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Détroit de Kertch: la Russie dit avoir agi « en stricte conformité avec le droit international »

Le Vif

Les gardes-frontières russes qui ont arraisonné dimanche trois navires ukrainiens dans le détroit de Kertch ont agi « en stricte conformité avec le droit international », a assuré lundi le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov au lendemain de cet incident sans précédent.

« La partie russe a agi en stricte conformité avec la législation, à la fois avec le droit international et avec le droit national », a-t-il déclaré aux journalistes, précisant qu’il s’agissait d’une « intrusion de navires de guerre étrangers dans les eaux territoriales de la Fédération de Russie ». « Et ces navires de guerre étrangers ont pénétré dans les eaux de la Russie, ne répondant à aucune sommation de nos gardes-frontières », a poursuivi le porte-parole du Kremlin. Selon lui, Vladimir Poutine a été informé tôt dans la journée de dimanche de cet incident et du « mouvement de ces bateaux ».

A un journaliste ukrainien qui lui demandait si c’était le président russe qui avait pris la décision de cette « attaque », Dmitri Peskov a répondu qu’il « n’appellerait pas cela une attaque, (mais) plutôt une action nécessaire à la préservation des frontières de la Russie ». « Une enquête criminelle pour violation de la frontière russe a été ouverte » a poursuivi le porte-parole du Kremlin, sans se prononcer sur le sort des marins ukrainiens faits prisonniers.

Dimanche, les gardes-côtes russes, qui dépendent des services de sécurité (FSB), ont capturé deux vedettes et un remorqueur de la Marine ukrainienne que Moscou accuse d’être entrés illégalement dans les eaux territoriales russes au large de la péninsule de Crimée annexée. Les gardes-côtes russes ont fait usage de la force et tiré sur les bateaux pour les intercepter. Une vingtaine de marins ukrainiens ont été faits prisonniers, dont plusieurs ont été blessés, Kiev demandant leur libération et de nouvelles sanctions contre la Russie.

Le Conseil de sécurité de l’ONU aura lundi une réunion d’urgence réclamée par l’Ukraine et la Russie au sujet de cet incident sans précédent autour de la mer d’Azov, une petite mer intérieure de la mer Noire que se partagent la Russie et l’Ukraine. Le détroit de Kertch, où a eu lieu cet incident naval, permet d’accéder à la mer d’Azov.

Cinq pays de l’UE appellent à rétablir la liberté de passage

Les cinq pays de l’Union européenne actuellement membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont appelé lundi la Russie à « rétablir la liberté de passage » dans le détroit de Kertch, où trois navires ukrainiens ont été arraisonnés la veille par les gardes-frontières russes. « Il convient de libérer sans attendre les marins ukrainiens retenus et de restituer les navires capturés » dans cette seule voie maritime entre la mer Noire et la mer d’Azov, ont ajouté dans leur communiqué commun les Représentants de la France, de la Grande-Bretagne, de la Suède, de la Pologne et des Pays-Bas, au cours d’une visite à Pékin.

Exprimant « leur grave préoccupation après la récente escalade des tensions en mer d’Azov et dans le détroit de Kertch », ces diplomates ont « appelé la Russie à assurer un libre accès aux ports ukrainiens de la mer d’Azov et à restaurer la liberté de passage par le détroit de Kertch » ainsi qu’à « agir avec la plus grande retenue pour permettre une désescalade immédiate de la situation », toujours selon le communiqué. Ils ont en outre souligné « leur pleine reconnaissance de l’intégrité territoriale, de l’indépendance et de la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues ».

Russie-Ukraine: des années de relations tumultueuses

La Russie et l’Ukraine, dont les relations connaissent une flambée de tensions après la capture par Moscou de navires ukrainiens dans le détroit de Kertch, porte d’accès à la mer d’Azov, vivent des rapports tumultueux depuis la fin de l’Union soviétique en 1991.

Indépendance, mais tutelle de l’URSS

Le 1er décembre 1991, l’Ukraine se prononce par référendum pour l’indépendance de l’Union soviétique, reconnue dès le lendemain par le président russe Boris Eltsine. Le 8 décembre, la Russie, l’Ukraine et le Bélarus signent un accord établissant une Communauté des États Indépendants (CEI). Mais après la fin de l’URSS le 25 décembre 1991, l’Ukraine va s’efforcer pendant cinq ans de se soustraire à la tutelle politique de son grand voisin, vieille de 300 ans. Le pays ne s’engage pas à fond au sein de la CEI, perçue comme une structure dominée par la Russie pour tenter de ramener dans son giron les anciennes républiques soviétiques.

Traité d’amitié

Le 31 mai 1997, la Russie et l’Ukraine signent un traité d’amitié et de coopération qui les réconcilie, sans toutefois lever l’ambiguïté de leurs relations: les liens de Kiev avec l’Otan. Le traité et les textes annexes règlent notamment l’épineux litige du partage de l’ex-flotte soviétique de la mer Noire, ancrée à Sébastopol en Crimée. La Russie restera propriétaire de la majorité des navires, mais paiera à l’Ukraine un loyer pour l’utilisation du port de Sébastopol. La Russie, qui reste le plus important partenaire commercial de Kiev, conservera toutefois son « arme économique » vis-à-vis de l’Ukraine, totalement dépendante du pétrole et gaz russes. Le 9 juillet, l’Otan et l’Ukraine signent une « charte de partenariat spécifique », prévoyant des réunions politiques régulières et une coopération particulière entre les deux parties. Le président Eltsine soutient cet accord tout en répétant son opposition à une adhésion de l’Ukraine ou de toute autre ex-république soviétique à l’Alliance atlantique.

Un pro-occidental au pouvoir à Kiev

En 2004, l’élection présidentielle en Ukraine, entachée de fraudes et donnant vainqueur le candidat favorable à la Russie Viktor Ianoukovitch, provoque une contestation sans précédent. Le scrutin est annulé. La victoire, le 26 décembre, de l’opposant pro-occidental Viktor Iouchtchenko, leader de la « révolution orange », marque le début d’une nouvelle ère politique en Ukraine après dix ans de règne du président Léonid Koutchma tourné vers Moscou. En janvier 2005, Viktor Iouchtchenko effectue sa première visite à l’étranger en Russie, en un geste de réconciliation.

« Guerres du gaz »

En janvier 2006, le géant russe Gazprom cesse ses livraisons à l’Ukraine après plusieurs mois de contentieux portant sur le prix. La coupure perturbe l’approvisionnement de plusieurs pays européens, en pleine vague de froid. Gazprom accuse l’Ukraine, qui dément, d’avoir « prélevé illégalement » du gaz destiné à l’Europe. En janvier 2009, la Russie arrête de nouveau ses livraisons de gaz à l’Ukraine pour non paiement de dettes, et interrompt la totalité de ses envois à l’Europe via le territoire ukrainien. Nouvelle coupure de gaz en 2014.

Soulèvement proeuropéen du Maïdan

En novembre 2013, la soudaine suspension par le gouvernement du prorusse Viktor Ianoukovitch de négociations sur un accord d’association avec l’Union européenne, suivie par son refus de le signer, déclenche un mouvement de contestation proeuropéen. La place centrale de Kiev, le Maïdan, devient le haut-lieu du soulèvement. La révolte se termine en février 2014 avec la fuite en Russie de M. Ianoukovitch suivie de sa destitution, après la mort d’une centaine de manifestants et d’une vingtaine de policiers dans de violents affrontements.

La Russie annexe la Crimée

Le 26 février 2014, prorusses et pro-ukrainiens s’affrontent à Simféropol, capitale de la péninsule de Crimée, république autonome et russophone du Sud. Des forces spéciales russes contrôlent les points stratégiques et forcent les militaires ukrainiens à déposer les armes ou à rejoindre les nouvelles forces sous contrôle de Moscou. Le 16 mars, un référendum, non reconnu par Kiev et les Occidentaux, plébiscite le rattachement de la Crimée à la Russie, acté deux jours après par Moscou.

Rébellion séparatiste dans l’Est

Le 6 avril 2014, une rébellion prorusse éclate dans deux régions industrielles de l’est de l’Ukraine, à majorité russophone, avant de prendre un caractère armé. Kiev et les Occidentaux accusent la Russie de soutenir les rebelles en envoyant des hommes et du matériel par la partie de la frontière qui échappe au contrôle de l’Ukraine. Moscou dément, ne reconnaissant la présence que de « volontaires » russes partis combattre de leur propre initiative. Le conflit a fait plus de 10.000 morts en quatre ans et demi.

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