Sur le papier, Athènes a fait le job. Mais la cure d'austérité a laissé l'économie exsangue. © Y. KOURTOGLOU/REUTERS

Dette grecque, encore des promesses…

Le Vif

L’année s’annonce tendue pour la Grèce, qui va devoir rembourser près de 7 milliards d’euros sur le seul mois de juillet. L’entente entre ses différents créanciers se fissure et laisse réapparaître le spectre du Grexit.

Les images auraient fait un tabac dans les magazines féminins du monde entier : des top-modèles drapées de Gucci défilant devant les colonnes doriques du Parthénon, telles des bacchantes des temps modernes. La maison de luxe s’était mis en tête d’organiser en juin un défilé de mode sur l’Acropole. Refus catégorique de la ministre grecque de la Culture, Maria Andreadakis-Vlazakis. Le temple d’Athéna n’est pas à louer. Même pour 2 millions d’euros. Quand on a tout perdu, il ne reste plus que les symboles auxquels s’accrocher. Ce printemps, la Grèce entrera dans sa septième année de dépression. Et l’année 2017 s’annonce particulièrement tendue…

Cela va faire bientôt sept ans que la première saison du feuilleton grec a débuté. Le 2 mai 2010, après des nuits de négociations serrées, le gouvernement Papandréou signait avec l’Union européenne et le Fonds monétaire international un plan de sauvetage de 110 milliards d’euros en contrepartie de mesures d’austérité budgétaire. Depuis, on aura tout connu : sommets de la dernière chance, renoncements, promesses biffées d’un coup de crayon, menaces à peines voilées. La dernière réunion des ministres des Finances de la zone euro, qui s’est tenue le 20 février à Bruxelles, aura été fidèle au scénario : discussions à rallonges, mines sombres, accord de façade. De fait, le problème grec reste entier. Et énorme, à l’image de cette dette publique de 300 milliards d’euros (soit quasiment 180 % du PIB) qui plombe le pays. Malgré les plans d’aides successifs – dont celui de 86 milliards d’euros signé en août 2015 -, les coupes claires dans les dépenses publiques, la division par deux du salaire des fonctionnaires, la réforme des retraites, l’augmentation substantielle de la TVA, les privatisations à tout-va, la dette a continué d’enfler.

Si la Grèce suit les exigences de l’Europe, il lui faudrait quarante ans pour ramener son taux d’endettement sous le seuil des 100 % du PIB » Patrick Artus

Athènes va donc devoir sortir son chéquier et rembourser près de 7 milliards d’euros sur le seul mois de juillet, dont 4 milliards à la Banque centrale européenne. Impossible de ne pas rembourser l’institution de Francfort sous peine de couper le cordon financier qui lie les banques grecques à la BCE.  » Le pays n’a pas les moyens financiers de passer le cap de l’été « , avoue un proche conseiller de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Pas d’autre solution pour Athènes que de tendre une nouvelle fois la main à ses créanciers. Or, ces derniers ne sont plus d’accord entre eux.

 » Aucun pays au monde n’a réussi un tel tour de force  »

Le FMI, qui n’a pas voulu mettre un centime dans le dernier plan d’aide de l’été 2015, juge les exigences financières des Européens totalement farfelues : 3,5 % de surplus des comptes budgétaires grecs avant paiement des intérêts pendant au moins une décennie.  » Aucun pays au monde n’a réussi un tel tour de force sur la durée. Si la Grèce suit les exigences de l’Europe, il lui faudrait quarante ans pour ramener son taux d’endettement sous le seuil des 100 % du PIB. C’est socialement impossible « , s’enflamme Patrick Artus, l’économiste de Natixis. Pour le FMI, il n’y a pas d’autre option que de restructurer massivement la dette grecque, en clair d’en effacer une bonne partie. Un scénario inimaginable pour l’inflexible homme de fer de l’Allemagne, Wolfgang Schäuble, ministre des Finances d’Angela Merkel (voir l’encadré). D’autant qu’une telle mesure serait immédiatement retoquée par la Cour constitutionnelle allemande. Alexis Tsipras, dont la cote de popularité s’est effondrée, a beau bomber le torse, il est en réalité totalement piégé.  » Il a perdu son pari. En signant le plan d’aide de l’été 2015 et en cédant aux exigences des créanciers européens, il était persuadé qu’il négocierait au final un effacement de sa dette s’il obtenait des résultats probants « , décrypte Frédérique Cerisier, spécialiste de la Grèce chez BNP Paribas.

C’est vrai que, sur le papier, Athènes a fait le job. Le pays est sorti de récession, la balance commerciale est de nouveau équilibrée et les comptes budgétaires avant le paiement des intérêts sont repassés dans le vert. Mais la cure d’austérité a laissé l’économie exsangue. Le produit intérieur brut du pays est inférieur de 25 % à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage culmine encore à 23 % et l’investissement des entreprises s’est réduit quasiment des trois quarts depuis 2008.  » Le coût du travail est aujourd’hui au même niveau qu’en Chine, pourtant aucun grand industriel ne songe à y construire la moindre usine « , déplore Aggelos Tsakanikas, de l’institut Iobe, à Athènes. Il faut dire qu’une partie des ingénieurs, des chercheurs et des jeunes diplômés ont quitté le pays. Plus de 280 000 Grecs ont plié bagage entre 2010 et 2015, d’après une récente étude de la London School of Economics. Une fuite des cerveaux qui se poursuit. En coulisse, Pierre Moscovici, le commissaire européen français chargé du dossier – qui joue les pompiers de service depuis des mois en tentant de maintenir le dialogue entre les acteurs de cette tragédie -, promet à mots couverts davantage de mansuétude des créanciers européens. Pas sûr qu’à quelques mois des élections fédérales de septembre, le gouvernement allemand, tétanisé par la percée de l’AfD, le parti populiste antieuro, se montre beaucoup plus coulant.

Par Béatrice Mathieu.

L’homme de fer qui dit non à la Grèce
Wolfgang Schäuble
Wolfgang Schäuble© Reuters

Les conservateurs allemands l’adorent, les autres le craignent. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, a sur la Grèce une position qui n’a jamais varié d’un iota. Opposé au versement du moindre centime, il n’est prêt à aucune concession. Quitte à être dogmatique. Cloué dans un fauteuil roulant depuis qu’un déséquilibré lui a tiré dessus en 1990, l’homme ne s’est jamais laissé arrêter par les épreuves et s’est toujours tenu à ses objectifs. Pétri de culture protestante, il croit au travail et en l’obéissance à la règle, dut-elle être douloureuse. Et ne voit pas pourquoi l’Allemagne, championne de la rigueur, paierait pour ces « cigales » du Sud. Enfant de la guerre, il croit en l’Europe, nécessaire selon lui pour assurer la paix. A condition qu’elle se fasse dans le respect de règles monétaires strictes. L’idée qu’il défend est celle qu’il a formalisée dès 1994 dans un projet cosigné avec Karl Lamers, autre membre de la CDU : celle d’un noyau dur de la zone euro, constitué de pays politiquement plus unis et où le rôle du Parlement serait accru. Un noyau dont les mauvais élèves seraient exclus. En se montrant intransigeant avec Athènes, l’homme de fer pourrait être l’artisan du Grexit… Peut-être son souhait le plus profond.

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