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DSK : l' »affaire Nafissatou Diallo » divise la Guinée

Dans tout le pays, chacun a son avis et se prononce pour ou contre Nafissatou Diallo. L' »affaire » ravive les tensions ethniques et la question du statut des femmes en Afrique.

Accablé par la moiteur ambiante, Bangoura Karamoko, 63 ans, surveille d’un oeil las ses cinq ouvriers affairés à rafistoler un taxi bringuebalant. « Cette histoire, je n’en crois pas un mot ! Pourquoi un homme aussi riche irait-il attaquer une « vieille » de 32 ans ? » s’anime soudain, dans un français impeccable, ce garagiste issu de l’ethnie Soussou. Juste à côté, Mamadou Fofana, vendeur de pièces détachées, n’est pas de cet avis. « Elle dit la vérité. Sinon, elle salit la réputation de tous les Guinéens… », affirme le jeune homme, en malinké, l’une des trois langues principales du pays.

A Boussoura, le « quartier des mécaniciens » de Conakry, capitale anarchique et surpeuplée – comme partout en Guinée -, l’histoire alimente sans cesse les conversations. Ici, l' »affaire DSK » s’appelle l' »affaire Nafissatou Diallo », du nom de la femme de chambre d’origine peule qui a accusé l’ancien directeur du FMI de l’avoir violée, le 14 mai dernier, au Sofitel de New York.

Les 10 millions d’habitants de ce petit Etat d’Afrique de l’Ouest (170e sur 182, selon l’indice de développement humain établi par l’ONU) ont pourtant des soucis plus pressants : pouvoir civil vulnérable, corruption généralisée, pénuries d’électricité et d’eau courante, tensions intercommunautairesà Alors, pourquoi tant de passion autour du cas « Nafissatou » ? Parce que, au-delà du destin personnel de l’accusatrice, désormais sur la sellette, la plupart des Guinéens craignent que cette histoire ternisse leur image dans le monde. Déjà fragile, le statut des femmes dans la société pourrait encore en pâtir. Surtout, la menace d’exacerbation des rivalités entre Peuls (40 % de la population), Malinkés (35 % environ) et Soussous (15 %), les trois grandes communautés nationales, est dans toutes les têtes.

« Ce fait divers n’est qu’une affaire de droit commun, mais les partis politiques instrumentalisent les crispations identitaires », analyse Thierno Diallo, président de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme. « Ce sera un signal pour les Africaines violentées »
Hamdallaye, un quartier excentré de Conakry.

Présidente de la Coalition nationale pour les droits des femmes, Nanfadima Magassouba, d’origine malinké, reçoit dans sa confortable maison. « Les femmes osent rarement avouer qu’elles ont été violées, car le déshonneur rejaillit sur toute la famille. Elles risquent d’être répudiées. En fait, les premiers adversaires de la vérité, ce sont les pères et les maris », dénonce celle qui fut ministre de la Promotion féminine en 2009-2010. « Nafissatou, elle, a eu le courage de parler. Si elle est désavouée, cela sera un signal terrible pour toutes les femmes africaines violentées. »

Au sein de la communauté peule, l’histoire résonne de façon encore plus douloureuse. « Les viols collectifs ont régulièrement été utilisés comme arme politique pour briser les mouvements d’opposition, particulièrement contre les Peuls », précise un résident français, fin connaisseur de la société guinéenne.

Or, Nafissatou Diallo a invoqué un viol imaginaire pour obtenir l’asile politique aux Etats-Unis. « Malheureusement, beaucoup de candidats à l’immigration se sentent obligés d’enjoliver leurs déclarations, sinon ils n’ont aucune chance d’obtenir des papiers, souligne Amadou Barry, 22 ans, porte-parole du Mouvement de soutien à Nafissatou, créé début juillet. Cette histoire va-t-elle jeter le soupçon sur tous les immigrés guinéens ? » Au marché de Labé, à 400 kilomètres de Conakry, un commerçant peul philosophe en sirotant un verre de thé : « Attendons avec patience que la justice américaine rende son verdict. Sur la balance, nous verrons si une petite Africaine pèse autant qu’un grand leader occidental. »

B. T.

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