A Pristina, la capitale, trône une statue de Bill Clinton, saluant la foule. © a. nimani/afp

Dix ans après son indépendance, le Kosovo n’oublie pas ce qu’il doit aux USA

Le Vif

Le pays peine pourtant à se faire reconnaître par la communauté internationale.

A l’entrée de cette boutique de vêtements, les deux photos accrochées au-dessus du comptoir, telles des icônes, ne laissent planer aucun doute : brushing gonflé reconnaissable entre tous, veste grise, sourire sur commande, c’est bien Hillary Clinton qui trône en ce lieu baptisé du prénom de l’ex- première dame américaine. Bienvenue à Pristina, la capitale du Kosovo, dans un quartier où s’alignent des blocs d’immeubles à l’architecture soviétique, au milieu de la principale artère de la ville, le boulevard… Clinton.

Juste à côté de la boutique flotte un drapeau américain et trône une statue de trois mètres de hauteur, à l’effigie de l’ancien président des Etats-Unis Bill Clinton, digne de la Corée du Nord. Il salue, souriant, la foule d’une main. De l’autre, il tient sous le bras un document sur lequel figure une date : le 24 mars 1999. Ce jour-là commencèrent les bombardements de l’Otan sur la Serbie voisine, lancés sous l’impulsion de Washington. Avec l’objectif d’empêcher Belgrade de mener à bien son opération de nettoyage ethnique qui visait les Albanais du Kosovo, alors que ces derniers représentaient plus de 90 % de la population de cette enclave de moins de deux millions d’habitants. A l’issue de onze semaines de bombardements de l’Alliance atlantique, le Serbe Slobodan Milosevic, alors président de la République fédérale de Yougoslavie, a dû reculer.

Même Trump, considéré comme antimusulman, n’a pas refroidi la passion pour les Etats-Unis

 » Les Américains, et surtout le couple Clinton, nous, les Kosovars albanais, nous leur devons notre liberté, notre séparation de la Serbie. C’est indiscutable.  » La vendeuse Fjolla Kasimi, d’une trentaine d’années, est presque agacée qu’on puisse s’interroger sur l’amour des Kosovars pour les Clinton. Sa belle-famille est propriétaire de la boutique, qui fut visitée par Hillary en personne en 2010.

A Pristina, l’américanophilie est un must.  » Personne ne verbalise un citoyen américain s’il gare sa voiture n’importe où. Les Américains sont plus en sécurité ici qu’à New York ou dans l’Ohio « , sourit Florent Gorqaj, un jeune chef d’entreprise, parfaitement anglophone, qui arpente la rue George-Bush… Au coeur de la capitale kosovare, dans des locaux impeccables, le Rochester Institute of Technology prépare, depuis 2002, les futures élites du pays en partenariat avec l’établissement new-yorkais du même nom. Ici est formée la classe dirigeante de ce petit pays.  » Les villes sont tournées vers l’Occident, tandis que les campagnes, elles, sont plus sensibles à l’influence turque « , estime un jeune étudiant parfaitement anglophone aux allures de hipster californien.

Si la reconnaissance envers l’Amérique reste si forte, c’est aussi parce que la tension avec la Serbie ne retombe pas. Les Kosovars albanophones sont rassurés par la présence d’une immense base militaire américaine dans le sud de leur pays, qui reste sous protectorat international. D’après un sondage récent, jusqu’à 95 % des Kosovars considèrent que l’influence exercée par l’Oncle Sam dans le pays est très positive. Ce qui paraît logique, selon la jeune politologue Donika Emini, du Kosovo Centre for Security Studies, un centre de recherche indépendant, qui a mené cette étude.  » Les Etats-Unis, explique-t-elle, sont reconnus comme un allié et un partenaire stratégique qui n’a pas seulement aidé le Kosovo à devenir indépendant, mais qui a aussi joué un rôle clé tout au long du processus de construction du nouvel Etat.  »

Noms de boutiques, photographies... Ici, l'américanophilie est partout.
Noms de boutiques, photographies… Ici, l’américanophilie est partout.© a. nimani/afp

Même Donald Trump, qui a battu Hillary et qui est considéré comme antimusulman par certains, n’a pas réussi à refroidir la passion des Kosovars pour les Etats-Unis. Son arrivée à la présidence américaine est perçue positivement par 75 % de la population, ce qui place, selon l’association Gallup International, le pays en tête du hit-parade mondial des Etats pro-Trump. Ici, lorsque la classe politique locale ne parvient pas à trouver un accord,  » l’arbitre suprême, c’est l’ambassadeur des Etats-Unis. Tout le monde sait que les Américains commandent au Kosovo « , analyse Loïc Trégourès, professeur de sciences politiques à l’université Lille II. Pour preuve, la récente intervention de Greg Delawie, ambassadeur américain à Pristina, a été décisive ; le diplomate a empêché la suppression du tribunal spécial établi à La Haye en 2016, sous la pression internationale, pour juger les crimes de guerre commis par l’UCK, l’Armée de libération du Kosovo, pendant le conflit avec les Serbes et, juste après, entre 1998 et 2000.  » Derrière les portes closes, on a dû entendre des messages très clairs de la part des Américains, du type : « Vous arrêtez ça tout de suite ! »  » suppute Loïc Trégourès.

Plus que jamais, le Kosovo a besoin du parrain américain. Le pays n’a toujours pas été reconnu par Belgrade, qui estime qu’il est une partie de la Serbie, ni par Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, sous la pression de la communauté bosno-serbe. Cinq chancelleries européennes, dont Madrid et Athènes, se situent sur la même ligne. La libéralisation des visas, qui sortirait le Kosovo de son isolement, est conditionnée désormais par les Européens à la signature d’un obscur accord avec le Monténégro voisin sur la délimitation de la frontière. Un processus de normalisation avec la Serbie, qui piétine, est mené depuis plusieurs années sous l’égide de l’Union européenne, que le Kosovo aspire à rejoindre. Mais le pays, gangrené par la corruption et le crime organisé, n’est pas près de remplir les critères d’adhésion. En dernier recours, Ramush Haradinaj, le Premier ministre, a souhaité, à la fin de 2017, que les Américains rejoignent la table des négociations à Bruxelles. Auquel cas, les Serbes menacent d’inviter les Russes, leur propre parrain historique. Malgré ses dix ans d’indépendance, le Kosovo n’a pas fini d’être le terrain de jeux des grandes puissances.

Par Mersiha Nezic.

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