Des casques bleus à Gao : le camp de la Minusma est la cible d'attaques régulières de groupes djihadistes. © marco dormino/belgaimage

Djihadisme au Mali : quelles solutions pour sortir du marasme dans lequel est plongé le pays ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Déstabilisé par l’activisme des groupes djihadistes, le pays sahélien est au bord du chaos. Quelles solutions ? Le général Deconinck, patron belge des 12 000 casques bleus de l’ONU, répond sans langue de bois.

« Tous les indicateurs sont à l’orange, voire au rouge dans certains secteurs. La situation sécuritaire se dégrade surtout dans le centre du pays, où l’armée malienne est harcelée par les terroristes, qui exploitent un phénomène insurrectionnel. Ici, à Gao, et dans d’autres villes du nord du Mali, les camps des forces internationales sont régulièrement visés par les tirs d’obus et les attaques au sol de groupes armés islamistes, qui ne cessent d’étendre leur influence sur la région.  » L’homme qui dresse ce constat alarmant est le  » Force Commander « , comme on dit en jargon onusien : le général belge Jean-Paul Deconinck, ex-patron de la composante Terre de l’armée belge, commande, depuis avril 2017, les quelque 12 000 hommes de la Minusma, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali. Il partage son temps entre le quartier général de la force, situé à Bamako, la capitale, et le théâtre des opérations.

La mission la plus dangereuse

Présente au Mali depuis avril 2013, la Minusma est formée de contingents venus de 56 pays. Son budget annuel dépasse le milliard de dollars. La mission de paix est la cible de raids de groupes armés liés à Al-Qaeda ou à l’organisation Etat islamique. Elle déplore plus de 180 morts depuis sa mise en place, ce qui en fait l’opération militaire de l’ONU la plus dangereuse au monde (voir Le Vif/L’Express du 31 mai dernier).

Dans chacun de ses sites militaires, un mémorial a été érigé sur lequel figurent les noms des casques bleus victimes d’actes hostiles, d’engins explosifs, d’accidents ou de maladies. Les conditions de vie et de travail sont rudes dans le grand nord malien, à Kidal, Gao ou Tombouctou. La température y dépasse souvent les 40 degrés, les vents de sable abrasifs détériorent le matériel et la menace djihadiste réduit la liberté de mouvement des soldats, confinés dans l’enceinte de leur camp ultrasécurisé quand ils ne sont pas envoyés en patrouille.

Manque de flexibilité

 » La population s’imagine que mes casques bleus sont là pour mettre fin à l’insécurité, souligne le général Deconinck. C’est un faux espoir. La Minusma n’est pas de taille à combattre les terroristes. D’autres forces sont là pour ça. Mon job consiste à créer un niveau de stabilité qui permette aux forces de sécurité maliennes de se redéployer dans les zones où l’Etat n’est plus présent.  »

Dans ces régions, les services publics de base ont disparu et la population se sent délaissée, constate-t-il :  » C’est un terreau fertile pour les groupes terroristes, qui veulent prendre la place de l’Etat. La situation est d’autant plus complexe à gérer que ces groupes armés sont liés aux réseaux de drogue, d’armes et de migrants clandestins, trafics qui prospèrent au Mali. La Minusma, elle, manque de flexibilité. Nous ne sommes pas une coalition militaire dont les partenaires s’engagent à fond, mais une structure de maintien de la paix difficile à faire évoluer, et qui doit composer avec les décisions du Conseil de sécurité et des pays contributeurs.  »

Le déploiement de la Minusma fait suite à l’intervention française Serval en 2013, qui a permis de chasser en grande partie les djihadistes du Nord-Mali. Mais depuis deux ans, ces groupes armés récupèrent le terrain perdu. Des zones entières du pays échappent au contrôle des Forces armées maliennes (FAMas), de la Minusma et de la force française Barkhane, qui a remplacé Serval. A quelques semaines d’une élection présidentielle malienne à haut risque le 29 juillet, la situation sécuritaire se dégrade : les divisions entre communautés et les violations des droits de l’homme par l’armée malienne s’accroissent, tandis que la mise en oeuvre de l’accord de paix signé avec certains groupes rebelles touaregs et arabes tarde à se concrétiser.

Le général Deconinck : pas de faux espoirs contre l'insécurité.
Le général Deconinck : pas de faux espoirs contre l’insécurité.© J.-C. Guillaume/reporters

Les djihadistes recrutent

Le mouvement armé le plus dangereux au Sahel est, aujourd’hui, le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans, alliance de plusieurs groupes armés affiliés à Al-Qaeda.  » Les djihadistes ont choisi ce nom consensuel pour étendre leur influence dans un pays à 98 % musulman, relève un analyste de l’ONU. Ils cherchent à recruter plus largement parmi les jeunes. Ils veulent chasser les forces étrangères et les associations humanitaires, leurs concurrentes dans l’aide à la population. Ses attaques pour faire reculer l’Etat et progresser leur projet d’instaurer un califat sont conformes à leur stratégie, définie

il y a une dizaine d’années déjà.  »

Chargé de la lutte antiterroriste, le G5 Sahel, force conjointe africaine (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie), peine à devenir opérationnel, les promesses des bailleurs de fonds tardant à se concrétiser.  » Cette réponse exclusivement militaire suscite beaucoup d’attentes, mais ne permettra pas de résoudre une crise à la fois sécuritaire, économique et culturelle « , prévient l’expert onusien.  » Nous allons apporter un appui logistique à cette force, confie le général Deconinck. Nous ferons aussi de l’échange de renseignements. Mais le G5 Sahel manque d’effectifs. Je ne vois pas comment le Mali pourrait lui fournir ex-nihilo deux à trois bataillons supplémentaires alors qu’il a déjà toutes les peines du monde à entretenir ses troupes.  »

Comment sortir de l’impasse actuelle, alors que le contre-terrorisme musclé de l’opération Barkhane et la présence des casques bleus ne parviennent pas à faire émerger des solutions durables à la crise ?  » Compte tenu de la mosaïque ethnique qu’est le Mali, il faudra des années, voire près d’une génération dans certaines régions pour stabiliser le pays, prédit le patron belge de la Minusma. Encore faut-il qu’il y ait une volonté commune, que tous les nez restent orientés dans la même direction ! Pour autant, quitter la région n’est pas une solution. Si le Mali plonge dans le chaos, l’ensemble du Sahel va sombrer, puis toute l’Afrique de l’Ouest. L’impact sur l’Europe serait énorme, en termes de flux migratoires et d’exportation du terrorisme.  »

Militaires belges en première ligne

A partir de novembre, l’armée belge déploiera, au Nord-Mali, un peloton de reconnaissance  » multisenseurs « . Soit une quarantaine d’hommes équipés de radars de surveillance, de jumelles de vision nocturne et de minidrones Raven. Ils font partie du bataillon bilingue Istar spécialisé dans la collecte de renseignements. En revanche, la Belgique rapatrie ses deux hélicoptères de transport tactique NH90 Caïman, présents à Gao depuis février dernier. Leur mission s’achève ces jours-ci. Les Canadiens, qui doivent prendre le relais des Allemands et des Belges, ont promis de fournir six hélicos, mais ils ne seront pas disponibles avant août. La mission de paix de l’ONU au Mali souffre d’un déficit permanent en hélicoptères.

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