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Di Rupo : « l’Europe n’accueille que 8% des migrants de la planète : il y a encore de l’espace »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le Parti socialiste consacre samedi une session de son  » Chantier des Idées  » aux questions internationales. Mondialisation, dumping social et fiscal, Europe en panne, crise des migrants : Elio Di Rupo peaufine le message socialiste.

La crise des migrants ne met-elle pas la famille socialiste, historiquement plus ouverte à l’immigration que d’autres, davantage à l’épreuve ?

Certainement pas ! Je m’insurge contre cette analyse, qui est très complaisante à l’égard de la droite. La majorité des difficultés que l’on rencontre au niveau européen, ce manque de politiques claires à l’égard de la migration, résultent de majorités de droite, essentiellement composées par le PPE et les partis libéraux. Ca n’exclut pas que certains gouvernements dirigés par des socialistes se comportent d’une manière que je condamne : je ne suis pas d’accord avec certaines positions des Autrichiens, je le suis encore moins avec celles de la Slovaquie. Ce sont pourtant des gens que je connais bien, même si je ne suis pas proche du Premier slovaque. Je le suis davantage du Premier Autrichien, qui se trouve dans une situation intenable pour des raisons de politique intérieure. Mais il ne faut pas se tromper! Si la crise des migrants est si mal gérée, il ne faut pas en imputer la responsabilité aux partis socialistes…

La question portait sur les effets de cette crise, moins sur ses causes…

On ne doit pas avoir de difficultés à la gérer. Primo, dans le cas belge : contrairement à ce qu’on raconte, ce n’est pas du tout la première fois que tant de migrants frappent à nos portes. Dans les années 2000, la migration depuis les Balkans était plus importante. La Belgique ne fait pas face à un phénomène jamais vu qui nous ferait ériger des murs ! Deuxio, bien entendu, une politique européenne est indiquée : on ne peut pas donner l’impression que tout va se résoudre. Mais la Belgique, avec une répartition raisonnable sur l’ensemble de son territoire, est tout à fait en mesure d’absorber sa part de la crise, sans créer des situations avec des listes d’attente interminables parce qu’on a décidé qu’on n’enregistrait que 250 candidats par jour et pas un de plus.

Ca, c’est la position des socialistes belges. Mais chez les socialistes européens ?

On n’a pas eu l’occasion, au sein du PSE, de définir une position commune. Les réunions sont, hélas, trop rares. Nous en parlerons à la prochaine, en avril. Mais il me semble qu’on devrait, un, essayer de soutenir les pays voisins, et singulièrement la Turquie, partant du principe que l’on espère une solution politique pour la Syrie et, à plus long terme, pour l’Irak. Deux, nous avons besoin d’un renforcement des contrôles aux frontières extérieures. Trois, nous ne pouvons pas, et c’est d’ailleurs ce qui fait la différence avec d’autres plans portés par certains de mes camarades socialistes, refuser, au nom de la Convention de Genève, d’inscrire quelqu’un qui fuit la guerre, qu’il passe par la Turquie ou pas. Une fois qu’il est sur le sol européen, il est sur le sol européen ! Mais on devrait pouvoir éviter ce qu’on a connu, ces cohortes désorganisées de migrants, avec des hot-spots plus opérationnels, qui permettraient, dans des délais très courts, de les canaliser. Il faut que cette immigration soit maîtrisée, de l’arrivée sur le sol européen jusqu’au pays d’accueil. Pour le moment, il y a très peu de hot-spots qui fonctionnent : un à Lampedusa, un à Lesbos. Sans pour autant dire « L’Europe accueille toutes les difficultés du monde », parce que ça, on n’y parviendra pas, nous devons contribuer à résoudre cette crise. Nous sommes la région la plus riche du monde, et nous n’accueillons que 8% des migrants de la planète… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a encore de l’espace. Mais, à côté de cette dimension de migrations, il y a autre chose. Cette autre chose, c’est le fait que l’Europe stagne au niveau économique. Si vous la comparez aux Etats-Unis après huit ans de présidence Obama : une relance économique formidable, des programmes d’investissement, une croissance économique importante… Chez nous, la politique des gouvernements conservateurs et de la Commission, que j’ai toujours combattue, nous a amené l’austérité et des difficultés sur le marché de l’emploi.

Le PSE comme l’Union européenne n’ont-ils pas péché en accueillant des membres, en Europe centrale et orientale, qui étaient si éloignés de leurs lignes et de leurs aspirations ?

On n’aurait jamais dû s’ouvrir si vite. On aurait dû trouver un mécanisme d’association durable, peut-être trente ans. Qu’avons-nous de commun avec le gouvernement de Hongrie ? Avec celui de Pologne ? Et avec les Slovaques, dont le Premier ministre est socialiste ? J’ai toujours plaidé en ce sens, et je n’étais pas le seul : avec Jean-Luc Dehaene, nous pensions qu’il fallait approfondir l’Union européenne, ce dont on va parler dans les mois qui viennent, par exemple sur la convergence fiscale ou sur la convergence sociale. On ne l’a pas fait ! Il y a eu un aveuglement et une stratégie géopolitique, surtout voulue par les partis de droite, mais les socialistes européens y ont succombé, qui était de dire : « Ils ont connu les affres du communisme, on ouvre et puis on verra ». Et aujourd’hui ? La Pologne, par exemple, a profité à fond de l’intégration, avec des dizaines de milliers de travailleurs polonais qui se font embaucher dans d’autres pays à des coûts horaires nettement inférieurs. On parle dans le secteur de la construction en Belgique de 25.000 à 30.000 emplois perdus et des milliers de PME qui font faillite. Malgré ce bénéfice gigantesque qu’elle en a tiré, il y a en Pologne une très grande insatisfaction à l’égard de l’Europe, et un gouvernement de droite très dure et eurosceptique qui s’est installé. C’est quand même le comble du comble ! Nous, fondateurs de l’Union qui avons voulu un espace à la fois économique et politique, mais aussi un projet de société généreux et éthique, nous voilà à subir ce dumping et qui plus est avec des membres d’où vient ce dumping qui ne sont pas heureux avec nous. Ce qui n’est pas acceptable non plus, c’est la concurrence fiscale. Quel est le sens d’avoir ces grandes entreprises qui quittent la Belgique ou la France pour aller s’installer en Pologne ou en Tchéquie ? Ce n’est pas l’Europe que nous voulions ! Et ça tient au fait qu’on a très mal géré cette ouverture. On aurait dû aider ces pays à avoir progressivement un niveau économique plus élevé, un dialogue plus ferme entre patrons et syndicats. On ne l’a pas fait. Et j’ai toujours été contre. Vous pouvez reprendre toutes mes interviews ! Je ne suis pas contre l’intégration. Mais on est allé trop vite.

Mais si on se limite aux socialistes… Le grand fait d’armes de Stanychev, actuel président du PSE et ancien Premier ministre bulgare, c’est d’avoir installé un taux unique d’imposition à 10% pour les personnes comme pour les entreprises…

Bien entendu, mais il n’y a pas que les socialistes. Indépendamment des partis politiques, je parle des citoyens, dans ces pays, qui se retrouvent avec des gouvernements de droite dure. Ils sont contre l’Europe. Nous, nous ne sommes pas contre eux, mais nous trouvons désoeuvrant d’avoir à subir le dumping social et la concurrence fiscale, qui sont insupportables. On n’a pas voulu comprendre que c’était un mécanisme lose-lose, où tout le monde perd.

Ca, c’est le diagnostic. Et le remède ?

Il ne faut pas seulement faire le constat de cet échec. Moi, je suis un grand partisan d’une reconstruction européenne. Je ne crois pas du tout que l’Europe à vingt-huit peut continuer comme ça, je ne crois pas du tout que si demain on devait accepter d’autres pays des Balkans ça pourrait continuer. Tôt ou tard, il y aura une scission dans l’Union européenne. Aujourd’hui, l’avenir est à celles et ceux qui prennent l’initiative. Parmi les pays les plus conscients de cette situation, il y a l’Italie. Renzi s’est exprimé à maintes reprises, il a réuni les six pays fondateurs, et Didier Reynders va d’ailleurs poursuivre le travail incessamment. Je reste convaincu qu’on doit partir d’un certain nombre d’objectifs clairs, par exemple la convergence fiscale vers une harmonisation en vingt ans, la convergence sociale avec un salaire minimum européen, l’élimination du dumping social par l’obligation pour les travailleurs et les employeurs de payer des cotisations dans le pays de la prestation, une taxe sur les transactions financières, etc. Soit quelques éléments clé, sur lesquels on dit qu’on veut avancer pour construire une Europe concentrique. Avec un certain nombre de pays de l’Eurozone qui seraient beaucoup plus unis, un noyau, et puis un marché unique, économique, avec libre-circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. On ne peut pas aujourd’hui rester les bras ballants. Il faut lancer une dynamique économique, couplée à une attitude beaucoup plus pragmatique et humaine face aux migrations. On pourra alors envisager notre futur avec beaucoup plus optimiste. N’oublions jamais qu’on est dans la partie la plus riche de la planète ! On a des capacités que n’ont pas d’autres pays. On dispose de suffisamment de ressources pour se régénérer. Il n’y a aucune raison de se laisser abattre par une forme de déclinisme.

Ca nous ramène à votre rôle de vice-président de l’Internationale socialiste. Est-ce que c’est un mandat qui vous occupe vraiment ?

L’Internationale est un peu enrayée, pour diverses raisons. Elle a été en meilleure forme à certains moments. En réalité nous manquons de temps et de réunions. D’abord, ça bouge beaucoup dans le monde, et nous avons des représentants dans quelque 160 Etats, c’est considérable, et ça embrasse des réalités extrêmement différentes. Mais il y a quand même des liens de solidarité et de fraternité. On doit y retravailler. Et puis surtout, et c’est ce que je défendrai au conseil du mois de juin, il faut retrouver la force que nous avions à un moment. On a connu toute une époque où l’Internationale socialiste était le creuset de conciliations, par exemple, entre Yasser Arafat et Shimon Peres. Sans l’échec des négociations de Camp David, nous aurions peut-être la paix au Proche Orient… Attention, il ne s’agit pas de résoudre les problèmes qui concernent les gouvernements entre eux : c’est là que se trouve le pouvoir. Et puis, la grande difficulté, mais c’est la même pour toutes les grandes familles politiques, c’est le repli national. C’est terrible, et c’est d’ailleurs le thème de notre session du Chantier des Idées de ce samedi. Depuis quinze ans, on s’est refermé sur son propre pays, et il n’y a plus de volonté de trouver des solutions à dimension internationale. Or, aujourd’hui, que vaut la limite d’un Etat face aux problèmes du monde ? L’Internationale, ce n’est pas l’ONU, mais ça y ressemble parfois. C’est tellement grand ! Le Parti socialiste est déjà énorme, mais sur les politiques européennes, il y a des inflexions que nous pouvons modifier, et nous l’avons fait. On a mis par terre une grande partie de la directive Bolkenstein, c’est quand même moi qui ai lancé la fronde, à partir du PSE. Personne autour de la table ne connaissait le contenu de ce projet, et on est parvenus à la modifier. L’Internationale doit prendre ce chemin, remettre ensemble une série d’acteurs à travers le monde pour prendre en compte les difficultés de la mondialisation. Le réveil de l’Afrique, par exemple, est un sujet majeur dont on parle trop peu.

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