Emmanuelle Béart au festival de Cannes 2016. Il lui reste aujourd'hui des rôles très particuliers, à la marge, voire extrêmes. © Olivier Borde, Cyril Moreau/Reporters

Emmanuelle Béart, un César à 22 ans, puis la descente aux enfers

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Tout l’été, le Vif/L’Express retrace la carrière d’acteurs au parcours en dents de scie, et aux choix pas toujours avisés. Cette semaine, Emmanuelle Béart, que talent, jeunesse, beauté et succès rapide n’ont pas empêché de connaître une descente aux enfers…

Elle abordait la vingtaine, de la blondeur et de la fraîcheur à revendre, avec un joli brin de talent que Manon des sources venait de révéler à un large public. Si jeune et déjà grande vedette ! Le début, idéal, d’un de ces contes de fées qui lient une actrice à une génération, et l’envoient briller de tous ses feux au firmament d’un cinéma français en mal de  » nouvelle Catherine Deneuve « . Trois décennies plus tard, le bilan n’est pas celui que fans, journalistes et  » professionnels de la profession  » (pour reprendre l’expression de Godard) auguraient alors avec enthousiasme. Mais qu’est-il donc arrivé pour que la Béart, malgré quelques très belles incarnations encore, soit passée du statut de plus grande promesse féminine du cinéma français à celui de comédienne contestée, moquée même sur les réseaux sociaux comme aucune autre peut-être ne l’a jamais été au même (haut) niveau de talent ?

Pour son interprétation lumineuse dans
Pour son interprétation lumineuse dans « Manon des sources », Emmanuelle Béart a décroché, en 1986, le César du meilleur second rôle féminin.© Reporters

Tout avait donc idéalement commencé pour la fille du chanteur Guy Béart et la mannequin et actrice Geneviève Galéa, avec, à la clé de l’adaptation du roman de Pagnol par Claude Berri, un César du meilleur second rôle féminin (elle sera encore nominée… sept fois, sans plus jamais l’emporter !). Et aussi le bonheur d’un succès partagé avec son compagnon et interprète d’Ugolin : Daniel Auteuil. Ils s’étaient connus deux ans plus tôt sur le tournage du pétillant L’Amour en douce, d’Edouard Molinaro. Leur union allait durer une petite décennie encore, un temps durant lequel Emmanuelle sut confirmer chez Rivette (La Belle Noiseuse), Téchiné (J’embrasse pas), Chabrol (L’Enfer) etSautet (Un coeur en hiver, Nelly et Monsieur Arnaud). En 1995, elle incarne Une femme française pour Régis Wargnier. Un rôle  » à la Deneuve  » dans un film à gros budget estampillé qualité française. Ce devrait être la consécration, et l’entrée dans les rôles de la maturité. Avec en prime un pied posé à Hollywood pour le Mission impossible de Brian De Palma. C’est en réalité le début d’une descente qui sera douloureuse…

Détruire, dit-elle

Aux antipodes du contrôle exercé par une Isabelle Huppert, par exemple, il y a, dans le travail de comédienne d’Emmanuelle Béart, un désir quasi panique et quelque peu exhibitionniste de donner, de s’abandonner,  » d’être prise « , dira- t-elle parfois. Une vulnérabilité que la cruauté du monde extérieur n’épargnera pas. Quelques années faites d’erreurs de casting, que sauveront toutefois quelques rares films (citons 8 femmes de François Ozon, Les Egarés d’André Téchiné, Nathalie d’Anne Fontaine), verront la critique française se déchaîner contre elle à l’occasion du pourtant intéressant Vinyan de notre compatriote Fabrice Du Welz. La violence des attaques surprend, alimentée sans doute par le plaisir pervers de détruire ce qu’on a adoré.

La plastique devient alors symptôme. L’opération de chirurgie esthétique subie à 27 ans visait à rendre plus belle une bouche qu’elle n’aimait pas, car trop mince et trop petite. Elle prouvait encore, s’il en était besoin, l’insécurité profonde d’une jeune femme dont le physique suscitait pourtant l’admiration des fans et le désir des réalisateurs. Les lèvres d’Emmanuelle devinrent certes plus pulpeuses, mais l’ensemble faisait plus penser à Donald Duck qu’à Monica Bellucci… C’était  » loupé « , comme le dira publiquement, des années plus tard, celle que des internautes aussi méchants que stupides traitent encore régulièrement de  » monstre « . Voici quelques semaines encore, alors qu’elle apparaissait dans les tribunes de Roland-Garros durant le tournoi de tennis, la  » twittosphère  » s’embrasa de nouveau pour stigmatiser le visage  » méconnaissable  » d’une Béart désormais jeune quinquagénaire.

Emmanuelle a un jour confié :  » On ne ferait pas le métier d’actrice si on ne ressentait pas une véritable jouissance à être regardée.  » L’épreuve doit être dure, et la frustration immense. D’autant que la profession, les décideurs du cinéma, ne restent pas indifférents à l’atmosphère hostile que certains font régner autour de l’actrice. Les scénarios de qualité, les projets à potentiel commercial élevé, n’encombrent plus la boîte aux lettres de son agent depuis des années déjà. Il lui reste des rôles très particuliers, à la marge, voire extrêmes, comme celui de Frances dans le film punk, romantique et lesbien de Virginie Despentes Bye Bye Blondie (2012), ou celui de Maggie, maîtresse sado-maso d’un très jeune homme dans My Mistress (2014), un film australien resté inédit sous nos latitudes.Bref, intéressants ou pas, des rôles  » risqués  » que très peu d’autres comédiennes auraient accepté de jouer…

Emmanuelle Béart nous déclarait, voici une vingtaine d’années, ignorer le pourquoi de son désir  » un peu exhibitionniste  » de faire le métier d’actrice. Et elle supposait que le comprendre un jour la conduirait peut-être à  » écrire (elle-même) le mot fin  » à sa filmographie. Mais elle s’est livrée au scalpel comme on se tire une balle dans le pied, changeant la donne et laissant d’autres décider à sa place des limites posées à sa trajectoire. Au souvenir éblouissant de ses premiers films, de sa présence frémissante et d’une justesse de jeu égalant sa beauté, on ne peut que constater l’étendue du gâchis. Elle a donné, elle-même, la priorité à l’enveloppe sur son contenu, en adhérant – consciemment ou pas – aux diktats des canons supposés de l’esthétique féminine au cinéma (elle raconte au magazine Elle que le metteur en scène de théâtre Georges Wilson a un jour émis devant elle le constat que  » toutes les actrices qui ont réussi avaient une grande bouche « , élément déclencheur de son choix). Il lui reste des regrets. A nous aussi.

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