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Donald Trump en guerre contre le FBI

Muriel Lefevre

En déclassifiant une note confidentielle, Donald Trump a mis en cause l’intégrité des plus hauts échelons du ministère de la Justice et du FBI. Un geste extraordinaire qui secoue l’Amérique. Un pays où rôde désormais le spectre d’une crise constitutionnelle. Récit.

Défiant l’opposition, le directeur du FBI et plusieurs sénateurs de son parti, le chef de l’exécutif américain a approuvé la déclassification d’une note confidentielle très controversée, rédigée par des républicains du Congrès. Ce document décrit ce qu’ils considèrent comme un abus de pouvoir du FBI lors de la mise sur écoute d’un ancien membre de l’équipe de campagne Trump avant l’élection de novembre 2016.

« Ce qui se passe dans notre pays est une honte », a déclaré Donald Trump dans le Bureau ovale, avant la publication de la note de quatre pages par la Chambre des représentants. « Les plus hauts responsables et enquêteurs du FBI et du ministère de la Justice ont politisé le processus sacré d’investigation en faveur des démocrates et contre les républicains », a-t-il également tweeté.

L’accusation est extraordinaire de la part d’un président des Etats-Unis, traditionnellement soucieux de préserver l’image de deux piliers des institutions américaines. Mais le successeur de Barack Obama est déterminé à prouver que des éléments au sein du pouvoir judiciaire veulent miner sa présidence à travers l’enquête sur une éventuelle collusion entre sa campagne et la Russie, conduite initialement par le FBI et reprise l’an dernier par le procureur spécial Robert Mueller.

Robert Mueller.
Robert Mueller. © Reuters

La note lui en fournit une justification, bien qu’elle ne s’intéresse qu’à un seul personnage de l’affaire, Carter Page, et ne cite jamais Robert Mueller ou le reste de ses investigations. En outre, disent les démocrates, le « mémo » est parcellaire et tendancieux, omettant de nombreux faits.

Ce que contient la note

La note confidentielle de trois pages et demie rédigée par des républicains du Congrès et déclassifiée par Donald Trump affirme « soulever des inquiétudes quant à la légitimité et la légalité de certaines actions » initiées par le FBI et le ministère américain de la Justice.

Il est reproché à ces deux institutions d’avoir commis des abus afin d’obtenir le mandat d’un juge pour espionner les conversations d’un ancien conseiller diplomatique de l’équipe de campagne de Donald Trump, Carter Page. Adoptée il y a 40 ans, la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) impose en effet aux enquêteurs du ministère de la Justice de présenter à un magistrat fédéral des éléments probants –laissant soupçonner par exemple qu’un individu travaille clandestinement pour une puissance étrangère– afin d’avoir le droit de placer cette personne sur écoute.

– Ce qu’affirme la note –

  • Pour obtenir le précieux mandat judiciaire, le ministère et le FBI se sont appuyés sur des informations collectées par Christopher Steele, un ancien espion britannique. Celui-ci a opéré dans le cadre d’une mission, financée par le parti démocrate et l’équipe de campagne de Hillary Clinton, relevant clairement d’une partialité anti-Trump.
  • La demande de mandat d’écoute présentée au juge a été signée par quatre hauts responsables qui ont volontairement omis de préciser les motivations politiques de Christopher Steele: le directeur d’alors du FBI, James Comey, son ancien adjoint Andrew McCabe, l’ancienne vice-responsable du ministère Sally Yates et l’actuel numéro deux Rod Rosenstein.
  • Le « dossier » compilé par Christopher Steele représentait une « part essentielle » de la demande de mandat d’écoute présentée au magistrat fédéral.
  • M. Steele était également une source du FBI, pourtant sa fiabilité était plus que douteuse: il a menti à la police fédérale sur ses contacts et a fait des confidences aux médias en violation des règles de confidentialité dans le monde du renseignement.

– Ce qu’omet de dire la note –

  • Carter Page faisait l’objet de soupçons du FBI depuis 2013, bien avant la mission d’investigations confiée à Christopher Steele.
  • Le dossier de Steele n’a pas été le déclencheur de l’ouverture de l’enquête d’abord confidentielle du FBI sur une possible collusion entre Moscou et l’équipe de campagne de Donald Trump. Celle-ci a été ouverte en juillet 2016, les services de renseignement américains ayant constaté des communications intensives entre des Russes et des proches du candidat républicain, notamment le conseiller George Papadopoulos.
  • Le fait d’utiliser devant un juge des informations provenant d’une entité ayant des préjugés ou des intentions cachées (comme M. Steele) n’est pas rare: au magistrat d’estimer ensuite le poids à donner à ces informations.

Croyant voir clair dans son jeu, l’opposition a prévenu solennellement le dirigeant de ne pas prendre cette note comme prétexte pour se débarrasser de Robert Mueller ou de son supérieur hiérarchique, le numéro deux de la Justice, Rod Rosenstein.

« Nous considérerions une telle action comme une tentative d’entrave à la justice dans l’enquête russe », ont écrit dix hauts responsables démocrates du Sénat et de la Chambre dans une lettre. Les limoger, avertissent-ils, « pourrait créer une crise constitutionnelle sans précédent depuis le Massacre du Samedi soir ». Ce « massacre » est le surnom donné à la décision du président Richard Nixon de limoger en 1973 le procureur spécial sur le scandale du Watergate, ce qui avait conduit à la démission du ministre de la Justice et de son numéro deux.

– ‘C’est tout?’ –

Le « mémo Nunes », du nom du président républicain de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, Devin Nunes, vise à retracer la procédure secrète de mise sur écoute de l’ex-conseiller Carter Page à partir d’octobre 2016.

Selon les républicains, les enquêteurs du FBI, avec l’appui du ministère de la Justice, auraient partiellement justifié cette action à partir d’un dossier de renseignement rédigé par un ex-espion britannique, Christopher Steele, embauché par un cabinet américain lui-même payé par la campagne d’Hillary Clinton et le parti démocrate. Ils accusent le FBI de n’avoir pas révélé aux juges autorisant les écoutes que la campagne Clinton avait cofinancé le dossier, sous-entendant que toute la procédure était donc viciée – ce que les démocrates contestent.

Devin Nunes
Devin Nunes © AFP

La note accable l’ex-haut responsable de la Justice Bruce Ohr, et cite l’ex-numéro deux du FBI Andrew McCabe, ainsi que l’actuel numéro deux de la Justice Rod Rosenstein, qui a renouvelé des demandes d’écoute sur Carter Page. Donald Trump a d’ailleurs refusé de renouveler sa confiance en M. Rosenstein, déclarant un énigmatique: « Je vous laisse deviner ».

L’enquête du procureur spécial touche le premier cercle du milliardaire, qui se plaint régulièrement qu’elle entrave injustement son action politique. De nombreux proches et collaborateurs ont été interrogés, et quatre ont été inculpés pour des délits financiers ou autres. Carter Page était écouté en raison de ses nombreux et anciens contacts avec des Russes.

Les démocrates de la commission du Renseignement ont répété vendredi que quoi qu’il en fût, l’enquête Mueller reposait sur de multiples éléments, et non sur le seul « dossier Steele ». « Le seul but du document républicain est de protéger la Maison Blanche et le président », ont-ils argué.

« C’est tout? » a tweeté, consterné, l’ancien patron du FBI James Comey, relevant l’absence de preuves confondantes.

https://twitter.com/Comey/status/959498570532577285James Comeyhttps://twitter.com/Comey

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Le tout-Washington s’attendait à ce que son successeur à la tête du FBI, Christopher Wray, présente sa démission en réponse à cet affront.

Christopher Wray
Christopher Wray© AFP

Mais dans un message interne envoyé aux 30.000 employés du FBI, il n’a rien laissé transpirer de cette intention, se disant au contraire « pleinement engagé dans (sa) mission ». Les chefs républicains du Congrès présentaient la note comme le fruit du nécessaire devoir de contrôle de l’exécutif par le pouvoir législatif. Pourtant de nombreux parlementaires pro-Trump utilisaient la note pour discréditer le travail de l’équipe Mueller.

Christopher Wray, le très discret nouveau directeur du FBI

Christopher Wray reconnaît qu’il est discret. Utile lorsqu’on dirige un FBI dans le collimateur de Donald Trump. Mais il est aussi déterminé à ne pas plier devant les pressions politiques. Une résolution qui, à l’épreuve du président américain, peut lui coûter son siège.

Il y a six mois seulement, le nouveau directeur de la police fédérale américaine était choisi par le milliardaire républicain lui-même, qui venait de limoger sans ménagement son prédécesseur James Comey, accusé d’être partial dans l’enquête sur l’affaire russe. Un gage de stabilité? Pas du tout: contre l’avis du premier policier des Etats-Unis, Donald Trump a autorisé vendredi la publication d’une note confidentielle très controversée. Celle-ci décrit ce que les républicains considèrent comme un abus de pouvoir du FBI lors de la mise sur écoute d’un ancien membre de l’équipe de campagne Trump avant l’élection de novembre 2016. Le juriste de métier, âgé de 50 ans, s’opposait à la divulgation du document de trois pages au nom de la préservation d’informations secrètes, tandis que Donald Trump y voit la preuve de ce qu’il avance: FBI et ministère de la Justice ont des arrières-pensées politiques. Avant cet accroc, le patron du FBI s’était fait discret, comme à son habitude, pour naviguer dans les eaux troubles d’une agence qui s’attire régulièrement les foudres présidentielles.

En août dernier, il avait été confirmé à une écrasante majorité au Sénat, trois mois seulement après le licenciement retentissant de M. Comey, qui dirigeait à l’époque l’enquête sur une possible collusion de l’équipe Trump avec Moscou. M. Wray avait alors séduit les deux camps en affirmant qu’il préférerait démissionner plutôt que de se soumettre à des injonctions politiques.

– ‘Indépendance’ –

« Il n’y a qu’une bonne façon de faire ce travail, c’est avec une stricte indépendance », avait-il assuré devant la Commission judiciaire du Sénat. « Vous ne pouvez pas faire un travail comme celui-ci sans être prêt à démissionner ou à être viré au moment où l’on vous demande de faire quelque chose, ou que vous assistez à quelque chose, d’illégal, d’anticonstitutionnel ou même quelque chose de moralement répugnant. » Formé à la très prestigieuse université de Yale, dont il est sorti diplômé de droit en 1992, le natif de New York rejoint en 1998 le ministère de la Justice, qui a sous sa tutelle le FBI. En 2003, il devient l’assistant du ministre, chargé du département criminel, où il travaille sous les ordres d’un certain James Comey. C’est là que, l’année suivante, il connaît sa première vraie lutte contre les pressions politiques. James Comey vient alors d’être nommé ministre de la Justice par intérim en 2004, en raison de la maladie du ministre John Ashcroft. Quand des conseillers du président de l’époque, George W. Bush, essayent de tirer profit de ces atermoiements pour étendre un programme d’écoutes très controversé, James Comey, Christopher Wray et Robert Mueller, directeur du FBI à l’époque et actuellement à la tête de l’enquête russe en tant que procureur indépendant, menacent de démissionner en opposition. Christopher Wray finit par quitter en 2005 le ministère pour rejoindre le cabinet privé King & Spalding. Une époque où il conseille notamment un proche allié de Donald Trump, le gouverneur du New Jersey Chris Christie, durant le scandale politique du « Bridgegate ». De retour à la fonction publique, le directeur du FBI voit sa détermination à résister à la pression politique mise à l’épreuve à nouveau. Il s’y est déjà dit prêt. « J’ai entendu plusieurs personnes me décrire comme discret. Personne ne devrait prendre mon attitude discrète pour un manque de détermination », avait prévenu Christopher Wray lors de son audition au Sénat.

« Quiconque pense que je retiendrais mes coups en tant que directeur du FBI, assurément, ne me connaît pas très bien. »

Des poids lourds républicains s’inquiétaient des conséquences durables pour le FBI et la sécurité nationale américaine… au moment où la Russie tenterait à nouveau, selon eux, de s’immiscer dans la politique nationale. « Les attaques récentes contre le FBI et le département de la Justice ne servent aucun intérêt américain – ni celui du parti ni celui du président. Seulement l’intérêt de Poutine », a dénoncé le sénateur John McCain.

Avec l’AFP

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