© REUTERS/Kenny Katombe

Elections en RDC: une décision de l’UA sans précédent qui braque Kinshasa

Le Vif

Une décision sans précédent de l’Union africaine (UA) mettant en cause le résultat de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC) a braqué vendredi le gouvernement congolais et le vainqueur proclamé et contesté, l’opposant Félix Tshisekedi.

Souvent qualifié de « syndicat des chefs d’État » défendant les pouvoirs en place, l’UA a demandé à la Cour constitutionnelle la « suspension » de la proclamation des résultats électoraux définitifs, parce que ceux annoncés par la Commission électorale (Céni) sont entachés de « doutes sérieux ».

« Cet appel lancé par l’UA est une première dans l’histoire de l’institution et souligne le niveau d’incrédulité des partenaires de la RDC vis-à-vis des résultats annoncés par la commission électorale la semaine dernière », a commenté sur Twitter l’analyste Adeline Van Houtte.

Selon ces résultats provisoires proclamés le 10 janvier, l’opposant Félix Tshisekedi a remporté l’élection présidentielle, tandis que le chef de l’État sortant Joseph Kabila garderait une confortable majorité à l’Assemblée nationale (337 députés sur 500, selon des sources onusiennes).

L’autre opposant Martin Fayulu dénonce un « putsch électoral » et revendique la victoire avec 61% des voix.

L’UA veut aussi envoyer lundi à Kinshasa une délégation de haut-niveau conduite par le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki, et le président en exercice de l’UA, le chef de l’État rwandais Paul Kagame, régulièrement accusé d’ingérence en RDC.

« Je doute de la crédibilité de M. Kagame quant à ses qualités de démocrate », a accusé l’avocat Peter Kazadi, directeur de cabinet adjoint de Félix Tshisekedi, dans une interview avec l’AFP.

« Réconciliation nationale »

« Nous trouvons ça scandaleux, ça n’a aucun fondement juridique », a-t-il ajouté au sujet de la décision de l’UA. « C’est une grande surprise. C’est une première à ma connaissance. C’est inacceptable ».

« Je ne pense pas qu’il appartienne au gouvernement ou même à l’Union africaine de dire à la Cour ce qu’elle doit faire », a déclaré de son côté à l’AFP le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende.

« Je ne sais pas s’il y a des pays où on peut interférer comme ça dans une procédure légale », a ajouté M. Mende, également ministre de la Communication et des Médias.

Pour sa part, le candidat malheureux de l’élection présidentielle, l’autre opposant Martin Fayulu, a « salué » la position de l’UA, prise à l’issue d’une réunion de chefs d’État jeudi.

Dans une allocution à ses concitoyens en début de soirée, M. Fayulu s’est dit prêt à discuter. La coalition Lamuka « et moi-même nous vous assurons que nous sommes très ouverts et disposés à contribuer activement à la recherche, dans la vérité, des solutions à cette crise inutile », a-t-il déclaré.

« La coalition Lamuka reste disposée à travailler pour la reconstruction du pays sans règlement de comptes ni discrimination tribale ou ethnique, ni chasse à l’homme, et dans un esprit de réconciliation nationale », a-t-il promis.

L’Union européenne a indiqué dans un communiqué s’associer à l’UA pour inviter « tous les acteurs congolais à travailler constructivement avec cette délégation, pour trouver une issue post-électorale respectant le vote du peuple congolais ».

Ingérence

Les propres estimations de l’influente Église catholique et celles du Groupe des experts sur le Congo (GEC) associé à quelques médias internationaux, à partir de documents qui auraient fuité de la Céni, donnent tous M. Fayulu vainqueur avec environ 60% des voix.

L’initiative de l’UA risque de modifier encore une fois le calendrier électoral congolais, après la proclamation de la victoire de M. Tshisekedi et les contestations de M. Fayulu.

La prestation de serment du nouveau président de la République est prévue mardi d’après le dernier calendrier de la Commission électorale.

D’ici là, la Cour constitutionnelle doit statuer sur le recours de M. Fayulu et d’un candidat mineur, et proclamer les résultats définitifs. La Cour a mis sa décision en délibéré mardi soir.

Avec ce communiqué explosif, l’UA s’est montrée plus audacieuse que les Nations unies et l’Union européenne qui avaient « pris note » des résultats provisoires en appelant les Congolais à éviter toute contestation violente.

La RDC tient depuis des mois un discours souverainiste et a répété qu’elle voulait organiser ses élections sans aide étrangère ni ingérence extérieure.

La RDC et le Rwanda entretiennent des relations complexes depuis 25 ans. Des accrochages sporadiques ont eu lieu en 2018 à la frontière entre les deux pays.

Le Rwanda, régulièrement accusé de voler le coltan congolais dans le Nord Kivu, a soutenu en 1997 le renversement du maréchal Mobutu par Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président, avant un retournement d’alliance.

Qui dit quoi?

Les résultats provisoires des élections en République démocratique du Congo sont mis en cause par l’Union africaine (UA) et l’opposant Martin Fayulu Madidi. Voici les différentes positions concernant les résultats.

La Commission électorale nationale indépendante (Céni)

Présidentielle: victoire de l’opposant Félix Tshisekedi (38,57% des voix), devant l’autre candidat de l’opposition divisée Martin Fayulu (34,8%), et loin devant le candidat du pouvoir Emmanuel Ramazani Shadary (23%).

Législatives: large victoire des partis et regroupements politiques affiliés à la coalition au pouvoir Front commun pour le Congo (FCC): 337 sièges sur 500 pour le gouvernement, contre 102 pour la coalition Lamuka de M. Fayulu et 46 pour Cap pour le changement (Cach) de M. Tshisekedi, selon des sources onusiennes.

Cette victoire est – étrangement – contestée par la coalition de Félix Tshisekedi, qui accepte par contre les résultats contestés de la présidentielle donnant l’opposant vainqueur.

L’opposant Martin Fayulu revendique 61% des voix à la présidentielle, contre 18% pour chacun de ses deux adversaires.

Le Groupe d’études sur le Congo (GEC) de l’Université de New York affirme s’être procuré, grâce à un lanceur d’alerte, les résultats portant sur 86% des votes en provenance de la base de donnée centrale de la Céni.

Le GEC affirme avoir également obtenu des données des quelque 40.000 observateurs de la Conférence épiscopale (Cenco) portant sur 43% des suffrages.

« Les deux documents, qui ont été obtenus indépendamment, fournissent des résultats presque identiques, qui suggèrent que Martin Fayulu a gagné les élections avec une large marge », affirme le GEC.

La fuite de la Céni lui donne 59,42% des voix, suivi par M. Tshisekedi (18,97%) et M. Shadary (18,54%).

Le pointage de la Cenco donne 62,8% pour M. Fayulu, 15% pour M. Tshisekedi, et 17,99% pour M.Shadary.

Le GEC reconnaît que les données ont transité par l’entourage de M. Fayulu

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