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Ebola : pourquoi un traitement est-il si difficile à élaborer ?

Stagiaire Le Vif

Le professeur Jean-Michel Dogné, directeur du Département de pharmacie de l’Université de Namur et expert à l’Agence Belge et Européenne du Médicament revient sur les difficultés de traitement du virus Ebola, alors que ce dernier continue de se répandre en Afrique de l’Ouest.

Quels sont les traitements et vaccins actuels et/ou en cours de développement pour traiter le virus Ebola ?

Jean-Michel Dogné : Nous avons en cours de développement différents traitements expérimentaux, dont le ZMapp. Il s’agit d’une association de trois anticorps monoclonaux, c’est-à-dire de molécules dirigées spécifiquement contre les différents antigènes du virus Ebola (et permettant sa destruction par le système immunitaire). Ce sérum a été testé chez l’animal, notamment les singes avec de bons résultats, mais sur un nombre très limité d’animaux. Seulement six macaques ont été traités par ZMapp, chez qui le virus Ebola avait été préalablement administré, et quatre ont survécu, ce qui représente 66 % d’efficacité. Ces résultats sont à prendre avec précaution puisque l’extrapolation à l’Homme reste difficile. Cela reste toutefois une option de traitement intéressante même si des difficultés techniques associées à la production limitent la mise à disposition du produit dans des délais courts.

Deux bénévoles de l’organisation caritative chrétienne Samaritan’s Purse, qui ont contracté la maladie, auraient pourtant reçu ce traitement expérimental, encore jamais testé chez l’Homme donc. En quoi cela pose-t-il un problème éthique ?

Avant l’épidémie, il n’y avait aucune donnée concernant les effets du ZMapp chez l’Homme, ce qui pose un problème éthique. Mais, vu les critères d’urgence, l’absence de traitements efficaces et la mortalité élevée du virus, on ne peut que soutenir la position d’un groupe d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui a jugé ces interventions conformes.

À ce jour, nous savons que le traitement a été injecté à deux médecins américains, qui ont survécu, et à un prêtre espagnol qui, lui, est décédé. Trois professionnels de santé au Libéria auraient également reçu le traitement, mais nous n’avons pas plus de recul. Dès lors, il faut constituer un registre reprenant l’ensemble des données des patients sous traitement, afin d’évaluer ces interventions. C’est un cadre qui doit être contrôlé afin de tirer un maximum d’informations (…) Il ne faut pas perdre de vue qu’il faut en moyenne huit à dix ans de développement pour un traitement ou un vaccin, avec la nécessité de voir ses effets sur une grande population, ce qui n’est pas le cas ici. Et puis le problème du virus, comme tous virus, est qu’il évolue et peut muter. Demain, le traitement pourrait perdre de son efficacité.

N’y a-t-il pas un risque d’aller trop vite ?

Cette épidémie du virus Ebola est de loin la plus étendue, la plus complexe de l’histoire, avec à ce jour plus de 1.200 morts répertoriés. Le virus Ebola a atteint des taux de mortalité de 90 % lors des épidémies précédentes et aujourd’hui, nous sommes autour des 60 %. Il y a donc une urgence de contrôler la propagation du virus et une urgence éthique de traiter les patients avec les faibles moyens expérimentaux dont nous disposons. Ce que l’on a fait là, c’est ce que l’on fait avec tous les médicaments. Il ne faut pas oublier que tous les médicaments sont passés du stade expérimental à une utilisation chez l’Homme.

En Europe, il n’est pas rare qu’un groupe de patients souffrant d’une maladie grave ou ne pouvant être traité bénéficie d’un traitement encore non enregistré. C’est ce qu’on appelle l’usage compassionnel d’un produit expérimental. Ça arrive fréquemment. C’est le cas pour certains traitements anticancéreux ou antiviraux. Tout cela est spécifié dans les législations européennes ou nationales. Ces critères peuvent en partie s’appliquer ici (…) Alors on ne va pas trop vite, on n’a pas le choix. Mais en parallèle, il faut bien sûr continuer les recherches, notamment sur les traitements, mais aussi sur le développement d’un vaccin. D’une manière générale, il y a une vraie course. Ainsi, un autre traitement semble prometteur. Il s’agit du TKM-ebola, développé par la firme Tekimra Pharmaceuticals corporation, soutenu par le Département de la défense américaine et dont la FDA, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, vient de faciliter le développement clinique. Ce produit a déjà fait l’objet d’études chez des individus sains après avoir montré de très bons résultats chez le singe avec 100 % de protection sur 4 animaux. Ces données sont très importantes parce que le TKM-ebola agit de manière différente du ZMapp et sa production varie également. Ces deux traitements peuvent dès lors s’avérer très complémentaires.

Qui peut recevoir le traitement ZMapp ?

Il est important de définir des critères éthiques pour fixer les priorités dans l’utilisation de traitements ou vaccins expérimentaux non-homologués. Ainsi aujourd’hui, il clair qu’il ne faut pas croire que l’on peut traiter tout le monde. Seules quelques doses de ZMapp ont été produites et distribuées et le personnel soignant particulièrement exposé reste la cible prioritaire.

Pourquoi les quantités ne pourraient-elles pas suffire ?

Le laboratoire (Mapp Biopharmaceutical, en partie financé par le gouvernement américain, en collaboration avec les autorités sanitaires canadiennes, NDLR) qui travaille sur le ZMapp est une petite firme dans le domaine pharmaceutique qui dispose de moyens limités bien qu’ayant été renforcés. De plus, il y a des contraintes techniques qui limitent la production du produit à court terme.

Et quelles sont les difficultés rencontrées pour la mise au point d’un « nouveau » vaccin contre le virus Ebola ?

En ce qui concerne un « nouveau » vaccin, il faut normalement 8 à 10 années de développement au minimum, pour des coûts estimés entre cinq cents millions et un milliard d’euros. Et puis dans le cas d’Ebola, la difficulté réside aussi dans la rareté des épidémies et les difficultés associées aux études qui doivent se faire dans des conditions très sécurisées. Il y a donc la nécessité de trouver différents soutiens, publics et privés, afin de maintenir ces recherches et développements non rentables, mais indispensables en terme de santé publique (…). On peut espérer que l’épidémie voit sa fin, mais aussi redouter que de prochaines arrivent. Nous avons donc des leçons d’anticipation à tirer dans le développement, avec, pourquoi pas, la création d’un consortium financé au niveau global.

Enfin, à Lille , des chambres ont déjà été aménagées pour accueillir d’éventuels contaminés. L’Europe est-elle prête à ces éventuels retours ?

Selon les experts cliniciens infectiologues, l’Europe peut faire face à quelques cas. Les infrastructures peuvent isoler les patients, mais concernant un traitement pharmacologique, nous ne sommes malheureusement pas plus avancés.

Propos recueillis par Simon Lancelevé


Ebola : le quotidien du personnel soignantby lemondefr

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