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Empoisonnement Skripal: « c’est forcément les Russes »

Le Vif

Il ne travaille plus pour les laboratoires russes depuis plus de 25 ans, mais Vil Mirzaïanov en est certain: les Russes sont « les seuls » à avoir pu utiliser l’agent innervant « Novitchok » pour empoisonner l’ex-espion Sergueï Skripal et sa fille au Royaume-Uni.

Ce chimiste russe de 83 ans, arrivé aux Etats-Unis en 1995 après avoir travaillé près de 30 ans pour l’Institut de recherches d’Etat pour la Chimie et les Technologies organiques (GNIIOKhT), fut celui qui, au début des années 1990, révéla pour la première fois l’existence de ces puissants agents innervants.

D’abord aux médias russes, alors en pleine ouverture avec l’effondrement du régime soviétique. Puis, formules chimiques à l’appui, dans son livre « State Secrets » (« Secrets d’Etat »), publié pour la première fois en 2007.

Dix jours après que Skripal eut été retrouvé inconscient sur un banc de Salisbury, Mirzaïanov, depuis sa maison d’un quartier boisé de Princeton, dans le New Jersey, où il vit avec sa femme américaine, leurs deux chiens et un perroquet, est convaincu que Moscou a agi pour « intimider ».

« Seuls les Russes » ont mis au point ces agents, dit ce retraité aux yeux pétillants. « Ils les ont gardés et les gardent toujours au secret. »

La seule autre possibilité serait que quelqu’un ait utilisé les formules de son livre pour en fabriquer: les Russes pourraient dire que « peut-être quelqu’un a, après la publication, réalisé la synthèse (des substances), et me désigner coupable! », dit-il avec ironie.

Selon lui, c’est « la première fois » que ces gaz innervants, qui ont nécessité 15 ans de développement et ont été testés sur des animaux, sont utilisés pour chercher à tuer quelqu’un.

Pourquoi maintenant? Mirzaïanov, féru de Facebook et traducteur de livres sur l’histoire des Tatars, est convaincu que Moscou a « voulu intimider quelqu’un, un opposant de (Vladimir) Poutine ou du Kremlin ».

« Par exemple », spécule-t-il, « quelqu’un qui aurait fui aux Etats-Unis avec des éléments compromettants sur Donald Trump », dans le cadre de l’enquête sur une éventuelle collusion de la campagne Trump avec la Russie. « Ils lui disent ainsi, +Regarde ce qui est arrivé à Skripal, la même chose pourrait t’arriver! »

– Effets ‘incurables’ –

Sergueï Skripal « ne pouvait plus causer de problèmes », pourquoi vouloir le tuer maintenant, de manière « si cruelle »? raisonne-t-il.

Car une attaque aux gaz innervants Novitchok, une substance chimique « au minimum 10 fois plus puissante » qu’un agent de type VX, a des effets terribles et « essentiellement incurables », dit-il.

« Un demi-gramme suffit pour tuer quelqu’un de 50 kilos », explique Mirzaïanov.

L’individu exposé à la substance voit d’abord sa vision altérée, puis, si aucun antidote n’est administré, est pris de convulsions incontrôlables et ne peut plus respirer.

« J’ai vu l’effet sur des animaux – des lapins, des chiens- c’est redoutable », dit-il.

Même s’ils ne meurent pas, « Skripal et sa fille vont malheureusement souffrir toute leur vie », prédit-il. Et peut-être aussi « d’autres personnes qui étaient à proximité » lors de l’attaque.

Comment administrer la substance? C’est facile, selon lui, en raison de la nature binaire de ces armes chimiques, issues du mélange de deux composants qui, pris indépendamment, sont inoffensifs.

On peut donc facilement transporter les deux composants dans des récipients séparés, et ne créer la réaction – et donc le spray innervant – qu’au dernier moment, en les réunissant dans un petit pistolet pulvérisateur. Après « on tire près de la personne » visée, dit cet homme affable.

S’il qualifie de « désastre » l’attaque contre M. Skripal et sa fille, M. Mirzaïanov en tire néanmoins un espoir: celui que le Royaume-Uni et les Occidentaux fassent enfin inscrire ces gaz innervants sur la liste de la Convention pour l’interdiction des armes chimiques, comme il le demande depuis plus de 20 ans, après avoir compris que « les armes chimiques visent d’abord à tuer des civils ».

Si ces substances avaient été placées sous contrôle international, « ce désastre ne se serait probablement jamais produit », affirme-t-il.

Maintenant qu’il s’exprime publiquement sur le Novitchok, les amis de M. Mirzaïanov ne cessent de l’enjoindre, via Facebook ou textos, « d’être prudent », pour éviter des représailles russes.

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