"J'ai senti un mec un peu "agité" au sens où on le disait de Nicolas Sarkozy en 2007 ", dit de Macron un ministre de Hollande. © E. FEFERBERG

Emmanuel Macron, le flou en marche

Le Vif

Le candidat parle aux vieux déçus de la politique ; aux jeunes qui veulent y croire ; à la gauche et à la droite. Tantôt libéral, tantôt dirigiste. Au risque de mal étreindre à force de trop embrasser ?

Au commencement, on le trouvait transgressif, cet ingrat qui tapait sur les conquêtes de la gauche ! Puis on l’a jugé creux, ce candidat sans programme qui joue de sa bonne mine ! Désormais, on ironise sur son projet : une cuillerée pour papa, une cuillerée pour maman, et tout le monde est content !

Emmanuel Macron, ministre de l’Economie (d’août 2014 à août 2016), puis candidat à la présidentielle, est une savonnette. Il s’échappe en permanence. On trouve autant d’arguments pour le dire rebelle ou sage, libéral ou dirigiste, rigoureux ou laxiste. Il est l’héritier de François Hollande comme son fossoyeur. Ses opposants parlent de  » pâté d’alouette « , d' » ambivalence « . Lui se dit pragmatique et libre. Son tempérament l’y pousse, son positionnement l’y oblige. Ni à droite ni gauche. Et de droite et de gauche. C’est selon.

Entre François Bayrou et d'autres ralliés du PS, Emmanuel Macron risque le grand écart.
Entre François Bayrou et d’autres ralliés du PS, Emmanuel Macron risque le grand écart.© SOAZIG DE LA MOISSONNIERE/GETTY IMAGES)

Emmanuel Macron est obsédé par l’idée de la réconciliation. La mondialisation ? Elle produit des conséquences positives et négatives. Il faut dire les deux, faire fructifier les premières, combattre les secondes. La colonisation ?  » Il y a eu des éléments de civilisation et de barbarie « , affirme-t-il, le 22 novembre 2016 (Le Point). Il est persuadé qu’il est indispensable d’affronter les non-dits de cette période, source de rancoeurs des deux côtés de la Méditerranée. Mais, en parlant de  » crime contre l’humanité « , le 15 février dernier, en Algérie, il choque une partie de ces mémoires qu’il veut réunir : il ne choisit ni les bons mots, ni le bon moment, ni le bon endroit. Le passionné de réconciliation prend parfois le risque, paradoxal, de choquer.

Ne pas oublier qu’Emmanuel Macron a été banquier d’affaires durant quatre ans.  » Il n’a pas son pareil pour trouver une solution, la faire émerger, la faire accepter alors que tout semble séparer les gens autour de la table « , commente l’un de ses proches. Le 20 mars, lors du premier débat télévisé entre les principaux candidats, ce naturel revient au galop. Avec François Fillon, avec Benoît Hamon, avec Jean-Luc Mélenchon, il partage, il partage, il partage. Telle position, telle analyse, telle mesure.

Cette rage de convaincre a sa face noble. Il va au combat : le 22 mars, devant l’Association des maires de France, remontée contre plusieurs de ses propositions, il persiste : quand on fait plaisir à tout le monde,  » au final, on ne fait plus grand-chose « , dit-il. Ce courage lui vaut des applaudissements. Quand il installe son QG rue de l’Abbé-Groult, à Paris, il dit à ses soutiens, lors d’une première réunion :  » Je dirai peut-être des choses qui ne vous plairont pas, il faut me le dire.  »

Emmanuel Macron est obsédé par l’idée de la réconciliation

Cette contradiction qu’il sollicite, il lui arrive de ne pas la supporter.  » J’ai regardé son interview au 20 Heures de France 2 le 19 mars. Il m’a fait un peu peur, note un ministre hollandais qui finira par voter pour lui. J’ai senti un mec très rapide, qui s’énerve facilement, un peu « agité » au sens où on le disait de Nicolas Sarkozy en 2007.  »

Emmanuel Macron s’est trouvé un défi à la hauteur de ses ambitions : réunir les  » progressistes  » des deux camps, cette droite et cette gauche qui, depuis la Révolution, scandent la vie politique française. Le nec plus ultra de la réconciliation.  » Il pense que l’opposition droite/gauche est au coeur de la névrose française « , affirme un proche. En économie, il veut  » libérer le travail et l’esprit d’entreprise « , et le voilà paré des habits de la droite. Baisser les impôts (20 milliards d’euros), assouplir le droit du travail, favoriser l’investissement, donc le capital. Sur les sujets de société, ses options le rapprochent plutôt de la gauche. Il est favorable au mariage pour tous, à l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes seules et aux couples de femmes, à la reconnaissance par l’état civil des enfants nés de mère porteuse à l’étranger (mais pas à la GPA en France). S’il est opposé à la légalisation du cannabis, il est pour la dépénalisation de sa consommation, avec une contravention immédiate de 100 euros environ. Angela Merkel n’est pas de gauche, mais il complimente la chancelière allemande pour sa généreuse politique d’accueil. En matière d’éducation, il repasse du côté de la droite quand il prône le retour des classes bilangues, la possibilité pour les maires de remettre en question les rythmes scolaires. A droite aussi sur les questions de sécurité : exécution des peines de prison inférieures à deux ans, possibilité pour les policiers d’éloigner certaines personnes des lieux où elles ont commis des méfaits.

Sur l’Europe, Macron est… européen.  » Là, j’applaudis vraiment, note le ministre hollandais cité plus haut. Il y croit, il ne fait pas dans la demi-teinte.  » Dans une interview à Libération, le 24 mars, le candidat délivre sa vision :  » On ne peut pas être timidement européen, sinon on a déjà perdu.  » L’Europe, ce n’est pas seulement la lutte contre les déficits, ajoute-t-il en substance, c’est aussi le respect de valeurs. Des mots qui font vibrer pendant ses meetings.

Tantôt tranchant, tantôt flou, Macron n’est pas centriste. Plutôt central. Autrement dit, par Jean-Louis Bourlanges, soutien du candidat :  » Le macronisme, ce n’est pas de l’eau tiède obtenue en mélangeant l’eau froide de la droite et l’eau chaude de la gauche.  » Un ministre, qui n’est pas tombé sous le charme, use d’une autre image :  » Il ne fait pas le mariage de la carpe et du lapin dans tous les domaines, mais il fait beaucoup de carpe « de droite » sur certains sujets et du lapin « de gauche » sur d’autres.  » Directeur général de l’institut de sondages Ipsos, Brice Teinturier, lui, s’étonne que l’on s’étonne. Pour le sondeur, il n’y a pas d’ambiguïté, mais la tentative, assumée, de construire un projet hors du clivage habituel.

Lors du meeting d'Emmanuel Macron à Lyon, le 4 février, Erik Orsenna (deuxième en partant de la g.), intellectuel de gauche, côtoie deux anciens ministres de Jacques Chirac : Renaud Dutreil (troisième) et Anne-Marie Idrac.
Lors du meeting d’Emmanuel Macron à Lyon, le 4 février, Erik Orsenna (deuxième en partant de la g.), intellectuel de gauche, côtoie deux anciens ministres de Jacques Chirac : Renaud Dutreil (troisième) et Anne-Marie Idrac.© A. GUILHOT/DIVERGENCE

Avant lui, d’autres s’y sont essayés, en vain. La mer Rouge ne s’ouvre qu’une fois tous les cinq mille ans… Il faut être là au bon moment. Sur le papier, l’affaire semble entendue : selon le Cevipof (baromètre de la confiance politique, janvier 2017), 75 % des Français estiment que  » les notions de droite et de gauche ne veulent plus dire grand-chose « .  » Macron offre une alternative républicaine à la caricature « UMPS » vilipendée par le Front national « , affirme Claude Posternak, un publicitaire qui soutient Macron. Celui qui a toujours dit ne pas se résigner à la présence de Marine Le Pen au second tour a pourtant tout intérêt à ce scénario : plus facile de gagner que face au François Fillon d’avant les affaires, plus conforme au nouveau clivage politique : progressistes/conservateurs selon Macron ; patriotes/mondialistes pour Le Pen.

Un contrat en six chantiers

Que dit le terrain ?  » Cette pensée demande du travail sur soi aux militants, raconte l’animateur d’un comité En marche ! Quand une mesure concrète apparaît, certains sont obligés de faire un chemin énorme : ben, non, Macron ne supprime pas complètement l’ISF.  » Pour le sondeur Jérôme Sainte-Marie, le Macron libéral peut effrayer :  » Comme une bonne partie de la population rejette le libéralisme, économique ou culturel, il pourrait cumuler contre lui toutes ces oppositions.  »

Si Macron a mis tant de coquetterie avant de présenter son programme, c’est par tactique – ne pas sortir trop tôt du bois pour ne pas se faire canarder – et par conviction.  » L’art de présider dépend aussi des circonstances. Personne n’avait prévu les actes terroristes durant ce quinquennat ni la crise financière dans le précédent, qui ont obligé à revoir les programmes en profondeur « , dit-il au quotidien Le Parisien, le 2 mars.

A ceux qui gouverneraient avec lui, Macron propose un contrat en six chantiers. Assez vastes pour lui permettre de constituer une majorité.  » S’il est élu, Macron sera un président sans mandat, prévient un ministre, il ne sera pas le grand ordonnateur de la vie politique qu’ont été tous les chefs d’Etat de la Ve République. Il devra aller chercher sa majorité.  » Et d’ajouter :  » Il n’en est pas responsable, mais ni la présidentielle ni les législatives ne mettront fin à la décomposition.  » La mer Rouge peut s’ouvrir, elle mettra du temps à se refermer.

Par Corinne Lhaïk.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire