Marcelo Cake-Baly © AFP

Devenir hongrois: le parcours semé d’embûches d’un Africain

Le Vif

Quand Marcelo Cake-Baly est arrivé en Hongrie en 1976 depuis la Guinée-Bissau, il n’imaginait pas les obstacles qu’il aurait à affronter pour obtenir la nationalité hongroise. Quarante ans plus tard, les choses ne se sont pas arrangées, comme en témoigne une fiction dont il incarne le personnage principal.

Déjà salué par la critique comme un film majeur, le long-métrage « Le Citoyen », qui sort en Hongrie jeudi, retrace les difficultés d’un réfugié africain pour obtenir la citoyenneté dans ce pays ouvertement hostile à toute immigration.

Tourné juste avant la vague qui a vu des centaines de milliers de migrants transiter par l’Europe centrale en 2015, le film rappelle que les autorités hongroises n’ont jamais facilité l’intégration des étrangers, avant même le durcissement insufflé par le Premier ministre conservateur Viktor Orban.

Dans la scène d’ouverture, Wilson, le personnage principal, est prié de revenir « dans un an » après avoir échoué à l’examen de citoyenneté, lequel implique notamment de connaître par coeur les détails de la Constitution et de l’histoire médiévale hongroises.

Pour Marcelo Cake-Baly, 58 ans, cette fiction est un reflet de son propre itinéraire.

Arrivé en Hongrie communiste à l’âge de 18 ans après avoir été enfant-soldat dans son pays, le jeune homme y apprend le hongrois, une langue particulièrement difficile, et effectue de brillantes études, couronnées par un doctorat en économie.

Recruté par une banque, il perd son emploi à la chute du Rideau de fer en 1989 car il n’a pas la nationalité magyare. Il sera finalement naturalisé en 1994, après avoir réussi les tests.

Docteur et conducteur de tram

Jamais cependant il ne retrouvera un emploi à la mesure de ses qualifications, du fait, estime-t-il, de sa couleur de peau.

« J’ai fait l’objet de tellement de rejet sur le marché de l’emploi que j’ai ravalé ma fierté. Aujourd’hui, je ne saurais même plus dire où se trouve mon diplôme de docteur, au fond d’un tiroir sans doute », confie-t-il à l’AFP.

Marcelo Cake-Baly retrouve une certaine sécurité professionnelle en 2005, quand il décroche un poste de conducteur de tram à Budapest.

C’est ainsi qu’il est remarqué par Roland Vranik, le réalisateur du « Citoyen ». « Un jour, un inconnu me saute dessus à la fin de mon service et me demande si je voudrais jouer dans un film sur des réfugiés. J’ai tout de suite dit oui », témoigne-t-il.

Roland Vranik reconnaît ne pas avoir eu l’embarras du choix dans son casting: « Il n’est pas évident de trouver un Africain d’âge moyen qui parle couramment hongrois ».

Le visage déterminé de son poulain s’affiche aujourd’hui dans les rues de Budapest pour la promotion du film. Une vision rare en Hongrie, un pays de 10 millions d’habitants où les Africains d’origine, au nombre de 5.000, ne représentent que 0,05% de la population et sont rarement mis à l’honneur.

Fumée dans la figure

Marié à une Hongroise et père de trois grands enfants, Marcelo Cake-Baly dit avoir remarqué une dégradation de l’attitude de certains Hongrois depuis le lancement de campagnes anti-migrants par le gouvernement.

« Récemment, quelqu’un m’a soufflé sa fumée dans la figure à un arrêt de bus en me disant qu’il aurait mieux valu que je me noie en mer comme les autres », témoigne-t-il.

Mais « la majorité des gens sont amicaux », estime Marcelo Cake-Baly, qui reconnaît tout de même devoir résister parfois à la tentation de brandir son passeport hongrois.

Dans la fiction, Wilson est lui aussi l’objet de plus de bienveillance de la population que d’hostilité. Travaillant comme vigile, il est élu « employé de l’année » par ses collègues, et est épaulé dans ses démarches par son patron. Mais l’administration est têtue.

Roland Vranik souligne n’avoir pas voulu faire de film politique. « Ce qui m’intéressait, c’était le parcours d’un réfugié africain vulnérable cherchant à s’intégrer en Hongrie, et pour qui tout ce qui compte, c’est de parvenir à nourrir sa famille ».

Adam Kovats, un étudiant de 22 ans rencontré lors d’une avant-première du film à Budapest, se félicite de ce que « les réfugiés et les Hongrois y apparaissent dans toute leur complexité, loin du stéréotype du +bon+ réfugié et de l’Européen raciste ».

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