi prévoit de libérer les responsables corrompus s’ils acceptent de rendre l’argent détourné. Les profits tirés des fonds volés ne sont toutefois pas concernés.

« Par exemple, si quelqu’un a volé il y a dix ans deux milliards de dinars qui en ont généré vingt, il peut facilement rembourser deux milliards et sortir de prison », dit une source des autorités judiciaires.

« C’est comme un prêt à la banque en quelque sorte ».

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