Donald Trump joue-t-il sur du velours lors de son procès en destitution devant le Sénat ? Les démocrates ont peut-être, en définitive, plus à perdre que le président. © SAUL LOEB / belgaimage

Destitution : l’imperturbable Trump sera-t-il perturbé ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

On connaît la fin de l’histoire du troisième procès en destitution d’un président américain mais pas ses dommages collatéraux. Les démocrates échapperont-ils au piège de la personnalisation à outrance ?

Le procès en destitution de Donald Trump a ceci de particulier que la fin de l’histoire est connue mais que les dommages collatéraux qu’il va produire, sont, eux, complètement ignorés. Sauf improbable revirement, la procédure engagée le mardi 21 janvier devant le Sénat américain sous la présidence exceptionnelle du président de la Cour suprême John Roberts, n’aboutira en effet pas à l’ impeachment du 45e président américain. Les républicains, a priori unis derrière leur président, disposent d’une majorité de 53 sièges contre 45 sénateurs démocrates et deux indépendants. Mais toutes les attentes autour de la troisième procédure de ce type dans l’histoire des Etats-Unis (après celles contre Andrew Johnson en 1868 et contre Bill Clinton en 1999) portent sur les préjudices que pourrait néanmoins subir Donald Trump dans la course à sa réélection.

John Roberts, président de la Cour suprême. Il présidera le Sénat le temps du procès.
John Roberts, président de la Cour suprême. Il présidera le Sénat le temps du procès.© reuters

Le fond du dossier porte sur la demande d’ouverture d’une enquête à l’encontre d’un de ses rivaux démocrates à la présidentielle, Joe Biden, qu’a formulé, lors d’un entretien téléphonique le 25 juillet 2019, le président américain à son homologue ukrainien Vladimir Zelensky. L’enquête préalable a montré qu’une aide militaire à ce pays européen en conflit avec la Russie aurait pu être suspendue à la décision de Kiev. Les démocrates ont retenu deux chefs d’accusation : l’abus de pouvoir et l’entrave à la bonne marche du Congrès. Le Government Accountability Office, un organisme indépendant du Congrès en charge du contrôle des comptes publics, a jugé, le jeudi 16 janvier, que le gel sans motif d’une aide votée par le Congrès constituait une infraction à la législation.

Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, sénateur du Kentucky.
Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, sénateur du Kentucky.© reuters

L’énigme John Bolton

Beaucoup a déjà été conté sur le trouble jeu de Donald Trump et de certains de ses collaborateurs dans ce dossier. Sauf surprise, on ne s’attend donc pas à des révélations fracassantes à l’occasion des débats. Le président s’est doté d’une équipe de défense solide, forte de l’ancien procureur Kenneth Starr, qui avait instruit le dossier contre Bill Clinton dans l’affaire Monica Lewinsky, et de l’avocat constitutionnaliste Alan Dershowitz. Sa mise en difficulté pourrait paradoxalement provenir de l’ancien entourage présidentiel. Potentiel témoin envisagé par le camp démocrate, l’ex-conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, licencié le 10 septembre 2019, est notoirement en délicatesse avec son ancien patron.  » Si un certain nombre de collaborateurs ayant travaillé pour Donald Trump expriment la manière chaotique dont fonctionnait l’administration américaine et l’insatisfaction qu’ils en ont ressenti, il est certain que cela constituera une fausse note pour la défense de Donald Trump, analyse Amine Ait-Chaalal, professeur de Relations internationales à l’UCLouvain. Mais il faut bien constater que le turnover qui a frappé l’équipe de la Maison-Blanche, les déclarations des démissionnaires ou des licenciés ainsi que les livres qu’ils ont tirés de leur expérience n’ont pas eu d’impact sur la base électorale du président.  »

Adam Schiff, président démocrate de la Commission du renseignement.
Adam Schiff, président démocrate de la Commission du renseignement.© reuters

 » Deux éléments sont d’ores et déjà établis, poursuit le spécialiste des Etats-Unis. Les personnes favorables à Donald Trump le resteront. Ses détracteurs seront confortés dans leurs convictions. L’incertitude porte sur la frange des indépendants, des indécis, de ceux qui ne votent pas nécessairement pour la même couleur politique lorsqu’il s’agit d’élire un président, un député, un sénateur. Les éventuelles nouvelles informations qui émergeront du procès auront-elles un impact sur leur vote ? Il est difficile de le mesurer pour l’instant. Mais si répercussion il y a, c’est sur eux qu’elle opérera. Elle fera basculer leur choix dans un sens ou dans un autre.  » Les conséquences pourraient être sensibles dans un scrutin qui se jouerait, dans certains Etats clés, à quelques milliers de voix. Mais les démocrates pourraient également en pâtir.

Kenneth Starr, ex-procureur (1994-1999) ayant enquêté sur l'affaire Monica Lewinsky - Bill Clinton, membre de l'équipe Trump.
Kenneth Starr, ex-procureur (1994-1999) ayant enquêté sur l’affaire Monica Lewinsky – Bill Clinton, membre de l’équipe Trump.© getty images

L’intérêt d’étayer le dossier

Procès long sous forme de supplice chinois infligé au président ou procès court pour échapper au guet-apens de la personnalisation : les démocrates hésitent sur la marche à suivre. Leurs primaires pour la désignation du rival de Trump en novembre prochain commencent le lundi 3 février dans l’Iowa. En raison du règlement très strict du Sénat, trois prétendants, Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Amy Klobuchar, seront tenus d’assister intégralement au procès et seront privés de campagne.  » Certains démocrates estiment dans leur intérêt que le procès démontre que le dossier à charge de Donald Trump était étayé même s’il n’aboutit pas à une destitution, expose Amine Ait-Chaalal. Ils tablent sur le fait que les Américains sont légitimistes et légalistes. Cela renforcera leur crédibilité et pourra potentiellement affaiblir l’image du président. D’autres plaident plutôt pour un procès de courte durée pour que les candidats à la primaire puissent labourer le plus tôt possible le champ politique.  »

Alan Dershowitz, avocat constitutionnaliste, membre de l'équipe Trump.
Alan Dershowitz, avocat constitutionnaliste, membre de l’équipe Trump.© getty images

Répondre aux angoisses des électeurs

Seraient-ils tombés dans le piège des républicains en focalisant leur énergie sur la personnalité de Donald Trump comme le traduit l’acharnement à tenir un procès  » perdu  » d’avance ?  » En fait, le piège s’est structuré depuis la précédente campagne présidentielle. D’abord sur les républicains lors des primaires parce que les autres prétendants ont été désarçonnés par cet individu qui n’avait jamais eu de fonction politique auparavant. Il s’est refermé ensuite sur les démocrates et, en particulier, sur Hillary Clinton. Pour avoir animé une émission de téléréalité, Donald Trump connaissait bien les médias et la force qu’ils recelaient. L’usage qu’il a fait de Twitter a alimenté à son profit toutes les étapes de sa campagne, rappelle Amine Ait-Chaalal. Le futur candidat démocrate à l’élection de 2020 réussira-t-il à détourner les débats des questions sur la personne de Donald Trump vers celles sur le projet de société, la vision du monde des démocrates ?  »

John Bolton, ancien conseiller à la Sécurité nationale de Trump, potentiel témoin au procès.
John Bolton, ancien conseiller à la Sécurité nationale de Trump, potentiel témoin au procès.© getty images

Une campagne présidentielle traditionnelle se joue projet de société contre projet de société et sa dernière phase est propice à la confrontation d’idées. Rien n’est moins sûr cependant dans une aventure avec Donald Trump comme cotête d’affiche.  » Les démocrates ont intérêt à quitter le champ de la personnalisation pour proposer une offre politique positive. Ils devront notamment pouvoir formuler des réponses à l’électorat de Trump de 2016, ces Américains qui se sont sentis déclassés « , complète le professeur de l’UCLouvain.

Le philosophe américain Michael Sandel abonde dans ce sens dans une interview au mensuel Philosophie Magazine.  » Donald Trump s’est fait élire en exploitant les angoisses, les frustrations et les griefs légitimes auxquels les partis traditionnels n’ont pas su apporter de réponse convaincante. Pour contrer Trump et le populisme, une politique de contestation et de résistance ne suffit pas. Il faut engager une politique de persuasion. Et pour ce faire, il importe d’abord de comprendre le mécontentement qui ronge la vie politique aux Etats-Unis et dans les autres démocraties du monde.  » Un procès utile mais pour qui ?

Hunter Biden, fils de l'ancien vice-président Joe Biden, au coeur de l'affaire ukrainienne, potentiel témoin.
Hunter Biden, fils de l’ancien vice-président Joe Biden, au coeur de l’affaire ukrainienne, potentiel témoin.© getty images

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